Lu dans la presse
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Publié le 26 Février 2020

L'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine

L’imagerie qui a dominé le défilé est l’expression d’un antisémitisme assumé. Le prétexte du «rire» oublie que le carnaval était le renversement des rôles entre puissants et faibles, et non l’humiliation des minorités.

Cet article avait été publié dans le newsletter du 26 février 2020. Il est l'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine. 

Europe/Alost - Au carnaval d’Alost, l'antisémitisme en fête

 

Tribune publiée le 25 février dans Libération

Au carnaval d’Alost, ce dimanche, l’imagerie antisémite de 2019 a fait son retour. On a donc revu, dans différents chars, les figures de Juifs au nez crochu assis sur de l’or ; des badges avec des étoiles de David abondamment distribués ; de nombreuses personnes déguisées avec des costumes et des faux nez inspirés de l’imagerie antisémite qui se donnait libre cours dans les carnavals allemands à l’époque nazie. Sous prétexte d’un jeu de mots sur le mot Mauer (signifiant «mur», d’où Klagemauer, «mur des lamentations») et Mier («fourmi»), certains étaient déguisés à la fois en Juifs hassidiques et en fourmis («fourmis des lamentations»), réactivant ainsi l’association nazie des Juifs avec les insectes nuisibles et proliférants qu’il faut éradiquer.

Un des déguisements consistait à se présenter en officier de «l’Unestapo», contraction entre «Unesco» et «Gestapo», manière d’accuser l’organisme onusien de pratiques policières nazies.

Les motifs conspirationnistes étaient aussi présents : Illuminati et Mossad censés contrôler le monde (et nécessitant une désinfection, ou s’apprêtant à désinfecter, le sens n’est pas clair, mais dans un cas comme dans l’autre il relève de discours trop souvent observés dans les sphères antisémites et conspirationnistes) ajoutèrent à l’abjection faite spectacle de masse dans les rues d’Alost.

Une presse complaisante

Les premiers titres de la presse belge, néerlandophone et francophone, ont été d’une scandaleuse complaisance. Tandis qu’une partie de la presse et des politiques flamands dénonce les indignations comme une sorte de complot francophone contre l’humour flamand et la liberté de rire, la presse francophone manifeste une stupéfiante compréhension pour les caricatures antisémites.

On a ainsi pu lire que «la communauté juive n’est pas la seule à récolter des moqueries à Alost : d’autres chars mettent en scène des Asiatiques ou des Noirs», comme si le racisme excusait l’antisémitisme et était de nature à le justifier. Ou encore que les carnavaliers d’Alost se moquent de la «susceptibilité des Juifs».

Cette dernière expression est régulièrement revenue dans les journaux. Ce lundi, le journal DH titrait en une «Carnaval d’Alost : les Juifs scandalisés», comme si le scandale n’était pas international, comme si l’imagerie abjecte n’indignait que les Juifs, comme si le refus de l’antisémitisme n’était qu’une façon de se victimiser. On connaît très bien ce discours, en France : c’est celui de tous les antisémites qui, en compagnie de Soral ou de Dieudonné, ont pu convaincre que la Shoah-«nanas» est une chanson populaire, et les «quenelles» sur des tombes juives ou au mémorial de Berlin, un clin d’œil de personnes opprimées par le «système».

Le maire d’Alost, Christoph D’Haese, ne voit «aucun problème avec les représentations de Juifs qui ont été visibles lors du carnaval de sa ville, ce dimanche. Elles ne peuvent selon lui pas être qualifiées d’antisémites». Il faut souligner que la ville d’Alost est dirigée par la N-VA, parti nationaliste flamand (dont certains dirigeants n’ont pas dédaigné de participer aux fêtes d’anniversaire de Collaborateurs des années 40). Son fonds de commerce électoral ordinaire est une islamophobie déchaînée ; on voit que cela ne les empêche pas de trouver «humoristique» cette mise des Juifs au pilori symbolique. Car si les carnavaliers d’Alost «ont décidé de rire», nous affirmons que c’est du rire gras des nazis.

L’antisémitisme en hausse

Certains prétendent également que le carnaval d’Alost relèverait de «l’esprit Charlie» : quelques-uns le disent pour étendre à Charlie la condamnation du carnaval d’Alost ; d’autres, les plus nombreux, pour justifier le carnaval d’Alost au nom du droit à l’humour et de la lutte contre les «nouveaux censeurs». Cet argument pervers compare l’incomparable et confond la liberté de la satire avec la volonté d’humilier et l’incitation à la haine. Le prétexte du «rire carnavalesque» et de la «tradition» oublie d’ailleurs que le carnaval était le renversement des rôles entre puissants et faibles, et non l’humiliation des minorités par les majorités ou par les dominants.

Les costumes de Juifs habillés en nazis, l’imagerie antisémite qui a dominé le carnaval d’Alost ne sont pas de joyeuses caricatures, mais l’expression d’un antisémitisme assumé et renouvelé d’année en année. C’est la répétition de l’imagerie antisémite qui a préludé à la persécution et à la Shoah. Le Musée de l’Holocauste (Washington) rappelle que 24 000 Juifs vivant en Belgique ont été assassinés durant la Shoah et que l’antisémitisme est à nouveau en hausse dans toute l’Europe. Et aussi aux Etats-Unis, comme en ont témoigné les attentats antisémites de Pittsburgh et Poway, perpétrés par des suprémacistes blancs. 

Le maire de Bruxelles a, quant à lui, dénoncé l’antisémitisme du carnaval d’Alost : «L’obstination dans l’erreur tourne au ridicule et à l’injure ! Cela donne une image calamiteuse de la Belgique et de la Flandre. L’humour de certains reste incompréhensible… Il est plus que temps que l’Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances) fasse enfin son boulot.»

L’an dernier, l’Unia avait renoncé à porter plainte au motif que la jurisprudence des tribunaux belges refuse de considérer qu’il y ait infraction en l’absence d’intention malveillante et de volonté d’induire une discrimination ; une plainte contre Tintin au Congo avait ainsi été déboutée et l’Unia a estimé que les tribunaux utiliseraient les mêmes arguments pour débouter toute plainte contre Alost.

On peut penser qu’il serait temps, en effet, que l’Unia porte l’affaire en justice et ne se résigne pas à supposer que la jurisprudence existante ne permet pas la condamnation d’une inconcevable libération de l’expression antisémite, qui constitue une régression terrifiante.

Alain Policar Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof) , Dominique Sopo Président de SOS Racisme , Jean-Yves Pranchère Philosophe, professeur à l'Université libre de Bruxelles , Isabelle Kersimon présidente de l’INRER (Institut de recherches et d’études sur les radicalités) , Georges Salines père de Lola, morte au Bataclan, auteur et militant engagé contre toutes les formes de haine et de violence.

 

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