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Publié le 13 septembre dans Le Figaro
«La menace de l'antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs. C'est une mèche qui doit être éteinte. Mais le meilleur moyen de la désamorcer c'est de travailler ensemble de manière positive, c'est de promouvoir la fraternité.» Les premières paroles officielles du pape François, arrivé dimanche matin en Hongrie pour une visite de quelques heures qu'il poursuivra par trois jours en Slovaquie, auront été pour mettre en garde contre l'antisémitisme et ses «relents de haine». Le pape a proposé l'antidote d'une «éducation à la fraternité» pour que «les ghettos ne se reproduisent plus».
Il s'adressait alors aux autres religions présentes en Hongrie dont la communauté juive, la plus importante d'Europe centrale, avec une centaine de milliers de fidèles. Les chiffres officiels d'appartenance religieuse en Hongrie donnent 61% de catholiques pour 15% de protestants et 18% d'athées, les juifs représentant environ 1% de la population.
Peu d'informations sur le rendez-vous
François venait de rencontrer dans un huis clos total et dans le même musée des beaux-arts le président Hongrois Janos Ader et son premier ministre Victor Orban. En milieu de matinée dimanche peu d'informations avaient filtré de ce rendez-vous, pourtant très attendu, qui a duré un quart d'heure, le pape ayant plutôt marqué une forte distance vis-à-vis du premier ministre hongrois avant de quitter Rome. «J'ai demandé au pape de ne pas laisser périr les chrétiens de Hongrie», a rapporté de son côté le premier ministre sur son compte Facebook, où il a publié une photo de sa poignée de main avec le chef des 1,3 milliard de catholiques. Orban, qui se présente comme le rempart numéro un en Europe contre «l'invasion musulmane», a par ailleurs offert à François la copie d'une lettre de 1250 d'un roi hongrois envoyée au pape de l'époque, implorant l'aide de l'Occident contre les guerriers tatars menaçant la Hongrie chrétienne.
Sur les images diffusées par la chaîne télévisée officielle du Vatican, qui a évoqué une rencontre «cordiale» de quarante minutes, le souverain pontife est apparu dimanche tout sourire, Victor Orban semblant légèrement plus réservé. Un communiqué du Vatican a simplement indiqué que la rencontre avec le président et le premier ministre hongrois s'est déroulée dans une «atmosphère cordiale». Ont été discutés, selon cette source, «le rôle de l'Église dans ce pays, l'engagement pour la protection de l'environnement, la protection et la promotion de la famille.»
«Je vous vois comme des frères dans la foi d'Abraham notre père, a continué le pape en s'adressant à la communauté juive mais aussi aux autres chrétiens. J'apprécie beaucoup l'engagement dont vous avez fait preuve afin d'abattre les murs de séparation du passé. Juifs et chrétiens, vous désirez voir dans l'autre non plus un étranger, mais un ami ; non plus un adversaire, mais un frère.» Ce qui représente aux yeux du pape «un changement de regard béni par Dieu», une forme de «conversion» et de «purification qui renouvelle la vie.» À cet égard, le pape a exprimé ses «meilleurs vœux» à la communauté juive qui vient de fêter Rosh Hashanah et Yom Kippour, soit une nouvelle année dans le calendrier juif. Il a appelé entre chrétiens et juifs à passer «de la haine et de l'indifférence à la patrie tant désirée de la communion.»
