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Publié le 9 Septembre 2020
Revue annuelle du Crif 2020 - Si c'est un homme : lutte contre le racisme et l'antisémitisme par la recherche
Le Crif bénéficie régulièrement de l’expertise et des contributions, analyses et articles de nombreux chercheurs.euses et intellectuel.eles sur les nouvelles formes d’antisémitisme, l’antisionisme, la délégitimation d’Israël, le racisme et les discriminations, les risques et enjeux géopolitiques et le terrorisme, notamment.
L’institution produit également des documents dans le cadre de sa newsletter, de la revue Les Études du Crif, sur son site Internet et sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement les analyses et les points de vue d’intellectuels. Des entretiens sont publiés également sur le site. Pour la collection des Études du Crif, plus de 130 intellectuels ont publié des textes.
Chaque année, nous demandons à plusieurs intellectuel.les de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle.
Si les textes publiés ici engagent la responsabilité de leurs auteur.es, ils permettent de débattre et de comprendre de phénomènes complexes (laïcité, mémoire, antisémitisme et racisme, identité…).
Dans les semaines à venir, vous aurez le loisir de découvrir ces contributions ! Bonne lecture !
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Si c'est un homme : lutte contre le racisme et l'antisémitisme par la recherche, par Céline Masson
Céline Masson est Directrice du Réseu de recherche sur le Racisme et l'Antisémitisme (RRA) et professeure des universités, UPJV
Dans un poème qui ouvre son livre Si c’est un homme (1947), Primo Levi1, enjoint le lecteur de ne pas oublier ce qu’est un homme, un homme qui a été réduit à une « pièce » (Stück), un homme « si pénible à regarder »2 mais malgré tout indestructible nonobstant la volonté d’autres hommes de l’exterminer, parce que c’est un homme.
Crime irrémissible, « crime généalogique » (Legendre), qui a infléchi le cours de l’histoire de l’Europe et du monde et dont certains, comme Primo Levi, ont témoigné. Il a voulu transmettre l’expérience concentrationnaire en tant que témoin « naturaliste » de l’« effroyable » selon ses mots.
Qu’en est-il aujourd’hui de la transmission de la mémoire de la Shoah ? Et du devoir d’Histoire ? Alors qu’environ 20 pour cent des jeunes français âgés de 18 à 24 ans disent n’avoir jamais entendu parler de la Shoah ou du génocide des Juifs3 ? Alors que la Shoah peut être un jeu pour rire dans certains milieux estudiantins ou encore une chanson potache dont on s’abreuve pour rire encore : « Et un, et deux et trois… et 6 millions » a-t-on entendu chanter à Science Po Strasbourg en mars 20194.
Une autre enquête auprès de 150 étudiants en troisième année se destinant à l’enseignement en collèges et lycées, indique que près de 20% d’entre eux émettent un doute relatif à l’existence de ce crime contre l’humanité5.
Alors que pouvons-nous faire notamment à l’Université ?
L’Université, lieu de l’Art et de la Science est le lieu de la recherche de la vérité. Le rôle du chercheur est de fournir des outils d’analyse, d’établir des cartographies du « mal », d’en prendre ses dimensions, d’appréhender ses mouvements et ses transformations. Il n’est pas un donneur de leçons pas plus qu’un gardien de l’ordre moral.
Or, l’Université a traversé des zones de turbulences ces dernières années, à l’instar de notre société dont elle n’est que le reflet : l’antisémitisme ne l’a pas épargnée. C’est cet antisémitisme-là, sournois parfois, qui m’a alertée en 2014, lorsqu’une pièce de théâtre, entraînant des étudiants se disant de « bonne volonté », présentait les pires clichés antisémites dignes des années 30. Un enseignant-chercheur, Michel Goldberg, a réagi, seul et contre tous6. Le rire était vraisemblablement le motif évoqué par les étudiants.
