Président de la Commission Souvenir du Crif
Le 19 avril, comme chaque année nous commémorons l’anniversaire du soulèvement du Ghetto de Varsovie. C’est l’occasion d’honorer la mémoire des hommes, des femmes et des enfants qui ont été exterminés. Dans ces chroniques avons voulu rappeler le souvenir des 100 000 enfants du Ghetto de Varsovie qui ont été tué à travers ces photographies emblématiques.
Deux enfants mendient dans le Ghetto de Varsovie
Crédit photo (c) : United States Holocaust Memorial Museum, courtesy of Guenther Schwarberg
Comment ne pas être ému en voyant cette photographie de ces deux enfants en train de mendier ?
Ces deux mendiants regarde fixement le photographe dont nous connaissons l’identité. Il s’agit d'Heinrich Joest, qui était sergent de l'armée allemande en poste à Varsovie le 19 septembre 1941. Ce jour-là, il avait décidé d'emmener son appareil photo Rolleiflex dans le ghetto parce qu'il voulait «voir ce qui se passait derrière les murs du ghetto». Une fois à l'intérieur, Joest a tourné 140 images de tous les aspects de la vie et de la mort du ghetto. Il a gardé les images pour lui jusqu'en 1982, date à laquelle il a rencontré Guenther Schwarberg, reporter pour le magazine "Der Stern", qui l'a interviewé et a facilité la publication de certaines de ses images en 1988.
La légende originale de cette photographie écrite de la main de Joest est la suivante "Je ne peux pas dire dans quelle rue c'était. Ils se sont assis partout, ces enfants affamés, et ont mendié pour un peu d'argent." Ces enfants assis par terre mendient afin de recueillir quelques zlotys pour pouvoir assouvir leur faim.
Les habitants du Ghetto de Varsovie aident parfois les mendiants mais avec l’aggravation de la famine sciemment entretenu par les Nazis, ils deviennent de plus en plus insensibles aux mendiants et aux enfants qui les implorent dans la rue, comme l’a rapporté le pianiste Wladyslaw Szpilman : « “On a tellement faim, tellement… On n’a rien mangé depuis des jours. Donnez-nous un quignon, rien qu’un quignon, ou si vous n’avez pas de pain au moins une pomme de terre, un oignon, juste de quoi tenir jusqu’à demain matin.» Certains enfants chantent une ritournelle en yiddish pour émouvoir les passants : « Mir hobn nisht oyf keyn zapasn Mir voynen in a keler a nasn / Mir dalfn nisht keyn tsuker, keyn shmaltz / Git unz a shtikl trunkn broyt un zaltz. » (Nous n’avons pas d’argent pour la nourriture stockée. Et dans un sol humide nous allons habiter. / De graisse et de sucre nous n’avons pas besoin. / Donnez-nous du sel et un vieux croûton de pain). Une jeune fille qui a vécu dans le Ghetto de Varsovie écrira plusieurs années plus tard : « Mes oreilles résonnent de la clameur assourdissante des rues bondées et des plaintes de ceux qui meurent sur les trottoirs. »
Chaque soir, les habitants du ghetto entendent les cris des enfants qui souffrent de la faim. Emmanuel Ringelblum note dans son journal, le 11 juillet 1941 : « Dans le silence de la nuit, les cris des enfants qui mendient ont une étrange résonance, et il faut avoir le cœur bien dur pour ne pas leur jeter un morceau de pain – à moins de fermer fenêtres et volets. Ces mendiants se moquent du couvre-feu, vous pouvez entendre leurs voix tard dans la nuit, à 11 heures et même à minuit. Ils ne craignent rien ni personne. […] Couramment, ces enfants mendiants meurent la nuit sur le trottoir. C’est ce qui est arrivé en face […], où un petit garçon de six ans a gémi toute la nuit, trop faible pour aller chercher un morceau de pain qui lui avait été jeté par la fenêtre. »
Ému par la situation désespérée des enfants, le président du Judenrat Adam Czerniakow évoque l’émotion qu’il a ressentie en rencontrant des enfants de 8 ans dans son journal le 14 juin 1942, il écrit : « J’ai honte de l’avouer, je n’avais pas pleuré ainsi depuis longtemps […]. Malédiction à ceux d’entre nous qui mangent et boivent, et qui oublient ces enfants. »
Les autorités allemandes se désintéressent totalement de la souffrance des enfants. En réponse à une demande de lait pour les nourrissons, le médecin allemand Wilhelm Hagen, l’officier sanitaire pour le ghetto, « demande qu’on ne l’importune pas avec de telles questions car les Juifs ont tout ce dont ils ont besoin grâce à la contrebande ». Après la guerre, Hagen est devenu médecin généraliste à Augsbourg, puis chargé de cours à l’université de Munich en 1948 : Ab 1949 war er Schriftleiter der Fachzeitschrift Der öffentliche Gesundheitsdienst. À partir de 1949, il a assuré la direction de la revue médicale "Der öffentliche Gesundheitsdienst". Il est devenu président du bureau fédéral de la Santé. Il a enseigné à l’université de Bonn à partir de 1952. Il est mort sereinement et tranquillement le 29 mars 1982.
La photographie suscite une émotion particulière quand on sait que ce petit garçon et cette petite fille ont été exterminé à Treblinka comme pratiquement tous les enfants du Ghetto de Varsovie…
Bruno Halioua
Pour en savoir plus : Les 948 jours du ghetto de Varsovie. Bruno Halioua. Ed Liana Levi. 253 pages. mars 2018.
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