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Le Crif : Depuis le 7 octobre, on assiste en France à une flambée d’actes antisémites, comment analysez-vous cette flambée inédite dans son ampleur et ses violences ?
François Zimeray : Ce qui se déroule depuis le 7 octobre est un double dévoilement. D’abord celui d’un antisémitisme aussi décomplexé que global. Ensuite, on réalise que l’antisémitisme n’est pas réductible à la seule haine du juif : il y a aussi un antisémitisme d’indifférence. Il n’est pas à proprement parler haineux mais le premier ouvre la voie au second.
Je suis frappé de voir que lorsqu’Israël occupe légitimement la place de la victime, c’est désormais perçu comme une insupportable usurpation. Comme s’il y avait une immuable préséance victimaire. Avant même la riposte d’Israël à l’attaque terroriste du Hamas, cette inversion des rôles qu’avaient provoqué les atrocités rendait fou. D’où les accusations de génocide pleuvant sur Israël et le négationnisme en temps réel.
Le Crif : La flambée éruptive d’antisémitisme haineux en France est-elle conjoncturelle ou durable ?
François Zimeray : Ce n’est pas un antisémitisme résiduel, c’est un mal qui s’exprime de façon volcanique dans toutes les profondeurs de la société. Cette éruption monte du fond du monde.
Le Crif : Face à cette irruption, quelle serait la ou les mesures qui peuvent être les plus efficaces ?
François Zimeray : Il faudrait avoir beaucoup d’orgueil pour prétendre avoir une réponse assurée à une question posée depuis des siècles, mais on doit se concentrer sur une chose, une chose essentielle : les faits, les faits, les faits ! Rappeler les atrocités commises. Ce qui me frappe c’est précisément que les faits, malgré leur atrocité inédite, n’impriment pas, ils glissent. Il faut les graver dans la mémoire collective car la vérité est aussi une victime du 7 octobre.
Le Crif : Vous aviez été l’un des premiers parlementaires européens à dénoncer l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme qui se propageait notamment à gauche, il y vingt ans, et vous en aviez payé le prix politique. Dans ce contexte et à ce stade du conflit à Gaza, les dirigeants européens vous semblent-ils à la hauteur de la situation et des enjeux ?
François Zimeray : À côté de ce que j’ai vécu il y a vingt ans comme député européen, la position des dirigeants européens semble aux antipodes : hier il y avait Chris Patten, aujourd’hui, il y a Ursula Van der Leyen. À l’époque, aux débuts des années 2000, faire inscrire le Hamas dans la liste des organisations terroristes n’allaient malheureusement pas de soi.
Aujourd’hui, le Président français dénonce le terrorisme et rencontre les victimes françaises en Israël, hier, au moment de la deuxième Intifada, la France officielle était dans le déni des actes antisémites. Jamais l’Europe politique n’a été aussi compréhensive des réalités de l’État d’Israël et attentive aux communautés juives. Il faut dire que les attentats en Europe ont ouvert les yeux de beaucoup de dirigeants. Néanmoins, l’atmosphère semble beaucoup plus lourde, comme si toutes les voies d’espoir étaient closes.
Le Crif : En même temps, la même Europe se divise par exemple à l’occasion du vote à l’Assemblée générale de l’ONU d’une résolution, votée par la France mais pas par d’autres États européens (ni les États-Unis, qui ont voté contre) appelant à une trêve humanitaire aboutissant, précisait le texte, à l’arrêt des hostilités au moment où Tsahal développait la phase terrestre de ses opérations contre le Hamas…
François Zimeray : C’est effectivement une forme d’incohérence mais qui peut s’expliquer par un souci de préserver le lien que la France a toujours voulu entretenir avec le Sud global. Cependant, ce vote est choquant, parce qu’il est incohérent avec les positions françaises affirmées par ailleurs. Il est surtout révélateur, dans certains cercles, d’une méconnaissance des réalités.
C’est pourquoi il faut en revenir toujours aux faits. Car si une grande partie du monde s’est dressée contre Israël, c’est aussi parce que l’opinion n’a pas pris l’exacte mesure de ce qui s’est passé. On n’a pas encore écrit « Le chagrin et la pitié » du 7 octobre. Il faudrait des Louis Malle et Claude Lanzmann contemporains pour raconter ces atrocités.
Le Crif : Un autre aspect inquiétant des temps actuels a été aussi, récemment au sein de l’ONU, une réunion d’un conseil des droits de l’Homme présidé par l’Iran ! Comment a-t-on pu en arriver à un tel renversement des références et des valeurs ?
François Zimeray : C’est malheureusement le résultat d’un rapport de forces politiques à l’ONU. Dans cette enceinte, en assemblée générale, la règle « un pays, une voix » s’impose.
Le Crif : Cela veut dire qu’une majorité des pays du Sud global ne voient pas que l’Iran est l’antithèse des Droits de l’Homme, et en particulier des droits des femmes ?
François Zimeray : On assiste au recul de l’universalisme des Droits de l’Homme cher à René Cassin, qui avait porté avec d’autres, après la Seconde Guerre mondiale, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Cette idée qu’il existe des droits universels ne me paraît plus aussi largement partagée. Pas davantage par les nouvelles générations, sensibles au différentialisme. Ils sont sensibles à la petite musique des communautés, des catégories, bien plus qu’à l’idée d’une seule « famille humaine ».
L’Iran aux droits de l’Homme c’est évidemment grotesque, mais il ne faut pas oublier que c’est aussi un vote de l’ONU qui a légitimé la création de l’État d’Israël. Nous vivons dans un monde complexe, tourmenté et menaçant. L’ONU est loin d’être parfaite mais elle demeure le lieu unique et nécessaire d’un dialogue entre les nations.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet, le 8 novembre 2023
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