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Publié le 18 Septembre 2019

Monde - Modération des contenus : la "cour suprême" de Facebook sera en place début 2020

La plate-forme de Mark Zuckerberg va créer, d’ici la fin 2019, une structure d’une quarantaine de membres chargée de trancher les différends liés aux retraits de publications sur le réseau social.

Publié le 17 septembre dans Le Monde

Le projet de cour d’appel des contenus sur Facebook avance : cet ovni juridique, que le fondateur Mark Zuckerberg a comparé à une « cour suprême », chargée de trancher les différends liés aux retraits de publications sur le réseau social, verra ses premiers membres nommés « fin 2019 » et rendra ses premières décisions « au premier semestre 2020 », a annoncé mardi 17 septembre l’entreprise.

Constamment accusé de censure ou de laxisme, Facebook a lancé l’idée en novembre 2018, avant de mener de nombreuses consultations. L’entreprise précise aujourd’hui les contours de cette institution nouvelle, qui suscite de nombreuses questions et objections.

Ce comité de supervision — oversight board en anglais, traduit par Facebook en « conseil de surveillance » — sera constitué à terme d’une quarantaine de membres, « par exemple des modérateurs de groupes de discussion Facebook, d’anciens juges ou avocats, ou d’anciens journalistes », a précisé Brent Harris, le directeur de la gouvernance de l’entreprise.

Ces personnalités se réuniront par panels de cinq membres minimum, pour trancher les cas de retrait de contenus les plus sensibles et les plus contestés par leurs auteurs, soit « quelques dizaines » de décisions par an. Facebook et sa filiale Instagram sont concernés. Un cas de « procédure d’urgence » est prévu en cas de besoin.

Questions sur l’indépendance du comité

Facebook a choisi de monter une structure extérieure car son message principal est « qu’elle ne devrait pas, en tant qu’entreprise, prendre seule autant de décisions sur les contenus ». Afin d’éviter qu’on continue de lui reprocher d’abuser de ce pouvoir, la société de Mark Zuckerberg souhaite que le comité soit « indépendant » : elle a donc créé un trust, une sorte de fondation qui sera chargée de payer les membres du comité grâce à un budget de « plusieurs millions de dollars », alloué par Facebook plusieurs années à l’avance. Les membres — dont le mandat de trois ans sera renouvelable deux fois — ne seront pas révocables par Facebook pour leurs décisions mais seulement par le trust, s’ils ont enfreint le code de conduite dont le comité va se doter.

Cette architecture ne répondra toutefois pas à toutes les questions soulevées pendant les consultations sur l’indépendance du comité : en effet, Facebook choisira les premiers membres – probablement onze – qui ensuite choisiront les membres ultérieurs, « avec Facebook », précisent les documents publiés mardi. A terme, l’entreprise et les utilisateurs devraient pouvoir proposer des noms. Plusieurs sociétés de consultants extérieures ont été engagées pour accompagner le processus des premiers recrutements.

Employés à temps partiel et payés en fonction du travail effectué, les membres du comité seront assistés d’une équipe permanente, chargée de présélectionner et de préparer les cas à étudier. Où celle-ci sera-t-elle installée physiquement et sera-t-elle liée à Facebook ? Une part de flou demeure encore : ces points seront discutés avec le comité, explique M. Harris, n’excluant pas que « Facebook lui prête des employés » jusqu’à ce qu’une équipe propre soit montée.

Facebook assure qu’il appliquera toutes les décisions rendues par le comité sur des cas précis. Mais si la cour fait une recommandation plus large susceptible de changer la politique de modération du réseau social, l’entreprise s’engage seulement à l’étudier et à motiver sa décision en cas de refus de l’appliquer. Les cas de divergence seront un vrai test pour la crédibilité de l’initiative.

Un comité censé « refléter la diversité »

Le casting des membres sera très sensible : le réseau global aux 2,4 milliards d’utilisateurs souhaite refléter une « diversité » de parcours et d’origines géographiques. Mais tous les pays ne seront pas représentés. Et Facebook est régulièrement accusé d’être politiquement biaisé, notamment aux Etats-Unis. Les profils des membres seront donc scrutés. Les panels trancheront à la majorité et motiveront leurs décisions par écrit, avec la possibilité de mentionner les dissensions internes. Mais leur composition pourra rester anonyme, pour éviter les représailles.

Les décisions du comité porteront sur l’application de la charte de modération du réseau social et ne rentreront pas en conflit avec les lois des Etats, que Facebook continuera de respecter, assure l’entreprise. Cette entité créera pourtant une forme de jurisprudence globale, qui s’ajoutera aux législations locales et au droit international.

Comment s’articuleront à terme ces sources de droit ? La question se posera probablement, d’autant plus que la société de Mark Zuckerberg assure vouloir ouvrir ce comité « à d’autres réseaux sociaux » – Snapchat ? YouTube ? Tik Tok ? Au même moment, en parallèle de ces initiatives privées, les législateurs de nombreux pays cherchent eux à renforcer les régulations sur les contenus des grandes plates-formes, à l’image de la récente loi française de lutte contre la cyberhaine.