« Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Général, Messieurs les Colonels,
Monsieur le Procureur général,
Mesdames et Messieurs les maires et élus,
Mesdames et messieurs les représentants des cultes, des médias et de la société civile,
Cher Hassen Chalghoumi, président de la conférence des Imams de France
Chère Nathalie Saint-Cricq, Cher Olivier Saint-Cricq,
Cher François Guguenheim,
Très chers amis,
On dit souvent que ce sont les petites histoires qui font la grande Histoire.
Pour les Français juifs, venus de Tours ou d’ailleurs, on pourrait dire que ce sont les histoires régionales qui racontent notre grande histoire nationale.
Parcourir l’histoire des Juifs de Touraine, c’est, en effet, nous rappeler une présence millénaire incontestable sur le territoire français. C’est aussi nous souvenir que, là où s’établit une présence juive, la menace de l’antisémitisme n’est jamais bien loin. Maintes fois rejetés, persécutés et expulsés, les Juifs de Tours furent les premières victimes de l’accusation d’empoisonnement des puits, l’un des complots les plus dévastateurs de notre histoire.
Malgré ces drames, c’est aussi constater la capacité de résilience des Juifs qui, à partir de la signature du décret d’émancipation le 27 septembre 1791 et tout au long du 19ème siècle, ont su renaître à la fois en tant que communautés mais surtout en tant que citoyens français.
Parcourir l’histoire des Juifs de Touraine, c’est aussi garder le souvenir des heures les plus douloureuses, encore si proches de nous mais dont la mémoire s’éloigne déjà pas à pas. Ici, à Tours, plus de 1000 personnes ont été déportées durant la Shoah. Les trois quarts n’en sont pas revenus vivants. Le dernier quart, quant à lui, s’est courageusement employé à reconstruction collective dès la guerre terminée, permettant à la communauté de renaître de ses cendres, une nouvelle fois.
Cette histoire laisse apparaître les étapes les plus marquantes traversées par les Français juifs à travers les siècles. Tissés les uns aux autres, les temps de trouble, de menaces, et de haine, s’entrelacent aux temps d’épanouissement, de prospérité et de reconstruction, en nous rappelant le croisement complexe du fil de chaîne et du fil de trame.
De nos jours, ces temps continuent à se succéder, mais d’une manière moins intense et moins cloisonnée, ils se confondent parfois. Certains lieux sont plus exposés à cette instabilité. A Tours, la vie juive apparaît relativement calme et préservée.
Cet équilibre, nous le devons en partie à nos deux représentants régionaux, que je tiens à remercier : François Guguenheim, président du Crif Poitou-Charentes, et Eliane Klein, présidente du Crif Centre. Leur travail contribue à faire vivre dans la région un judaïsme ancré dans son territoire et dans ses valeurs.
L’action du Crif au plan national n’aurait de sens sans celle des Crif régionaux. Acteurs de terrain, implantés au plus près des préoccupations des Français juifs, ils mènent aujourd’hui des combats indispensables, qu’il s’agisse de la lutte contre l’antisémitisme, du travail de mémoire, ou de la défense des valeurs républicaines, et assurent un dialogue de proximité avec les pouvoirs publics, les élus, les médias, le tissu associatif local ou la société civile.
Ces dernières semaines en ont donné une illustration : alors que Salah Hamouri, ancien membre du FPLP, une organisation reconnue comme terroriste par l’Union Européenne, multipliait les interventions dans les lieux publics, ce sont les Crif régionaux qui sont intervenus pour protester contre ces apparitions, en s’imposant comme interlocuteurs naturels auprès des acteurs impliqués. Parfois, comme à Lyon, des victoires ont pu être remportées. D’autres fois, hélas, les efforts n’ont pas été suffisants, ce qui nous rappelle qu’un long chemin reste encore à parcourir.
Il y a tout juste quelques semaines, nous étions à Paris, en présence de la Première ministre Elisabeth Borne, de nombreux membres du gouvernement, d’élus, de représentants d’institutions, des médias ou de la société civile pour le dîner national du Crif. Ce temps de dialogue fut un moment privilégié pour pouvoir exprimer, auprès des instances républicaines, nos doutes, nos inquiétudes, nos espoirs, mais aussi, en tant que citoyens français, redire avec force notre attachement à notre patrie et à ses principes.
Il s’agit aussi de rappeler le dialogue permanent entre les Français juifs et l’ensemble de la société. Je salue ainsi notre invité d’honneur Hassen Chalghoumi, dont la présence fidèle à nos événements incarne un puissant symbole de fraternité.
Mais au-delà de célébrer l’implication des Juifs dans la société française, le Dîner est le moyen pour nous d’exprimer notre reconnaissance à l’égard de ceux qui ont marqué notre histoire. Cette année, le prix régional est remis à Mireille et Jacques Saint-Cricq, dont nous célébrons, en le remettant symboliquement à leurs enfants, Nathalie et Olivier, l’engagement pour les valeurs humanistes et démocratiques, pour la liberté de la presse, pour le dialogue avec Israël, mais aussi contre les radicalités de toute sorte et contre l’obscurantisme. Ce combat qu’ils ont mené ensemble est celui qui nous inspire aujourd’hui.
