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Publié le 4 Septembre 2024

Le Crif en action - Buenos Aires : Participation au panel « De la haine en ligne aux effusions de sang dans le monde réel »

En juillet 2024, le Crif était à Buenos Aires pour assister aux commémorations des 30 ans de l'attentat contre l'AMIA. Marie-Sarah Seeberger, chargée des Affaires internationales est notamment intervenue lors du panel « De la haine en ligne aux effusions de sang dans le monde réel : l’interaction entre l’extrémisme en ligne, l’antisémitisme et la violence hors ligne » organisé par le Congrès juif mondial.

En marge des commémorations de l’attentat contre l’AMIA, le Congrès juif mondial (WJC) a organisé un panel sur les interactions entre la haine en ligne et son expression hors ligne.

Les intervenants à ce panel étaient David Scharia, de la Direction exécutive du contre-terrorisme du Conseil de sécurité des Nations Unies, le Dr Gustavo Galante, Procureur argentin, Éric Ebenstein, directeur principal des politiques publiques de TikTok, Adi Cohen, de Memetica et Marie-Sarah Seeberger, du Crif.

Cet échange était animé et modéré par Yfat Barak-Cheney, directeur de l'Institut pour la technologie et les droits de l'homme du WJC.

 

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Découvrez l’allocution de Marie-Sarah Seeberger, sur l'état des lieux de la haine en ligne et hors ligne vu par la communauté juive de France ainsi que sur les recommandations qui doivent être envisagées :

 

« Je parlerai en tant que représentante du Crif, l’organisation représentative des institutions juives de France, donc mes points de vue seront principalement orientés vers la France et nous devons garder à l’esprit que les communautés juives du monde ont leurs propres spécificités et façons de lutter contre l’antisémitisme en ligne, et hors ligne.

Je voudrais partager avec vous quelques points clés sur cette correspondance entre haine et violence en ligne, et hors ligne.

Tout d’abord, un chiffre, issu du dernier rapport sur l’antisémitisme en France en 2023, réalisé par le service de protection de la communauté juive (SPCJ) de France et le ministère de l’Intérieur : 58 % des actes antisémites sont des actes de violence physique contre des personnes.

La récente enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, la FRA, présente des données similaires montrant que 83 % des répondants français cachent leur identité juive parce qu’ils ont peur d’être agressés dans la rue.

Cela veut dire que la violence est réelle, et que la peur de la violence est également réelle.

Ces chiffres concernent les années 2022 et 2023, avant le 7 octobre donc. Comme vous pouvez l’imaginer, la situation ne s’est pas améliorée mais il est important de souligner que la haine et la violence ont toujours fait partie du quotidien des juifs français. Elles ne sont pas apparues soudainement le 7 octobre 2023.

Depuis le 7 octobre, plusieurs changements sont à noter concernant la haine en ligne et son expression hors ligne.

Nous assistons d’abord à une montée impressionnante de messages antisémites extrêmement violents, notamment des menaces de mort adressées aux utilisateurs juifs sur les réseaux sociaux. Les militants juifs sont par exemple la cible de messages d’une violence extrême. Notre responsable de la cybersécurité, qui poste régulièrement sur son compte X, a récemment été visée par un tweet qui disait « Tu mérites d’être battue à mort et jetée à l’arrière d’un pick-up », faisant directement référence aux images de Shani Louk, diffusées sur les réseaux sociaux.

Nous avons donc une imagerie qui se nourrit directement de la réalité et qui se reproduit sans limite.

Il y a quelques semaines, une jeune française de douze ans a été agressée et violée par des adolescents en raison de son identité juive et de ses « mauvaises paroles sur la Palestine ». La scène a été filmée. Là aussi, sans aucune comparaison, on reproduit des modes opératoires qui ont été diffusés et parfois vantés sur les réseaux sociaux.
Dans ce cas précis, la haine n’est pas seulement antisémite, elle est aussi sexiste et sexuelle. Et les violences sexuelles sont aussi un sujet de haine en ligne que les organisations féministes abordent de plus en plus, notamment sur la question de l’accès libre à la pornographie violente et de la présence de violences sexuelles dans les jeux vidéo.

Parmi les contenus violents, on retrouve aussi des menaces dans des messages privés, parfois adressées à des internautes qui ont simplement un nom à consonance juive, sans interaction préalable.

En décembre 2023, notre équipe de cybersécurité a par exemple signalé un message au service de protection de la communauté juive (SPCJ) d’un homme qui disait vouloir tuer des Juifs. Deux jours plus tard, il prenait rendez-vous chez un dentiste au nom à consonance juive. Les services de sécurité se sont rendus à la clinique et il s’est avéré que l’homme était resté enfermé dans les toilettes du cabinet pendant longtemps, refusant d’en sortir et le dentiste était très inquiet de son comportement. L’homme a été arrêté et une enquête est en cours.

Je pense que c’est un bon exemple de cette concordance entre la haine en ligne et son expression hors ligne.

Depuis le 7 octobre, nous assistons également à un phénomène de doxxing très important. Le doxxing est une pratique qui consiste à divulguer des informations sur l’identité et la vie privée d’un individu sur Internet dans le but de lui nuire.

En France, les cas de doxxing sont nombreux, notamment de la part de personnalités publiques et politiques. Je pense notamment à la députée européenne Rima Hassan qui a publié des dizaines de numéros de téléphone et de noms de personnes qui l’appellent, ce qui est également répréhensible.

