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Publié le 30 juin sur le site Toute la culture
Peu nombreux se souviennent d’une chanson de Mike Brant intitulée Un grand bonheur. C’est un seul vers de cette chanson, Si maintenant j’oublie mon île, qui a touché Serge Airoldi au point de prendre la plume et de la laisser aller au gré des émotions que lui inspirait l’histoire personnelle de Moshé Brand dit Mike Brant. Il imagine une rencontre épistolaire avec le chanteur à laquelle ce dernier, mort trop jeune, n’aurait jamais répondu. Il l’interpelle au fil d’une enquête qui va de sa naissance à Chypre jusqu’à cette rue Erlanger du nom d’un banquier Juif et que Vichy aura tenté de débaptiser.
Une origine chahutée par l’histoire
Mike Brant est le fils de Fishel Brand, juif polonais de Bigoraj, professeur de danse de salon devenu maquisard auprès de l’armée russe pour combattre le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale, et de Bronia Rosenberg, juive également polonaise et survivante du camp d’extermination d’Auschwitz, qui a vu son père se faire tuer et sa mère mourir de faim sous ses yeux. Fishel rencontre Bronia à la sortie de la guerre sur le navire qui devait les conduire en terre d’Israël.
Une carrière courte mais riche.
Mike Brant vend dans l’Hexagone le chiffre record de 15 millions de disques en seulement cinq ans de carrière. En 1973 et 1974, il chante Viens ce soir, C’est comme ça que je t’aime, On se retrouve par hasard et Qui pourra te dire ? Il multiplie les tournées, donnant plus de deux-cent cinquante galas en 1973 et soixante-dix pendant l’été 1974. La même année, il se rend en Israël pour soutenir le moral des soldats de son pays confronté à une guerre de Kippour qui faillit rayer le pays de la carte, en chantant devant eux et en donnant son sang devant les photographes.
Traumatismes à tous les étages
Épuisé par le rythme de sa carrière, affecté par la guerre dans son pays, hanté par le spectre de la Shoah, il fait un séjour dans un hôpital de repos à Genève où on lui diagnostique une dépression. Régulièrement assailli par ses groupies, il craint d’être une cible comme les athlètes israéliens assassinés par des terroristes palestiniens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. Il fait une première tentative de suicide le 22 novembre 1974, en se jetant du cinquième étage de l’hôtel de la Paix à Genève. Il en ressort avec un traumatisme crânien et une double fracture de la jambe. À son arrivée à l’hôpital, où il restera deux mois, il a un moment de délire, croyant être dans un camp de concentration. Le vendredi 25 avril 1975, jour de la sortie de son nouveau disque, à 11 h 15, l’artiste se précipite du sixième étage d’un immeuble situé rue Erlanger. Il meurt dans l’ambulance qui le transporte à l’hôpital Ambroise-Paré. La semaine suivante, Dis-lui sort dans les bacs et se vendra à plus de 500 000 exemplaires.
Serge Airoldi chemine dans cette bio comme le ferait un ami attentif qui aurait connu l’artiste et qui reviendrait avec tendresse sur ce qui l’a construit au-delà de la simple image d’idole des jeunes. Le livre s’enfonce dans les traumas et dans les espoirs au plus près de l’intime de Moshé Brand. Le voyage est captivant, car enrichi de l’érudition de l’auteur, de sa délicieuse audace à associer des coq-à-l’âne ou à les mettre en coïncidence, et de son amour pudique pour le chanteur. Airoldi déplie avec dextérité la course du monde ; et il explique comment, pour celui qui n’a connu que le succès, ce monde-là ne fut qu’un terrible shaker mental. En une grosse heure, le lecteur, qui ne saura quitter l’ouvrage, cheminera dans la vie d’un homme ; et du siècle tout simplement.
Si maintenant j’oublie mon île, Editions L’antilope, Serge Airoldi, 160 p., 17,00 € - En librairie le 19 août 2021