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Publié le 3 juillet dans Le Parisien
Jeudi, malade et fiévreux, l'avocat général avait débuté son réquisitoire en dépeignant Tyler Vilus comme « un djihadiste intégral ». Jugé par la cour d'assises spéciale de Paris, cet ancien émir de l'Etat islamique en Syrie « est un cas exceptionnel, unique en son genre », assénait le représentant du parquet qui connaît cet accusé comme nul autre. Ce vendredi matin, Guillaume Michelin avait retrouvé des forces et sa verve pour achever son argumentaire brillant et implacable en réclamant à l'encontre de ce jeune homme de 30 ans « la seule solution » possible : la réclusion criminelle à perpétuité.
« Avec la période de sûreté maximale qui n'est que de 22 ans. Hélas. Hélas », insiste-t-il avant de conclure : « Tout ce dossier est une douleur. Quand on dissipe le rideau de fumée derrière Tyler Vilus, on ne voit plus que des cadavres. Quand on sort de l'hypnose dans laquelle sa logorrhée nous plonge, on n'entend plus qu'un silence de mort. Il vous revient de mettre un terme à ce carnage. »
Pour le parquet, son cas est inédit dans les annales de la justice antiterroriste. « Il n'y a jamais eu de membre de l'Etat islamique tel que l'accusé à juger, entame Guillaume Michelin. […] Ouvrir le dossier Tyler Vilus, c'est ouvrir le Bottin des personnalités du djihad francophone. Il les connaît presque toutes. La plupart sont mortes mais lui est dans le box, ce qui en fait un cas exceptionnel. C'est un Trompe-la-mort. » D'Abdelhamid Abaaoud, le coordonnateur des attentats du 13 novembre, aux assaillants du Bataclan en passant par Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, le Troyen a côtoyé en Syrie tout ce que Daech avait produit de pire.
Aux yeux de l'avocat général, cet adolescent turbulent est très tôt mû par « une quête éperdue de violence » à laquelle il cherche un cadre. La Légion étrangère le refuse ? C'est dans l'islam salafiste qu'il trouvera « un alibi à sa violence exacerbée ». Pionnier du djihad en Syrie il est parti en 2012- il a su gravir les échelons de l'Etat islamique à toute vitesse, mais en sachant rester sous les radars des services de renseignement qui mettront un an et demi à détecter sa présence sur zone.
A l'été 2013, le voilà déjà émir d'une katiba de combattants franco-belges. « Un chef de guerre », selon le représentant du ministère public qui, au vu des vidéos extraites du téléphone d'Abdelhamid Abaaoud, compare les exactions de son groupe à des « crimes de guerre ». « En mars 2014, quand son escadron s'installe à Shaddadi, il bénéficie d'une promotion : il devient policier islamique. Lui explique qu'il occupait des fonctions de policier militaire, pour se dédouaner, mais il n'y a aucune preuve en ce sens. En revanche, les témoignages indiquent qu'il était chargé de faire respecter la charia, de patrouiller dans les rues, de s'habiller en civil pour repérer les espions, de réprimer, punir et sanctionner », égrène l'avocat général.
Sa position privilégiée au sein des forces de sécurité de Daech est centrale par rapport à l'accusation la plus lourde à laquelle il est confronté, celle d'avoir participé à l'exécution de deux anciens soldats de l'Armée syrienne libre au printemps 2015. Tyler Vilus a été repéré sur une vidéo que la Cour se repasse au ralenti jeudi matin pour cerner le rôle exact joué par le Français dans ce crime qui lui vaut d'encourir la perpétuité.
L'accusé, qui est aux premières loges aux côtés des bourreaux, assure être tombé par hasard sur cette scène dramatiquement banale de la vie au temps de Daech. « Je suis présent sur la scène, oui je porte un talkie-walkie et une arme mais à aucun moment on ne me voit agir. C'est de la surinterprétation », jure-t-il. Mais pour l'avocat général, sa fonction, son équipement et son positionnement ne font guère de doute : « il n'est pas celui qui tire mais il est un de ceux qui participent à la sécurisation de cette exécution ».
Guillaume Michelin va plus loin. Ces atrocités doivent être, selon lui, appréciées à l'aune de ses projets de retour en Europe. « Il s'est entraîné à tuer en Syrie pour revenir tuer en France, assène-t-il. Chez Tyler Vilus, l'horreur est toujours le préalable à une autre horreur. » Après l'avoir nié pendant l'instruction, l'accusé a finalement reconnu à l'audience que, lorsqu'il est arrêté à Istanbul (Turquie) en juillet 2015 avec un billet pour Prague (République Tchèque) en poche, il a pour ambition de « mourir les armes à la main ». « Mais il n'est pas crédible quand il dit qu'il n'avait décidé sa cible. […] Il est destiné à rentrer en Europe, probablement à Paris, pour perpétrer une tuerie de masse », développe l'avocat général. Et le magistrat de souligner la satisfaction exprimée par l'accusé sur les réseaux sociaux quand il apprend le geste de « son pote Mehdi Nemmouche » : « Faire couler le sang des mécréants est pour Tyler Vilus jubilatoire! »
Son implication éventuelle dans les attentats du 13 novembre a été envisagée mais n'a pas été retenue par la justice. « Lui seul le sait, philosophe Guillaume Michelin. Mais si tel avait été le cas, il n'aurait pas été un simple membre du commando, il en aurait l'un des responsables, voire le responsable. »
La défense doit prendre la parole en fin de matinée. Le verdict est attendu dans la soirée.