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Publié le 26 Janvier 2022

France - Antisémitisme : agressions, moqueries, préjugés… le sombre constat d’une étude menée en France

Selon une étude Ifop réalisée pour l’American Jewish Committee (AJC) et la Fondation pour l’Innovation politique, 68% des Français juifs déclarent avoir subi moqueries et vexations, 20% avoir été victimes d’agressions physiques.

Publié le 25 janvier dans Le Parisien

Etre juif en France, c’est avoir une vie différente de ses compatriotes, un quotidien où l’on dissimule souvent sa religion, où l’on élabore des stratégies par crainte de violences, verbales ou physiques. Tel est le terrible constat de l’enquête Ifop réalisée pour l’American Jewish Committee (AJC) et la Fondation pour l’Innovation politique, que nous dévoilons en exclusivité.

En cette veille du 77e anniversaire de la libération du camp de la mort d’Auschwitz (Pologne) – où se rendra jeudi le Premier ministre Jean Castex – comment ne pas frémir devant ce chiffre : 85 % des Français juifs, et 64 % de l’ensemble de la population, estiment que l’antisémitisme est un sentiment répandu dans notre pays. Concrètement, 68 % des juifs déclarent avoir subi moqueries et vexations, 20 % avoir été victimes d’agressions physiques.

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Et ces pourcentages grimpent dès que les intéressés portent des signes religieux telles que la kippa ou l’étoile de David : 78 % pour les attaques verbales, 29 % pour les violences physiques, principalement dans la rue. « 1 % de la population française cumule 40 à 50% des actes racistes commis dans le pays », résume amèrement Simone Rodan, directrice Europe de l’AJC. Seule (relative) bonne nouvelle : 73 % des personnes interrogées jugent que le problème concerne l’ensemble de la société et pas seulement les juifs. « Nous n’aurions pas eu un chiffre aussi élevé il y a encore quelques années », commente le politologue Dominique Reynié.

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Si l’ampleur du phénomène et la persistance des préjugés restent désespérément stables (presqu’un Français sur trois – 30 %- pense que les Juifs sont plus riches que la moyenne, un sur quatre qu’ils ont trop de pouvoir dans la finance et les médias), l’aspect le plus frappant de l’enquête touche l’école et les enfants.

L’école en échec

A la question sur les lieux où ont été vécues les insultes antisémites, la première réponse (60 %) est l’école – collège, lycée, université… Pire, 18 % des parents sondés révèlent que leur enfant a été agressé physiquement parce que juif.

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« Quel contraste entre le discours sur l’école et sa fonction d’intégration, de partage des valeurs, et cette réalité où l’école est un endroit dangereux pour les enfants juifs : c’est un échec politique » fustige Dominique Reynié.

Echec dont Simone Rodan souligne les conséquences. « En Seine-Saint-Denis, dans certains quartiers parisiens, les familles en viennent à quitter l’enseignement public, c’est bouleversant ». Le plus triste étant que les parents demandent à leurs enfants d’éviter de se rendre dans certains quartiers (à 60 %) et de ne pas porter de signes distinctifs (55 %).

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Un comportement digne des heures sombres de l’Histoire – mais ne criait-on pas « Mort aux juifs ! » dans des manifestations à Paris en 2014 contre l’opération israélienne à Gaza – adopté aussi par les adultes : près d’un Français juif sur deux (48 %, et même 63 % pour ceux ayant déjà subi une agression) garde secrète sa religion dans une discussion.

Les causes de l’antisémitisme ? En premier « la haine d’Israël », répondent les Juifs (62 %) et l’ensemble des sondés (53 %). Depuis les années 2000 et les répercussions dans la société française de la deuxième Intifada, les actes antisémites gonflent à chaque période de tension entre Israël et Palestiniens. Ils ont aussi grimpé après le massacre de Mohamed Merah à l’école Ozar Hatorah de Toulouse en 2012, « comme si la figure médiatisée du terroriste avait fait des émules », rappelle Simone Rodan. Sans surprise, l’enquête confirme la place croissante des réseaux sociaux dans la diffusion des préjugés, tout particulièrement d’ailleurs chez les antivax – « l’antisémitisme est un classique de la part des mouvements antipolitiques » selon Reynié.

 

Méthodologie - résumé : l’Ifop a conduit simultanément trois enquêtes par Internet auprès d'un échantillon de 521 Français de confession ou de culture juive, d'un échantillon de 501 Français de confession ou de culture musulmane et d'un échantillon de 1509 personnes, représentatif de la population française dans son ensemble. L'échantillon de Français de confession ou de culture juive a été extrait d'un échantillon cumulé de 34 800 personnes, représentatif de la population française. La représentativité des échantillons Français de confession musulmane et grand public (population française dans son ensemble) a été assurée grâce à la méthode des quotas (sexe, âge, profession, région et catégorie d'agglomération). Les quotas pour l'échantillon Français de confession musulmane ont été déterminés à partir des données de l'étude Ifop/Institut Montaigne réalisée en 2016. Les enquêtes ont été réalisées du 24 novembre 2021 au 10 janvier 2022.

L’enquête Ifop permet de zoomer aussi sur l’opinion des Français musulmans et catholiques. Aux yeux des premiers, c’est le discours de l’extrême-droite qui est le premier facteur de l’antisémitisme (49 %). Pour les seconds, c’est la propagation des idées islamistes (à 54 %, contre 20 % seulement pour les musulmans). En affinant encore la lecture des résultats, on constate que l’adhésion aux préjugés antisémites est plus forte chez les musulmans fréquentant assidûment la mosquée : parmi ceux-ci, 61 % pensent que les Juifs ont trop de pouvoir, contre 40 % parmi les non-pratiquants.

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Un motif d’espoir toutefois : les jeunes générations musulmanes paraissent moins accros aux préjugés que les anciennes. Ainsi, sur l’item « les juifs ont trop de pouvoir dans la finance », 59 % des plus de 50 ans le pensent contre « seulement » 40 % des 18-24 ans.

Une évidence au terme du sondage : en pleine campagne présidentielle, la question de l’antisémitisme en France – ainsi bien sûr que les autres formes de racisme – mérite d’être traitée autrement que par des slogans.

 

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