C’est pourquoi, suite à différents incidents qui ont marqué l’année 2019, nous avions initié un communiqué signé par dix présidents d’Université et leurs référents racisme et antisémitisme7 afin de dénoncer cet antisémitisme endémique qui s’insinue dans nos institutions y compris à l’université.
Par ailleurs, nous sommes témoins de l’exacerbation d’un antisémitisme de bon aloi masqué par un antiracisme protéiforme et vertuiste qui séduit des enseignants-chercheurs et des étudiants. C’est cet antiracisme-là, idéologique, qui doit être interrogé, analysé alors qu’il préempte les débats sur le racisme et l’antisémitisme. C’est dans ce but que le Réseau de recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (RRA) a été créé.
La lutte contre l’antisémitisme par la recherche
C’est à la MESHS de Lille, le 20 novembre 20198, que le RRA a été inauguré en présence des représentants du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, de la CPU, du chef de la DILCRAH, des présidents et vice-présidents de l’UPJV, de Lille et de l’URCA, des représentants de la LICRA, de l’UEJF, de SOS racisme, de chercheurs issus de diverses disciplines (histoire, sociologie, psychologie, philosophie, sciences de l’éducation, épistémologie, droit, science politique, etc...).
Si cette structure fédérative de recherche accueille des chercheurs et des acteurs de terrain qui luttent contre le racisme et l’antisémitisme, il s’adresse en réalité à la société tout entière. C’est un outil réflexif qui, par la pluridisciplinarité de ses approches, par la diversité des terrains qu’il sollicite, a pour vocation d’analyser les ressorts du racisme et de l’antisémitisme et d’agir plus efficacement sur ses causes et ses effets.
En tant qu’enseignants-chercheurs, nous avons à éveiller les consciences de nos étudiants. Il en va de notre responsabilité citoyenne et de notre légitimité scientifique. Soumettre les « questions sensibles » au crible de la rationalité critique pour les constituer en objets intelligibles : tel est l’objectif du RRA comme de sa collection qui a été lancée chez Hermann9. De même, une série documentaire « Déconstruire les représentations racistes et antisémites » est en cours de réalisation10, sa diffusion étant prévue en janvier 2021. Soutenue par le Ministère de l’enseignement supérieur et par la Dilcrah, elle sera destinée préalablement aux étudiants de licence dans les universités d’Amiens, de Lille et de Reims et dans un second temps, nous l’espérons, dans d’autres universités partenaires du RRA.
Pour conclure, je fais mien cet aphorisme d’Albert Memmi : « La lutte contre le racisme exige une pédagogie continue de l’enfance à la mort »11.
1. Les 100 ans de sa naissance ont été commémorés en novembre 2019.
2. G. Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz, Paris, Payot & Rivages, 1999, p.79.
3. https://jean-jaures.org/nos-productions/l-europe-et-les-genocides-le-cas...
4. https://www.dna.fr/edition-de-strasbourg/2019/04/16/sciences-po-strasbou...
5. Enquête réalisée par Christophe Verselle en INSPE. Les étudiants ont été interrogés dans le cadre d’un module de préprofessionnalisation au métier d’enseignant (PPM2E). Ce sont donc, potentiellement, de futurs professeurs. En 2018/2019, sur ces 150 personnes, 116 affirment qu’il n’y a aucun doute. 29 (19,7%) considèrent que la Shoah est douteuse.
6. Cf. le dossier du CRIF
7. https://etudiant.lefigaro.fr/article/les-presidents-de-dix-universites-d... Texte initié par Céline Masson (UPJV), Isabelle de Mecquenem (URCA) et Martine Benoit (Lille) soutenu par nos trois présidents.
8. Retransmission de la journée https://publi.meshs.fr/ressources/lancement-du-reseau-de-recherche-sur-l...
10. Voir le teaser https://vimeo.com/374300016
11. A. Memmi, Le Racisme, description, définition, traitement, Paris, Gallimard, 1982.
Cet article a été rédigé pour la revue annuelle du Crif.
Nous remercions son auteure.