- English
- Français
Publié sur le site L'Histoire par l'image
La photographie anonyme « Arrestation dans le ghetto de Varsovie » a été prise lors de la répression de l’insurrection juive qui se déroula du 19 avril au 16 mai 1943. Réalisée par les S.S., elle rend compte d’une arrestation effectuée lors de la « liquidation du ghetto » décidée après la révolte. Elle figure originellement à la quatorzième place d’un album de cinquante-trois clichés annexé au rapport (récit des actions menées contre les « bandits juifs ») que le S.S. responsable des opérations, Jürgen Stroop, adresse à Krüger et Himmler, ses supérieurs.
« Arrestation dans le ghetto de Varsovie » est donc initialement un simple document joint à un compte rendu administratif et policier effectué par et pour les nazis. Si cette photographie présente immédiatement une valeur documentaire concernant les événements, elle reste pourtant confidentielle jusqu’au procès de Nuremberg où elle est exposée comme pièce à charge. Ce n’est que longtemps plus tard (dans les années 70 et 80) qu’elle devient l’une des images les plus célèbres de la Seconde Guerre mondiale, allant parfois jusqu’à symboliser le génocide tout entier et le martyre des millions de victimes de la Shoah.
« Arrestation dans le ghetto de Varsovie » montre une scène d’une rare violence et d’une grande tension. Sous la menace armée de S.S. et de soldats, une file de civils sort précipitamment d’un immeuble. Effrayés et hagards, hommes, femmes et enfants ont les mains levées. Si certains des expulsés emportent ce qu’ils peuvent de leurs affaires personnelles dans de sommaires bagages ou dans de dérisoires baluchons de fortune faits avec des draps, les victimes de cette arrestation sont pour la plupart totalement démunies.
Au cœur de la photographie et légèrement détaché du reste du groupe, un petit garçon en manteau boutonné, culotte courte, chaussettes tirées en dessous des genoux et coiffé d’une casquette trop grande, lève lui aussi les mains tandis qu’un soldat braque son arme dans sa direction. Du fait même de la composition du cliché, son visage à l’expression perdue attire inévitablement le regard du spectateur.
Pris à la demande de Krüger, chef suprême de la S.S. et de la police dans l’Est, ce cliché doit, tout comme le rapport Stroop et les autres photographies de l’album qui y est joint, illustrer la répression de l’insurrection du ghetto. Plus généralement, et selon Krüger lui-même, l’ensemble doit témoigner « de nos efforts […] pour la déjudaïsation de l’Europe et du globe terrestre tout entier ». La légende originale du cliché est d’ailleurs sans équivoque : « Forcés hors de leurs trous. »
Il serait donc erroné de penser que l’auteur du cliché ait voulu dénoncer la barbarie des S.S. ou susciter la compassion pour les victimes. Au mieux neutre et « objectif », le regard du photographe a juste capté une scène précise. On peut aussi suggérer qu’il compose son image et choisit ce point de vue si marqué et si marquant dans le but d’exalter la mission des S.S. et la victoire manifeste de l’idéal nazi : en montrant la puissance et la supériorité des « surhommes » sur ceux qu’ils dominent et punissent.
C’est pourtant un tout autre symbole que semble porter cette photographie. Le terrible contraste entre les hommes en armes et les civils (essentiellement des femmes et des enfants) misérables violemment expulsés d’un immeuble lors de cette rafle exprime en effet avec une puissance inouïe la cruauté et l’inhumanité de la scène. Elle révèle involontairement toute l’oppression nazie, qu’elle signifie comme par synecdoque.
Par un même effet, la figure centrale du jeune enfant vulnérable au regard triste, perdu et effrayé sous la menace d’un pistolet mitrailleur, finit par représenter celle de toutes les victimes.
De la justification à l’accusation du régime et de ses exactions, l’inversion du sens et de la fonction d’« Arrestation dans le ghetto de Varsovie » semble donc inévitable. Elle redit même en creux le fanatisme de ses auteurs, incapables d’envisager les effets dévastateurs d’une telle image.
Crédit photo : © NARA / Le Mémorial de Caen