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Publié le 29 mars dans Le Monde
« Le Monde » a demandé à des contributeurs de tous horizons de proposer, chaque jour, une idée pour changer la France. Pour Pierre Kahn, Leyla Arslan et Marine Quenin, responsables de l’association Enquête, les faits religieux doit être enseigné avec « intelligence et pragmatisme » dans le milieu scolaire dès la tranche d’âge 8-11 ans.
« Ce n’est pas parce qu’on est d’une religion qu’on n’a pas le droit d’apprendre des choses sur les autres religions ; par exemple si une personne est musulmane, elle a le droit d’apprendre des choses sur le christianisme ou les juifs, ou sur “être athée “… ». C’est en jouant en classe au jeu l’Arbre à défis, développé par l’association ENQUÊTE, que ces élèves de CM2de Trappes (Yvelines) sont entrés dans l’enseignement laïque des faits religieux. Dans le cadre du grand débat national, ils sont revenus sur cette expérience pour répondre à la question nº 19.
Ils affirment que « sans être tous pareils, on a tous les mêmes droits », que la laïcité garantit la liberté de conscience, qui signifie « pouvoir choisir sa religion ou ne pas en avoir une » et que cet enseignement « sert à apprendre et à s’entendre aussi ».
Confortés par leurs analyses, nous proposons de déployer largement l’enseignement des faits religieux, présent dans les programmes scolaires mais trop peu souvent investi, alors même qu’il renferme un formidable potentiel pour éduquer les enfants à la laïcité.
"Il ne s’agit ni d’une approche particulièrement favorable aux religions, ni d’un combat contre les religions. Il s’agit simplement de prendre acte que la religion peut diviser la société et la République et de penser dès lors qu’il est utile, voire indispensable, de donner aux plus jeunes un espace pour exprimer et comprendre leurs potentiels désaccords et ainsi mieux comprendre ce qui les unit."
Le retour de ces enfants s’avère enthousiasmant dans un environnement qui rend compte des problèmes sans voir que des solutions pertinentes sont déjà à l’œuvre, localement. Depuis plus de huit ans déjà, nous travaillons auprès des 8-11 ans, collaborant à la fois avec des enseignants, des municipalités ou des centres sociaux. Nous nous adressons à près de 1 000 enfants et 1 500 éducateurs par an. Pour autant, une classe d’âge compte environ 800 000 personnes ! Nous sommes loin du compte…
Si des professionnels se saisissent de cette éducation concrète à la laïcité par l’abord du fait religieux, avec intelligence et pragmatisme, cette pédagogie plus largement diffusée pourrait rassurer et donner envie aux autres acteurs éducatifs.
Les réflexions des enfants en témoignent. Outre leur permettre de comprendre le monde qui les entoure, cet enseignement ouvre un espace pour évoquer ces sujets sensibles ; et ce faisant, et en tant que tel, il apaise. Il les accompagne dans le développement d’un rapport réfléchi aux convictions, en leur apprenant à différencier ce qui relève du savoir et ce qui relève du croire, à identifier leurs croyances comme des croyances, très diverses, au contraire du savoir partageable par tous.
Il leur apprend à prendre conscience de la pluralité de convictions – certains croient en un seul dieu, d’autres en plusieurs, certains sont athées, d’autres agnostiques, et d’autres encore indifférents à ces questions –, mais aussi à intégrer la diversité interne à chacune d’entre elles – « le chrétien », comme « le juif », « le musulman » ou « l’athée » n’existent pas, mais ce sont bien des personnes qui ont un rapport singulier à ces convictions.
Prendre acte des faits religieux
Enfin, cet enseignement permet de donner corps à une laïcité concrète incarnée dans ce qu’elle apporte tant à l’individu qu’au groupe, qu’il s’agisse de la classe ou de la société. Les enfants la perçoivent comme ce qui garantit les valeurs de notre devise républicaine, bien souvent abstraites pour eux, et en premier lieu, le respect de leur liberté de conscience et de celles de leurs camarades, si complexe à comprendre et à prendre en compte dans leurs échanges quotidiens.
Il ne s’agit ni d’une approche particulièrement favorable aux religions, ni d’un combat contre les religions. Il s’agit simplement de prendre acte que la religion peut diviser la société et la République et de penser dès lors qu’il est utile, voire indispensable, de donner aux plus jeunes un espace pour exprimer et comprendre leurs potentiels désaccords et ainsi mieux comprendre ce qui les unit.
Notre expérience nous porte à défendre la mise en œuvre effective de cet enseignement, et ce dès le plus jeune âge. Il ne peut plus rester marginal.
Pierre Kahn, professeur émérite des universités, président de l’association ENQUÊTE, Leyla Arslan, sociologue, administratrice de l’association ENQUÊTE, Marine Quenin, déléguée générale de l’association ENQUÊTE.