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Publié le 11 avril dans Le Monde
Le président, Réouven Rivlin, désignera la semaine prochaine la personne chargée de constituer une coalition.
On peut concéder un revers en fourbissant déjà ses armes pour la revanche. Benny Gantz et Yaïr Lapid en ont fait la démonstration, mercredi 10 avril. Les deux alliés au sein de Bleu Blanc ont convoqué la presse pour une brève allocution. Il était temps d’accepter les vents contraires, au lendemain des élections législatives.
Malgré un score remarquable pour un parti sorti de terre il y a trois mois, parvenu à obtenir presque autant de voix que le Likoud (26,47 % contre 26,83 %), les deux hommes comprenaient que Benyamin Nétanyahou disposait d’une voie royale vers un cinquième mandat. Il est le seul à pouvoir réunir un socle solide d’au moins 61 députés, grâce aux partis religieux et à l’extrême droite.
Yaïr Lapid ne s’est pas attardé sur la défaite. « Nous n’avons pas emporté cette manche », a lâché le chef de file de Yesh Atid, avant de changer de ton. L’ancien ministre de l’économie de M. Nétanyahou a promis de « rendre la vie impossible » au Likoud et de transformer la Knesset « en champ de bataille ». Il commencera par demander une commission d’enquête sur l’affaire des sous-marins allemands achetés par Israël, un dossier à l’instruction sur lequel pèsent de lourds soupçons de pots-de-vin. Benyamin Nétanyahou n’y apparaît pas comme suspect à cette heure. Mais de nouveaux éléments sont apparus en marge de cette enquête pendant la campagne électorale, au sujet d’investissements personnels réalisés par « Bibi » avec son cousin américain, Nathan Milikowsky, dans une usine au Texas appelée SeaDrift, il y a vingt ans.
« Nous sommes ici pour lancer la campagne de 2020 », a annoncé Yaïr Lapid, alors que le chapiteau de celle qui s’achève n’est pas encore plié. Le dirigeant centriste fait ainsi le pari que la future coalition autour de M. Nétanyahou ne pourra tenir, en raison des investigations en cours. Benny Gantz, lui, est resté dans un registre mesuré, exprimant de la gratitude pour le million d’électeurs qui avaient porté leur choix sur Bleu Blanc, « dont ils ignoraient l’existence il y a dix semaines ».
Le chef de l’Etat, Réouven Rivlin, désignera la semaine prochaine la personne chargée de constituer une coalition, après avoir reçu les responsables de toutes les formations qualifiées à la Knesset. Choix sans précédent, ces rencontres seront retransmises en direct. Les négociations déjà entamées sont celles entre M. Nétanyahou et ses partenaires probables : les deux partis ultraorthodoxes, Shas et Judaïsme unifié de la Torah ; Israel Beytenou, d’Avigdor Lieberman ; Koulanou, de Moshe Kahlon ; l’Union des partis de droite.
Jeudi matin, les médias israéliens étaient suspendus à un dépouillement dramatique, celui des 265 000 voix des diplomates, personnels médicaux, patients et handicapés mais surtout des soldats. A quelques centaines de voix près seulement se jouait la survie de la Nouvelle Droite de Naftali Bennett et Ayelet Shaked, espérant passer la barre des 3,25 %. S’ils s’emparaient ainsi de quatre sièges, le poids de la droite messianique favorable à l’annexion en Cisjordanie en serait conforté. Et la distribution des postes par M.Nétanyahou, d’autant compliquée.
Rompu aux parties de poker avec le premier ministre, M. Lieberman est le seul à ne pas avoir annoncé de soutien à sa candidature. De longue date, il réclame une loi imposant la conscription aux ultraorthodoxes, hautement improbable en raison du poids très important de leurs partis. Et puis, quel poste pourrait réclamer M. Lieberman, lui qui avait démissionné comme ministre de la défense en novembre 2018, trouvant M. Nétanyahou trop complaisant avec le Hamas ? Eventuellement les affaires étrangères, si le premier ministre acceptait de le lâcher dans cette période si sensible.
Aryé Deri, en revanche, le chef du parti Shas, avait dit pendant la campagne qu’il demanderait le ministère de l’immigration et de l’absorption pour les siens, en plus de l’Intérieur. Son objectif : bloquer l’influence des russophones dans cette administration, perçus comme pas assez juifs par le grand-rabbinat. Mais se trouvant sous la menace d’une inculpation pour corruption, Aryé Deri pourrait ne pas entrer au gouvernement. Enfin, Moshe Kahlon, lui, voudrait rester à son poste de ministre des finances. Mais il est le seul leader de droite à ne pas avoir promis de soutenir M. Nétanyahou en cas d’inculpation. Cette réserve sera forcément un sujet abordé entre les deux hommes.
Les alliés potentiels de M.Nétanyahou devraient être mordants dans les tractations. L’espérance de vie prêtée à cette éventuelle coalition est faible, à cause des menaces judiciaires pesant sur M. Nétanyahou. Les spéculations vont bon train dans la presse sur la façon dont les députés pourraient offrir à « Bibi » une immunité contre les poursuites. Dès jeudi 11 avril, le procureur général Avichaï Mandelblit doit transmettre aux avocats du dirigeant les pièces des trois instructions dans lesquelles le dirigeant est visé depuis fin février par une procédure d’inculpation. Problème : les avocats rechignent à se déplacer car ils n’ont pas été payés, rapportait le quotidien Haaretz jeudi.
"Les élections du 9 avril ont permis de redessiner la carte politique, avec l’avènement de Bleu Blanc, autour duquel va se structurer l’opposition"
Le haut magistrat avait accepté de différer cette étape pendant la campagne, afin d’éviter les fuites. La justice reprend son cours. Une première audience est prévue d’ici la mi-juillet avec la défense. Avichaï Mandelblit pourrait inculper M. Nétanyahou avant la fin de l’année 2019. Comment celui-ci pourrait-il alors gouverner à temps plein, sereinement, dans l’intérêt général, tout en organisant sa défense ? Tous les acteurs ont ce calendrier en tête. Les élections du 9 avril ont permis de redessiner la carte politique, avec l’avènement de Bleu Blanc, autour duquel va se structurer l’opposition. Elles ne gravent pas la domination de « Bibi » dans le marbre, lui offrant une prolongation sans certitude.
Les discussions sont aussi complexes en raison de la paix préparé en secret par l’administration Trump. Washington a fait comprendre que le meilleur moment pour le rendre public serait après le scrutin israélien. Nous y sommes. S’il est présenté, nul doute que ce plan penchera fortement en faveur de la droite israélienne, au détriment des droits politiques palestiniens. Mais l’idée même d’une autonomie palestinienne, à défaut d’un Etat, contrarie les plus exaltés. M. Nétanyahou « peut réfléchir à un plan, mais s’il le promeut, il n’aura plus de gouvernement de droite », a prévenu Bezalel Smotrich, de l’Union des partis de droite. Le premier ministre compte surtout sur le rejet programmé du plan par Mahmoud Abbas pour s’en laver les mains. C’est alors que pourrait débuter la phase de l’annexion des colonies.