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Passionné par le judaïsme de longue date, Christophe Le Sourt présente son futur rôle comme une triple mission: d’expertise d'abord auprès des évêques et des institutions juives, de formation des acteurs du dialogue - nommés par les évêques dans leur diocèse (des délégués diocésains), et enfin de représentation lors des cérémonies nationales entre catholiques et juifs ou bien entre chrétiens et juifs.
Propos recueillis par Stéphanie Dassa
Le Crif : Vous succédez dans vos fonctions de directeur du SNRJ à des personnalités qui auront marqué le dialogue judéo-chrétien, je pense aux Pères Jean Dujardin, Patrick Desbois et Louis-Marie Coudray. Trois personnalités fortes et déterminées. Comment vous inscrivez-vous dans l’immense travail accompli par vos prédécesseurs ?
Père Christophe Le Sourt : Vous avez raison. C’est peu de dire que je suis émerveillé par le travail réalisé par mes illustres prédécesseurs. Le propos peu paraître emphatique et convenu. Pourtant, il recouvre une réalité que tous ceux et celles qui sont attachés au dialogue judéo-chrétien savent bien.
Je pense, bien sûr, au Père Bernard Dupuy, grand connaisseur de la Tradition juive, fondateur, en 1969, du Comité épiscopal des relations avec le judaïsme, devenu le Service national pour les relations avec le judaïsme.
À sa suite, le Père Jean Dujardin apportera une contribution majeure au dialogue judéo-chrétien par ses nombreux travaux et par sa contribution dynamisante à la rédaction de la Déclaration de repentance des évêques de France lue à Drancy le 30 septembre 1997.
Le Père Patrick Desbois est mondialement connu pour ses recherches concernant la « Shoah par balles », son Association Yahad-In Unum mène, aujourd’hui encore, une course contre la montre afin de retrouver les derniers témoins du génocide et recueillir leurs bouleversants récits.
Le Frère Louis-Marie Coudray, lui aussi, a une dimension internationale, non seulement grâce au rayonnement de l’Abbaye Notre Dame de la Résurrection d’Abu Gosh en Israël, mais aussi par ses interventions remarquées lors de colloques et de sessions.
Depuis ma nomination par le Conseil permanent de l’épiscopat français, j’ai eu la joie de travailler, à plusieurs reprises, avec le Frère Louis-Marie. Je bénéficie non seulement de ses précieux conseils mais, également, de ses multiples contacts. De même, le Père Patrick Desbois, que je connais depuis de nombreuses années, m’a fraternellement reçu et partagé son expérience.
Crif : Le judaïsme et le christianisme, bien que plusieurs fois millénaires, ne s’étudient pas comme on étudie l’archéologie mais sont au contraire encore très vivants. Selon vous, qu’est-ce que nos traditions respectives peuvent apporter à un monde moderne relativement désenchanté ?
Lorsque vous parlez, à raison, d’un monde moderne relativement désenchanté, on pense immédiatement à Marcel Gauchet. Récemment, dans un entretien, il s’interrogeait : « Comment valablement décider de ce qu’il convient de faire sans une idée aussi précise que possible du point de vue où nous sommes ? Nous avons à nous réancrer dans notre parcours, hors de l’espèce de présent perpétuel où nous flottons, sans idée du passé dont nous sortons, et sans image de l’avenir où nous voudrions aller »
Plus que jamais, nos traditions sont porteuses d’un « chant d’espérance ». En effet, les uns et les autres, nous voyons les effets néfastes d’un fonctionnement de société qui repose sur la puissance d’amnésie. Or, nous sommes porteurs, juifs et chrétiens d’un message, d’une Parole, qui ne viennent pas de nous. Ils nous ont été donnés, confiés.
De plus, notre dialogue peut être un magnifique témoignage au cœur de notre société. En effet, pour reprendre une jolie formule du Père Michel Remaud, « le pagano-chrétien doit accepter et devenir tributaire d’une autre culture que la sienne. Le pagano-chrétien que je suis ne peut pas remonter à ses origines sans franchir un seuil et pénétrer dans un univers culturel différent du sien ». Or, nous le voyons bien, habituellement dans notre société si le désaccord était la règle, le mépris était exclu. Or, le mépris devint omniprésent. Et, précisément, ce magnifique dialogue, initié depuis tant de décennies, dénonce tout mépris et rappelle l’importance de la confrontation contradictoire qui permet à l’autre de rester irréductiblement lui-même.
Crif : Que peut-on, en tant que juif, vous souhaiter pour l’accomplissement de votre mission ?
D’abord, être dans la gratitude. Je mesure la chance extraordinaire qui est la mienne d’arriver à un moment ou tant de choses ont déjà été accomplies et initiées. L’accueil qui m’est réservé me touche énormément. La démarche du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, de venir au siège de la Conférence épiscopale française, avenue de Breteuil, le lendemain de ma nomination, souligne l’importance qu’il accorde aux relations judéo-chrétiennes. Depuis un mois, j’ai pu rencontrer nombre de personnalités juives éminentes. De tout cœur je les remercie pour leur disponibilité. Je ne puis toutes les nommer, mais je leur sais gré de leur cordialité et de leurs conseils. Des projets communs émergent de ces échanges.
Dans ma mission, je mesure, aussi, toute l’importance du travail en équipe. Merci aux uns et aux autres pour leur compétence et leur disponibilité. Un merci tout particulier à Cécile Déprez qui, durant l’année de transition, après le départ à Abu Gosh du Fr Louis Marie, a su, avec le SNRJ, porter de nombreux projets.
Cette mission, je la vis comme une invitation à être un humble artisan d’une fraternité ouverte et amicale, en n’oubliant jamais, comme l’écrit Anne-Marie Pelletier « Qu’être chrétien, c’est voir marquée la place de l’autre -le frère juif- au cœur de son identité. »
Sur ce chemin j’aime à méditer ces mots du prophète Michée 6,8: « Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que de pratiquer le droit, aimer la fidélité et t‘appliquer à marcher avec ton Dieu ».
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