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Publié le 4 Juin 2021

Monde - La vie juive à Bahreïn: "Je n'ai jamais été confronté à l'antisémitisme à Manama"

En septembre 2020, Bahreïn et Israël ont normalisé leurs relations avec les accords d'Abraham signés à Washington, ouvrant la voie à une coopération dans de nombreux domaines, mais qu'en est-il de la vie juive à Bahreïn ? Ebrahim Nonoo, président de la communauté juive et de la synagogue "la Maison des Dix Commandements" à Manama, raconte à i24NEWS les particularités de cette communauté et ses liens avec Israël.

Publié le 4 juin dans i24News

Comment s’organise la vie juive à Bahreïn ? Combien de membres compte la communauté ?

Ebrahim Nonoo: Actuellement, il y a environ 50 Juifs qui vivent à Bahreïn (contre 800 dans les années 30 NDLR), plusieurs Bahreïnis de confession juive vivent aussi en Europe et font des allers retours.

Les Juifs à Bahreïn se sont habitués à célébrer les fêtes à la maison plutôt qu'à la synagogue car celle-ci n’accueille plus de fidèles depuis 1948. Le Shabbat en famille chez soi est donc devenu la norme et cela est encore vrai aujourd'hui. Certains de nos fils ont fait leur Bar Mitzvah à l'étranger tandis que d'autres ont eu la chance de la faire ici, la plus récente remonte à 2005. Nous attendons aussi avec impatience la célébration du premier mariage juif en 51 ans, qui aura lieu cette année.

Avant l'annonce des accords d'Abraham, nous avons commencé à discuter de la réouverture de notre synagogue, car de plus en plus de touristes juifs se rendent dans le Royaume et ont exprimé leur souhait de visiter la synagogue, qui est la plus ancienne du golfe Persique.

Juste avant Pessah, la "Maison des Dix Commandements" a rouvert ses portes, et nous y avons accueilli de nombreux touristes et des délégations d’Israéliens. En avril, nous avons célébré la première commémoration de Yom HaShoah dans la synagogue et il y a quelques semaines, nous avons eu l'honneur d'y apporter le rouleau de la Torah.

A Bahreïn, nous trouvons de la nourriture casher au supermarché, et certains hôtels proposent désormais des repas casher. Le Ritz Carlton de Manama a notamment été le premier hôtel du pays à mettre en place une formule casher, et cette tendance va se développer.

Dans quels secteurs travaillent les Juifs à Bahreïn?

E. N: Lorsque nos familles sont arrivées à Bahreïn dans les années 1880, la plupart sont devenus commerçants et ont ouvert leurs propres entreprises de textile, d'électronique et de change d’argent. D'autres travaillaient dans des compagnies pétrolières, dans la banque et aussi dans l’enseignement, des professions que beaucoup exercent encore aujourd'hui.

Nous sommes également nombreux à occuper des postes au sein du gouvernement. J'ai moi-même été nommé au Conseil de la Choura (la haute chambre du Parlement) en 2001. Ma cousine Houda Nonoo, a été nommée en 2006 par Sa Majesté le roi Hamad bin Isa al-Khalifa en tant qu'ambassadrice de Bahreïn auprès des États-Unis et ambassadrice non-résidente en Argentine, au Brésil, au Canada et au Mexique en 2008. Ce fut un moment historique pour Bahreïn car il est devenu le premier pays arabe à nommer une ambassadrice juive.

La plupart des Juifs du pays sont venus d'Iran et d'Irak, pour quelle raison ont-ils choisi spécifiquement de s’établir à Bahreïn ?

E. N: Nos familles originaires d'Irak étaient en quête de meilleures perspectives de vie, surtout du point de vue économique. Elles ont décidé de partir pour l'Inde mais en chemin, leur bateau a accosté à Bahreïn et elles ont décidé d'y rester. Depuis lors, la vie juive dans le Royaume a prospéré.

Bahreïn était une plateforme commerciale entre l'Inde et l'Europe dans la dernière partie du XIXe siècle. Les navires qui livraient des marchandises à Bassorah (Irak) décrivaient Bahreïn comme un endroit où il faisait bon vivre et c'est ainsi que la communauté s'est ensuite agrandie.

Les Juifs se sentent-ils en sécurité à Bahreïn, y a-t-il de l'antisémitisme?

E. N: Alors que l'antisémitisme est en hausse en Occident, nous n'avons aucun problème du genre à Bahreïn. Je n'ai jamais été confronté à l'antisémitisme à Manama. C’est un pays très sûr pour les Juifs. Ici, la religion est quelque chose de personnel, et nous la séparons de notre vie publique que ce soit dans nos relations d’affaires ou avec nos amis. La qualité de vie est excellente et c'est un endroit idéal pour élever une famille juive.

Historiquement, Bahreïn est le centre de la vie juive dans le Golfe. Il est réputé depuis longtemps pour sa tolérance, sa coexistence et sa liberté de culte, ayant toujours accueilli sur ses rives des personnes de confessions et de milieux très différents.

Nos familles juives ont toujours vécu aux côtés des familles musulmanes. Nos grands-parents nous racontaient notamment que les voisins les aidaient à chauffer leur nourriture le Shabbat. Des générations plus tard, nous continuons à célébrer ensemble les événements : mariages, repas du Ramadan, Shabbat. Sous la direction de Sa Majesté le roi Hamad bin Isa al-Khalifa, Bahreïn s’est engagé à faire régner la paix et le dialogue, ces valeurs nous sont inculquées dès l'enfance, et nous accompagnent à l’âge adulte.

Quel impact ont eu les accords d’Abraham sur la communauté juive à Bahreïn, cela a-t-il développé leur curiosité et leur intérêt pour Israël?

E. N: Notre première réaction a été l'étonnement. Nous étions surpris d'apprendre la normalisation des liens après des années et des années de vives critiques dans les journaux, condamnant Israël à tous les niveaux.

Beaucoup de Juifs ont envie de visiter Israël car nous y avons tous de la famille. En effet, de nombreux Juifs bahreïnis ont fait leur alyah en 1948 et nos parents ont été séparés de leurs proches qui se sont installés à Ramat Gan et Petah Tikva. En revanche, les Juifs vivant à Bahreïn n’ont pas pour projet de faire leur alyah car ils s’y sentent très bien.

Nous avons cependant besoin que nos enfants reviennent à Bahreïn et nous aident à développer la communauté; grâce aux accords d’Abraham, de nombreuses opportunités vont également nous être offertes afin de pérenniser la vie juive dans le Golfe.