Chers amis,
Qui dit affirmer nos valeurs dit aussi dénoncer celles auxquelles nous ne croyons pas.
Les temps agités que nous vivons actuellement, sur fond de conflit international, de tensions sociales, de crise de confiance dans nos institutions et de pessimisme ambiant nous appellent à la plus haute vigilance sur les questions d’antisémitisme et plus généralement de racisme et de rejet de l’Autre, car nous le savons, ces périodes troubles sont le terreau du développement de la Haine.
Sur le front de l’antisémitisme, des comportements et des idées toxiques demeurent. Les chiffres en attestent : depuis plus de vingt ans, plusieurs centaines d’actes sont commis chaque année. Malgré quelques variations enregistrées d’une année sur l’autre, cela représente plus d’un acte par jour, assez pour nous rappeler que l’antisémitisme demeure une menace ancrée dans le quotidien.
Quelle que soit son inspiration, la haine ou la stigmatisation des Juifs persiste comme un bruit de fond tout en multipliant ses visages. Transportée dans les valises idéologiques de l’islamisme, elle frappe des esprits vulnérables. Nichée dans les discours complotistes, elle cultive les préjugés séculaires. Maquillée en haine d’Israël, elle soulage les consciences de ceux qui n’osent afficher directement leur animosité envers les Juifs. Dissimulée dans le négationnisme ou plus souvent le relativisme historique, elle s’attaque à la Mémoire de la Shoah. Cultivée par les partisans de la France aux Français, elle prospère malgré leurs faux-semblants.
Les institutions républicaines constituent désormais le lieu d’une prise d’otages des questions d’antisémitisme, instrumentalisées pour servir les intérêts politiques des uns et des autres. Pour le Rassemblement national, la stratégie consiste à feindre d’être le défenseur des Juifs face à l’antisémitisme islamiste pour mieux passer sous silence la présence dans ses rangs de militants et candidats identitaires, ses positions sur l’abattage rituel ou le port de la kippa. De l’autre côté de l’échiquier politique, l’engagement de façade de LFI sur les questions d’antisémitisme ou de Mémoire de la Shoah, n’a qu’un objectif : contrebalancer l’antisionisme et l’hostilité affichée au seul Etat juif. A tous ceux-là, nous disons haut et fort qu’il ne peut y avoir d’indignation sélective. Une démarche sincère commence par dénoncer l’antisémitisme venu de ses propres rangs.
Je reste persuadé que, dans ce combat, nombreux seraient les citoyens à pouvoir devenir nos alliés. Ceux-ci sont parfaitement conscients que l’antisémitisme incarne un problème pour l’ensemble de la société, et pas seulement pour les Juifs. Pourtant, trop d’entre eux souffrent d’une méconnaissance de ce que représente réellement ce phénomène. Dans une société submergée par les informations, la collusion avec les idées antisémites est parfois si vicieuse que certains esprits de bonne foi peuvent se laissent égarer par les apparences trompeuses.
Puisque nous sommes à Tours, permettez-moi de citer cette figure bien connue dans la région, dont nous chérissons et préservons l’héritage humaniste cinq siècle plus tard. François Rabelais disait en effet que « l’ignorance est mère de tous les maux ». Comment le contredire ? Cette ignorance, c’est celle qui peut conduire certains à adhérer à des préjugés sans même s’apercevoir de leur nature problématique. C’est celle qui peut empêcher d’autres de réagir lorsqu’ils se retrouvent en position de témoin. C’est aussi tristement celle qui peut mener à un passage à l’acte…
En ce qui concerne l’antisémitisme, l’ignorance est donc bien mère de tous les maux… et nous enseigne que le meilleur moyen de le combattre est avant tout de le connaître.
Chers amis,
La France n’est pas le seul pays à traverser des perturbations. Israël vit aujourd’hui une crise démocratique sans précédent.
Observateur attentif et inquiet de la situation, le Crif a toujours exprimé sa confiance dans la capacité d’Israël à trouver son point d’équilibre, en saluant la vitalité démocratique de la société israélienne.
Cependant, bien conscients de ce que nous, Juifs de diaspora, devons à la démocratie libérale et à l’État de droit, nous n’hésitons pas à dénoncer tout ce qui pourrait lui porter atteinte. Les violences inadmissibles qui ont eu lieu à Hawara, les discours haineux et stigmatisants nécessitent une condamnation sans équivoque de notre part. Il ne s’agit pas ici d’un raisonnement politique mais d’une position morale non négociable.
A l’heure où la Démocratie, en France et dans le monde, fait l’objet de doutes et de remises en question, il est de notre devoir, en tant que Français juifs, de rappeler notre attachement indéfectible à ses valeurs.
C’est un devoir de reconnaissance à notre patrie, qui nous a fait cadeau de la citoyenneté il y a près de 250 ans.
C’est un devoir de reconnaissance également à nos ancêtres qui, 80 ans auparavant, se sont réunis dans la clandestinité, au péril de leur vie, pour lutter contre l’ennemi, en posant les fondations d’une structure unie et protectrice, qui est celle que nous représentons aujourd’hui.
Pour honorer la mémoire de ceux-là, à nous de devenir les porte-drapeaux d’une démocratie forte, au sein d’une République prospère et confiante en l’avenir.
Je vous remercie. »