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Publié le 15 Juillet 2022

Interview Crif - Entretien avec David Korn-Brzoza, le réalisateur du documentaire "La rafle du Vel d'Hiv, la honte et les larmes"

David Korn-Brzoza a réalisé avec l'historien Laurent Joly, un documentaire exceptionnel "La rafle du Vel d'Hiv, la honte et les larmes", dans le cadre du 80ème anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv. Ce documentaire entrecroise des témoignages contemporains des victimes de la rafle, des images colorisées du Paris de l'époque, mais aussi des séquences d'animations vouées à combler le manque d'images d'archives de cette rafle (par exemple, la séquence à l'intérieur du Vélodrome d'hiver). Entretien avec le réalisateur du documentaire, David Korn-Brzoza.

Crif : Pouvez-vous nous expliquer comment vous est venue cette idée, dont le rendu en plus d'être passionnant sur le plan historique et particulièrement émouvant, est une prouesse esthétique ?

David Korn-Brzoza : Transmettre l'histoire terrible de la rafle du Vel d'Hiv posait plusieurs défis. Un défi historique : trouver les documents et archives liés à notre histoire. Un défi esthétique : Que montrer ? Comment raconter cette histoire. Il n'y a qu'une seule photographie de la rafle. Elle montre l'extérieur du Vélodrome devant lequel des autobus et voitures de police stationnent.

Par ailleurs, le Vel d'Hiv reste un mot très flou pour la plupart des gens. Où est-ce ? Est-ce dans Paris ? En banlieue, en province ? Très vite l'idée d'intégrer un plan de Paris s'est imposé pour pouvoir vraiment situer le Vel d'Hiv et comprendre que ce vélodrome était à quelques centaines de mètres de la tour Eiffel. J'ai opté pour l'image 3D qui permet de voyager entre les immeubles, de situer le Vel d'Hiv dans son environnement et de comprendre à quoi ressemblait ce vélodrome de 17 000 places.

A ces images 3D, nous avons bien sur retrouvé des documents, des rapports de police, des fiches du fichiers juifs. Tous ces documents, que Laurent Joly connait bien, permettent de comprendre d'où venaient les ordres, et comment s'est déroulé la rafle. Plusieurs de ces documents sont totalement inédits.

Il y a bien sur les entretiens exceptionnels avec nos 8 témoins ; J'ai eu la chance de les rencontrer et de les interviewer. Ce sont des moments extraordinaires. Ils vous transmettent des parcelles de vie. Leur parole est précieuse. Ils racontent avec pudeur ce qu'ils ont vécu. Ils avaient entre 8 et 17 ans en 1942. Ils racontent la rafle, les séparations, et comment ils ont réussi à survivre.

À cela, nous avons également ajouté des archives des années de guerre pour voir le Paris de l'époque que nous avons colorisés. Enfin, nous avons réalisé des dessins pour illustrer certaines séquences. Ce mélange d'images différentes s’enchaine de manière fluide et surtout rend l'histoire palpable. Plusieurs spectateurs m'ont dit avoir l'impression d'y être. Au final, personne ne perçoit le manque d'image.

 

Crif - Vous avez co-signé le scénario avec Laurent Joly. Comment construit-on le scénario d'un documentaire historique à quatre mains ? Comment se font les choix des images, la construction des images de synthèse, et le choix de la voix de Vincent Lindon pour entourer le tout ?

David Korn-Brzoza : Avec Laurent, c'est notre 3ème film. Nous avons déjà co-écrit ensemble « Dénoncer sous l'occupation » et « La police de Vichy ». Laurent apporte bien sur son savoir encyclopédique sur l'histoire que nous allons raconter. Puis nous en discutons. J'y ajoute ma sensibilité et mon regard, ainsi que ma connaissance des archives audiovisuelles de la période.

Avec Laurent nous affinons une première trame, puis je construis l'histoire. Nous échangeons régulièrement jusqu'à la fin du montage. Il y a des moments de négociation ou chacun aimerait garder une séquence ou la retirer. Mais au final, nos conversations et débats servent le film.

Il ne faut jamais perdre de vue qu'un documentaire n'est pas un cours d'histoire. Un documentaire, c'est un film, une expérience émotionnelle. Il faut que le spectateur une fois le film terminé soit transformé. Un documentaire doit à la fois transmettre une connaissance, mais aussi émouvoir, d'autant plus s’il est diffusé à une heure de grande écoute.

Le choix des images se fait en salle de montage avec mon monteur. Grace aux quantités énormes d'archives que je rassemble (archives audiovisuelles, journaux, photos, radios, affiches, documents) nous parvenons à construire notre récit en mettant en avant nos documents les plus forts ou nos archives les plus inédites. Dans le même temps, je définis progressivement la place de certaines séquences comme les dessins 2D ainsi que les images en 3D.
Pour la voix de Vincent Lindon, cela fait une dizaine d'année que nous travaillons ensemble.

Sa voix rauque, brisée de fumeur sert parfaitement le propos de mes documentaires. Pour un film de 90 minutes, nous travaillons 3 à 4 jours. Je vous encourage à voir mes autres films avec sa voix (Winston Churchill, un géant dans le siècle / La chute du Reich / Après Hitler ou encore Pearl Harbor, le monde s'embrase).

 

Crif - Votre documentaire a été diffusé lundi 11 juillet dernier en prime sur France 3. Une diffusion sur le service public à une heure de grande écoute est déjà un signe d'intérêt particulier porté à ce sujet. Au-delà de cette diffusion, qui espérez-vous toucher avec ce documentaire ?

David Korn-Brzoza : Tout d'abord, il faut vraiment remercier France télévisions qui ose financer et programmer un tel film. C'est tout à l'honneur du service public. La France regarde son histoire en face, sans tabou et nous pouvons prendre conscience de la chance de vivre dans une grande démocratie. Bien sur un tel film touche la communauté juive, mais pas seulement. Cette histoire fait partie de notre histoire nationale.

Ce documentaire, comme d'autres, sont parfois la première marche du public à la compréhension de ce qui s'est déroulé pendant une période donnée. C'est parfois par le biais de documentaires, de fictions, d’expositions, de romans, de BD, que le public, quel que soit son âge, touche du doigt ce que fut une période glorieuse ou tragique de notre histoire.

Ce film vient j'espère clouer le bec à ceux qui souhaitent réhabiliter le régime de Vichy. Nous espérons bien entendu que ce film sera diffusé et rediffusé à la télévision, mais aussi dans les écoles, ou dans les lieux de mémoire.

Pour ne jamais oublier, il faut continuer à raconter. Les témoins directs disparaissent. Ce film est peut-être le dernier à leur donner la parole. Ce film perpétue leurs mémoires, la mémoire de la Shoah et la mémoire de ce que fut la France durant les années noires.

 

Pour voir le documentaire, cliquez ici : La rafle du Vel d'Hiv, la honte et les larmes

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