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Publié le 2 Novembre 2022

L'entretien du Crif - Carole Delga : "Sans aucune faiblesse, nous devons combattre cet antisémitisme idéologique, politique"

En Occitanie, où le fléau du racisme et de l’antisémitisme se fait parfois sentir avec virulence, Carole Delga, Présidente du conseil régional d'Occitanie, évoque les actions menées au quotidien dans la région.

Dans un paysage politique français marqué par le poids des radicalités (d’extrême droite et de gauche radicale), quelles sont vos propositions pour remédier à cette situation, propositions dans le domaine institutionnel et politique ?

Carole Delga : Il faut retrouver le chemin d’un dialogue apaisé avec les Français. Depuis longtemps, je reste persuadée que nous devons changer d’approche : les décisions sont trop centralisées, trop verticales, souvent trop éloignées de ce que vivent nos concitoyens. Cela crée de la défiance, voire de la colère.

Ce changement est ce que j’appelle la République des Territoires. Cette idée si simple, si majoritaire aussi, que la proximité permet de répondre plus vite et surtout mieux aux besoins des gens et des territoires. Je parle d’une réflexion globale et collective autour de quelques questions qui concernant notre avenir : quel rôle l’Etat doit-il jouer au XXIè siècle ? Quelle place pour l’initiative locale ? Quel rôle, surtout, pour les citoyens que nous sommes ?

Il ne s’agit pas d’une simple ambition de gestion du pays. Il s’agit de briser le carcan des conservatismes et la montée des extrémismes, politiques comme religieux, qui gagnent aujourd’hui du terrain. Il faut aussi savoir s’extraire de l’émotion qui prend trop souvent le pas sur la raison.

Face à ces dangers, la gauche a la responsabilité de bâtir un nouveau chemin, une nouvelle espérance pour notre pacte républicain. Ma gauche, ce n’est pas celle de l’incantation, mais celle de l’action. C’est « la gauche du faire » qui, partout en France, se bat au quotidien, qui fait naître de nouveaux droits, comme je m’y emploie dans une région de 6 millions d’habitants, l’Occitanie. Par exemple, décider de la gratuité des transports en commun, prendre en main l’orientation pour épauler nos jeunes et leurs familles, ou encore salarier des médecins dans les déserts médicaux pour garantir l’accès aux soins.

Nous devons nous remettre au travail sur les grands sujets que sont l’éducation, le travail, la souveraineté, le climat, la sécurité ou encore la justice. Ces sujets sont pour moi reliés entre eux et dessinent, selon l’orientation politique, deux France au choix : soit une France repliée sur elle-même, bousculée par les tensions identitaires, où règne l’individualisme et le chacun pour soi ; soit une France, positive, confiante, solidaire, qui réinscrit son Histoire dans le pas des Lumières.

 

Votre famille politique, socialiste, est en crise. D’un côté le PS a fait alliance au printemps avec LFI de JL Mélenchon, de l’autre un groupe de personnalités, dont Bernard Cazeneuve et vous-même, ont fait un autre choix. Quel est l’objectif de votre démarche ?

Carole Delga : La politique entière est en crise. Cet été, on a discuté de cravate, de karting et de barbecue... à gauche comme à droite, le débat n’est pas à la hauteur de l’angoisse des Français et ça fait le lit de l’extrême droite : elle n’a jamais fait autant de voix dans notre pays et 89 députés du RN sont entrés à l’Assemblée nationale en juin dernier. Voilà le risque premier pour notre République, celui de la banalisation, de la résignation, de l’acceptation. On ne s’abstient pas, pas plus qu’on vote blanc, face à une candidate d’extrême droite ; on ne combine pas avec les voix de l’extrême droite ; on ne faiblit jamais face aux idées d’extrême droite.

Pour la gauche, avec d’autres, nous sommes convaincus qu’il existe un chemin entre le libéralisme d’Emmanuel Macron et le bolivarisme de Jean-Luc Mélenchon. Je revendique haut et fort de pratiquer en Occitanie l’union de la gauche depuis très longtemps avec les socialistes, les communistes, les écologistes, les radicaux de gauche et avec la société civile. Nous ne l’avons pas découverte au lendemain des présidentielles.