Je pense à la menace de l'antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs. C'est une mèche qui doit être éteinte
Ce qui implique de «laisser les incompréhensions du passé, les prétentions d'avoir raison et de donner tort aux autres». Le pape a utilisé l'image du Pont des Chaînes de Budapest, la capitale de la Hongrie, pour donner l'esprit de ce rapprochement. Ce pont «ne fusionne pas» les deux parties de la ville «mais les maintient unies». C'est ainsi «que doivent être les liens entre nous». Car «chaque fois qu'il y a eu la tentation d'absorber l'autre, on n'a pas construit mais on a détruit. De même lorsqu'on a voulu le mettre dans un ghetto, au lieu de l'intégrer. Que de fois c'est arrivé dans l'histoire ! Nous devons veiller et prier pour que ça ne se reproduise plus. Et nous engager à promouvoir ensemble une éducation à la fraternité, afin que les relents de haine qui veulent la détruire ne prévalent pas.» C'est alors qu'il a lancé cette mise en garde : «Je pense à la menace de l'antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs. C'est une mèche qui doit être éteinte. Mais le meilleur moyen de la désamorcer c'est de travailler ensemble de manière positive, c'est de promouvoir la fraternité.» Ajoutant : «nous ne pouvons plus vivre dans la suspicion et dans l'ignorance, distants et discordants.»
Le pape invoque Miklós Radnóti et Rainer Maria Rilke
Pour conclure le pape a longuement cité un poète juif hongrois, mort sous la férule nazie, Miklós Radnóti. Il fut «brisé par la haine aveugle» dans un «camp de concentration, l'abîme le plus obscure et dépravé de l'humanité.» Le pape a cité ce passage écrit juste avant la mort cet écrivain : «Moi-même je suis racine à présent… J'étais une fleur, je suis devenu racine». En observant : «Nous sommes appelés, nous aussi, à devenir des racines. Nous cherchons souvent les fruits, les résultats, l'affirmation» mais, citant le poète Rainer Maria Rilke : «Dieu attend ailleurs, il attend tapi au fond de toute chose. En bas. Enfoui profondément. Là où sont les racines.» Et d'expliquer : «On rejoint la hauteur seulement si l'on est enraciné en profondeur.»
La forte attention portée par le pape à la communauté juive plutôt qu'à la forte minorité protestante hongroise, présente dans la salle, ou aux représentants de l'Église orthodoxe, peut s'expliquer par le contexte politique de ce pays mais aussi par un incident récent entre François et la communauté juive mondiale à la suite d'une phrase du pape, mal interprétée et aujourd'hui rattrapé. Il avait lancé à propos de la loi juive, le 11 août lors d'une audience générale : «la Loi ne donne pas la vie». À la fin de son discours, le pape s'est excusé d'avoir prononcé son discours «en restant assis», en disant «je n'ai plus 15 ans !» Âgé de 84 ans, il est encore en convalescence d'une importante opération à l'intestin subie en juillet dernier et ce voyage constitue un test du point de vue de sa santé.
Clôture de la messe du Congrès eucharistique international
Si la réelle teneur de la discussion à huis clos entre le pape François et Viktor Orban n'a pas été divulguée, le souverain pontife a plus tard semblé indirectement répondre à son hôte en clôturant la messe du Congrès eucharistique international, la vraie raison de sa visite. «Le sentiment religieux est la sève de cette nation si attachée à ses racines», a-t-il fait remarquer devant une immense foule. «Mais la croix, plantée en terre, en plus de nous inviter à bien nous enraciner, élève et étend ses bras vers tous (...) Mon souhait est que vous soyez ainsi : ancrés et ouverts, enracinés et respectueux», a-t-il intimé. Devant les évêques, il a lancé un message similaire. Face à la «diversité», il a appelé à «s'ouvrir à la rencontre aux autres» plutôt qu'à «s'enfermer dans une défense rigide de notre soi-disant identité».
Jorge Bergoglio, lui-même issu d'une famille d'émigrés italiens venus en Argentine, n'a de cesse de rappeler à la vieille Europe son passé bâti par des vagues de nouveaux arrivants. Et sans jamais épingler des dirigeants politiques nommément, il fustige régulièrement «le souverainisme», déclinant selon lui des discours ressemblant à ceux d'Hitler. Cet engagement, qui suscite parfois l'incompréhension dans les rangs mêmes des catholiques, lui a valu d'être traité «d'imbécile» par les médias pro-Orban.