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Publié le 6 janvier dans Le Figaro
Un homme au long nez, chapeau noir et papillotes, le visage balafré du mot «youpin», tagué en novembre, à Montreuil, près d’une école juive. L’inscription «sale juif» barrant la porte d’une maison des Lilas, juste à côté de la mézouza*, en mars. Une voiture vandalisée, pneus crevés, rétroviseurs brisés, en mars à Sarcelles. Et des croix gammées tracées sur le mur du parking, le lendemain de la plainte… Au Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), on observe que «ce type de graffitis, de déprédations, est de plus en plus fréquent depuis un an».
Cinq ans après l’attentat de l’Hyper Cacher, la communauté juive «accuse le coup». Le Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Francis Kalifat s’alarme de «cet antisémitisme du quotidien, sournois… pas celui qui tue, mais celui qui est fait de vexations et d’insultes». «Aujourd’hui, une grande partie des familles juives qui vivaient dans des quartiers dits difficiles ont la vie tellement impossible qu’on assiste à un véritable “exil interne”, affirme-t-il, pas seulement à Paris, mais dans la périphérie de toutes les grandes villes de France.»
L’année 2019 avait commencé par un effroyable torrent de haine déversé, un samedi, en marge d’une manifestation de “gilets jaunes”, sur le philosophe Alain Finkielkraut : «Barre-toi, sale sioniste de merde!», «Tu vas mourir!». Elle s’est terminée avec l’arrêt de la cour d’appel de Paris, qui a estimé qu’il existait «des charges suffisantes contre Kobili Traoré d’avoir (…) volontairement donné la mort» à Sarah Halimi, une Parisienne sexagénaire, avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme, tout en le déclarant «irresponsable pénalement». Une décision qui a provoqué l’inquiétude et la colère de nombreux représentants de la communauté juive. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, craint que cette décision ne revienne à délivrer «un permis de tuer les juifs».
Président du BNVCA, Sammy Ghozlan y voit «un outrage à la communauté juive»: «Sarah Halimi, insiste-t-il, représente énormément pour nous, tout comme Ilan Halimi» , ce jeune juif assassiné par le «gang des barbares» en 2006. «Depuis 2003, douze Français juifs ont été tués en France, uniquement parce qu’ils étaient juifs, martèle Francis Kalifat. Et on n’a encore pu assister à aucun procès - sauf pour Ilan Halimi, mais il s’agissait d’un groupe. Dans le dossier Sarah Halimi, on a sûrement fait du droit, mais je ne suis pas sûr qu’on ait rendu la justice! Il est important qu’à travers le procès du meurtrier, on puisse faire celui de l’antisémitisme qui tue en France.»
"L’Hyper Cacher, c’était la répétition de la tuerie de l’école juive de Toulouse et le sentiment, que partout, en permanence, on devenait une cible". Haïm Korsia
Il y a cinq ans, le 9 janvier, Amedy Coulibaly tuait quatre hommes de confession juive dans une supérette de l’est parisien, avant de périr dans l’assaut policier. «L’Hyper Cacher, c’était la répétition de la tuerie de l’école juive de Toulouse et le sentiment, que partout, en permanence, on devenait une cible», commente Haïm Korsia. Cela «a créé une sorte de perte d’innocence» et «une angoisse», affirme-t-il à l’AFP. «Et quand ce ne sont pas les hommes, ce sont les cimetières», déplore-t-il, alors que plusieurs cimetières juifs alsaciens ont été profanés récemment.
Si la résolution «visant à lutter contre de “nouvelles formes” d’antisémitisme» a finalement été votée, en décembre, c’est malgré l’opposition du PS, de LFI et de la gauche de la majorité. «Regardez les difficultés que l’on a eues pour adopter une résolution qui n’est même pas contraignante!, s’exclame l’avocat Gilles-William Goldnadel. Cela montre les réticences d’une prétendue élite à aborder de front l’antisémitisme moderne… Les progrès sont infiniment lents par rapport à la progression du mal.» Depuis les années 2000, pointe le BNVCA, «les recensements des actes antisémites révèlent qu’en France, porter un nom juif, une kippa sur la tête, apposer une mézouza au fronton de sa porte, oublier un objet religieux dans sa voiture, fréquenter une école juive, revient à s’exposer à des injures, voire à des agressions physiques ou des meurtres».
Après des pics en 2014 et en 2015, le chiffre des Aliyah (départ vers Israël, NDLR) est retombé en 2016 et s’est établi à environ 2600 en 2018, selon l’Agence juive.
Après des pics en 2014 et en 2015, le chiffre des Aliyah (départ vers Israël, NDLR) est retombé en 2016 et s’est établi à environ 2600 en 2018, selon l’Agence juive. Mais d’autres préparent leur «Aliyah interne», quittant certains quartiers pour des raisons de sécurité. «Seul Juif de l’immeuble», Samuel**, échangerait volontiers son studio du nord-est de Paris contre «n’importe quel 3 m² ailleurs»: «Menaces, boîte aux lettres cassée, mézouza arrachée, les intimidations se succèdent depuis mon arrivée, se lamente-t-il. L’un de mes amis, qui me rendait visite, a été violemment agressé il y a trois semaines. Je n’ose plus porter mon étoile de David, ni même aller à la pizzeria cacher». À Pantin, Jessica** «vit dans l’angoisse» depuis deux mois. «Mon fils a été tabassé par dix individus, raconte-t-elle. Traumatisme crânien avec fracture bifocale. Une cinquantaine de personnes regardaient sans bouger! Et à moi, on m’a lancé: “Dommage qu’on n’est pas à Gaza, pour exterminer les juifs!” Mais c’est quoi cette France?»
"Les juifs, qui forment moins de 1 % de la population, concentrent plus de la moitié des actes racistes commis en France !" Francis Kalifat
Après un bond de 74 % en 2018, les actes antisémites continuent de progresser, selon le Crif, qui se fonde sur un relevé des dépôts de plaintes fourni par le ministère de l’Intérieur. «Au premier semestre, nous sommes à + 78 % d’actes antisémites déclarés par rapport à la même période en 2018,
alerte Francis Kalifat. Les juifs, qui forment moins de 1 % de la population, concentrent plus de la moitié des actes racistes commis en France! Nous sommes d’autant plus inquiets que ces chiffres ne représentent pas la réalité de l’antisémitisme: beaucoup de gens ne déposent pas plainte. Soit parce qu’ils pensent que ça ne sert à rien, soit parce qu’ils ont peur de représailles.» C’est pour cela que le Crif réclame «un relevé des condamnations dans ce domaine»: «Soit on ferait le constat que les peines prononcées ne sont pas dissuasives, souligne son président. Soit qu’elles sont fortes et nombreuses, et cela aurait la vertu d’encourager ceux qui n’osent pas porter plainte à le faire».* Objet de culte juif apposé à l’entrée d’une demeure.
** Prénom modifié.