J’ai, par contre, des désaccords profonds avec Jean-Luc Mélenchon notamment sur les sujets régaliens qui gouvernent l’avenir d’un grand pays comme la France : la diplomatie, la défense, la sécurité, la justice, le budget. De la même manière, certains cadres de la France Insoumise ont des faiblesses sur les questions de la laïcité ou encore dans la lutte contre l’antisémitisme. On ne défile pas aux côtés d’organisations islamistes, comme on ne s’affiche pas avec Jéremy Corbyn ; et on condamne l’attentat dont a été victime Salman Rushdie. La clarté doit être absolue. On ne transige jamais avec les valeurs de la République.

J’aime beaucoup l’expression de Jacques Brel, « je suis debout et en mouvement ». Debout, car j’ai des valeurs et des convictions chevillées au corps. En mouvement, car ce qui me passionne le plus, c'est de trouver des solutions pour les gens. Je veux une gauche qui parle des vrais sujets . Je ne conçois le progrès que s’il protège les plus modestes et s’il protège des changements climatiques.

 

Dans certaines régions, dont la vôtre en Occitanie, le fléau du racisme et de l’antisémitisme se fait sentir avec virulence parfois. Quel constat faites-vous de ce problème, et quelles sont les actions que vous menez au niveau de la région et que vous préconisez au niveau national ?

Carole Delga : Aucun territoire, aucun milieu, n’est épargné par le racisme et l’antisémitisme. En Occitanie, nous sommes marqués à jamais par la douleur des attentats de Montauban et de Toulouse en mars 2012. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, des enfants juifs étaient exécutés. Cela se passait dans une école de la République. À l’époque, la mobilisation de l’ensemble du corps social dans le pays n’a pas été à la hauteur de cette tragédie. C’est notamment au travers de l’action sans relâche du Crif Toulouse que la prise de conscience a été possible.

L’antisémitisme continue de tuer en France et en Europe. Au quotidien, il blesse, souille, humilie : profanations de sépulture, crachats à la sortie de la synagogue, harcèlement dans les écoles, injures dans les manifestations, recherche obsessionnelle sur Internet de qui est juif, etc.

Sans aucune faiblesse, nous devons combattre cet antisémitisme idéologique, politique, souvent caché derrière l’antisionisme, qui interagit avec un antisémitisme plus insidieux, plus invisible, celui que je qualifierai « du coin de la rue ».

La réponse doit être la République, partout : dans les centres-villes, dans la ruralité, dans les quartiers. Il ne doit plus y avoir de territoire perdu pour la République, comme alertait déjà Georges Bensoussan il y a 20 ans.

Il faut condamner très fermement les actes racistes, antisémites, intégristes, négationnistes, complotistes. Comme les discriminations. Nos lois le permettent. Il ne faut rien laisser passer, ne rien minimiser comme ce fut le cas un temps pour Dieudonné, porter plainte, signaler sur Internet, enquêter, juger sans attendre. C’est une question de dignité.

Notre école doit redevenir l’instrument d’enracinement de l’idée républicaine, d’émancipation. L’espace où l’on forme les citoyens à la critique, au dialogue, à la liberté. Où chacun se voit ouvrir un horizon plus large. Il faut mieux soutenir nos enseignants dans leur mission de transmission, d’explication des valeurs de la République, dont la laïcité, comme l’analyse très bien Iannis Roder.

Enfin, il faut continuer à soutenir l’engagement associatif, ses militants et bénévoles, en apportant notre aide à leurs actions, et je salue le travail essentiel du CRIF, de l’UEJF, de la LICRA ou encore de SOS Racisme.

C’est l’esprit du grand plan d’actions contre le racisme et l’antisémitisme que nous avons bâti, avec de moyens importants, en Occitanie. Nous continuerons d’agir fortement auprès des jeunes pour déconstruire les préjugés, pour décrypter l’information, pour enseigner l’histoire des génocides ou encore pour lutter contre l’extrémisme ou la radicalisation. Je veux même aller plus loin en Europe au regard de la situation politique. Je vais donc écrire à toutes les Régions européennes pour leur proposer de lancer le premier Réseau des Régions d’Europe contre le racisme et l’antisémitisme.