Le doxxing peut être extrêmement dangereux et il y a eu plusieurs cas en France où des internautes juifs ont fini par être placés sous protection policière.

Avant le 7 octobre, l’antisémitisme en ligne pouvait être catégorisé en quatre grands groupes : les messages violents, le complotisme traditionnel, l’antisionisme et le négationnisme. Aujourd’hui, il faut ajouter une cinquième catégorie, la négation du 7 octobre 2023. Cette nouvelle négation émane de personnalités très influentes, parfois très haut placées dans la vie publique ou politique, ce qui relativise la violence de certains propos et donne une forme de crédibilité.

La même députée Rima Hassan dont j’ai parlé plus tôt, par exemple, a récemment tweeté que des chiens étaient dressés par l’armée israélienne pour violer des prisonniers palestiniens.

Cette radicalisation dans le discours en ligne et hors ligne se retrouve aussi malheureusement au sein des communautés juives qui ne savent plus comment répondre à un déferlement de violence et de haine. Et finalement, il ne reste que des mots et des images d’une violence extrême, qui influencent nécessairement la santé mentale des premiers concernés, les juifs.

 

Recommandations

La dernière enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne souligne que 96 % des personnes interrogées ont été confrontées à des discriminations et à des violences en ligne.

C’est ce que le président du Crif, Yonathan Arfi, appelle « l’antisémitisme d’atmosphère », un antisémitisme qui flotte dans l’air, qui s’immisce dans toutes les sphères et qui finit par rendre l’air irrespirable pour les Juifs.

Ce chiffre paraît presque hallucinant à première vue : cela signifie que la quasi totalité des Juifs interrogés ont été confrontés à l’antisémitisme en ligne. Mais, quand on y pense, quoi de plus normal ? Je mets quiconque au défi d’ouvrir un réseau social et d’y passer quinze minutes sans voir de messages antisémites.

Cela ne peut pas devenir la nouvelle norme.

Ma recommandation serait donc tout d’abord de ne jamais capituler et de ne jamais accepter cela comme étant une nouvelle norme.

Au Crif, nous avons deux départements qui travaillent quotidiennement sur le sujet de la violence en ligne et de l'antisémitisme, nous avons l'équipe de communication digitale qui surveille principalement les contenus et opère une modération conséquente sur nos réseaux sociaux, et nous avons l'équipe de cybersécurité qui travaille sur le signalement des contenus haineux aux plateformes de médias sociaux et/ou au ministère de l'Intérieur.

Vous savez tous parfaitement que les neuf derniers mois ont été très difficiles, en particulier pour les personnes qui travaillent presque 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7 sur le sujet de la haine en ligne. Nos équipes ont fait face à une charge de travail très importante et nous avons parfois eu le sentiment de mettre un pansement sur une plaie ouverte.

J'aimerais donc voir une coopération plus forte entre les organisations juives, les politiques publiques et les services gouvernementaux dédiés à la haine en ligne, comme la DILCRAH. Au Crif, nous plaidons toujours pour une DILCRAH plus forte, avec un budget et des outils plus importants afin de poursuivre la lutte de la meilleure façon possible.

Nous devons nous assurer que nous travaillons dans la même direction et avec le même niveau d'intensité. Le travail des communautés juives seul ne sera pas suffisant et ne sera pas pertinent, c’est pourquoi la coopération est essentielle, que ce soit avec les pouvoirs publics, les ONG ou les initiatives de la société civile.

En ce qui concerne le travail des réseaux sociaux eux-mêmes, je tiens à souligner la bonne relation que nous avons construite avec le groupe Meta. Je sais que nous sommes l’un des seuls pays à présenter ce résultat mais, pour nous, le travail a été bon avec Meta concernant la haine en ligne. Il est très important pour nous d’avoir des contacts directs avec le responsable des politiques publiques en France et de continuer à organiser plusieurs sessions de formation pour les modérateurs.

Nous travaillons, ainsi que le Congrès juif mondial, sur différents sujets avec Meta, le dernier étant un changement de règle important : le mot « sioniste » est désormais reconnu par la plateforme comme un substitut au mot « juif » ou « israélien » dans le cadre d’insultes antisémites, et sera donc interdit dans différents cas tels que la déshumanisation et les appels à la violence.

J’encourage donc des initiatives de ce type et le renforcement du lien entre les communautés juives et les plateformes de médias sociaux, notamment par le biais de sessions de formation, sur la modération basée principalement sur la formulation.

Enfin, je recommande d’investir dans deux domaines concernant la haine en ligne. Le premier, comme je l’ai dit plus tôt, concerne la violence sexiste et sexuelle en ligne, car nous savons qu’une violence n’arrive jamais seule, elle vient avec tout son cortège.

Je félicite les envoyés spéciaux ici présents d’avoir pris cela en considération. La situation a atteint un autre niveau après le 7 octobre et il est probablement temps de l’examiner attentivement et d’en tirer des politiques.

Le deuxième domaine concerne le monde du travail. Depuis le 7 octobre, les Juifs sont pris pour cible en ligne, soit parce qu’ils travaillent dans un environnement juif, soit par des collègues qui les harcèlent en raison de leur identité juive.

Je pense que les gouvernements et les décideurs politiques doivent prendre très au sérieux la nécessité de protéger les utilisateurs d’Internet, dans les cas de doxxing ou de menaces violentes, et aussi d’ajuster ou de clarifier les sanctions en cas de harcèlement en ligne, qu’il s’agisse d’antisémitisme ou de toute autre forme de haine. »