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Publié le 1er mars sur le site de Paris Match
Avec un arsenal législatif pourtant imposant et une succession de plans de lutte, la France, où vit la plus grande communauté juive d'Europe, peine à contrer la résurgence des actes antisémites, alimentant chez certains juifs la tentation d'un exil en Israël. "C'est un échec, c'est notre échec" : recueilli devant la centaine de tombes profanées dans le cimetière juif de Quatzenheim (Bas-Rhin), Emmanuel Macron déplorait le 19 février les difficultés de l'Etat face au poison de l'antisémitisme.
Dans les années 90, les actes antisémites en France n'avaient jamais dépassé la barre symbolique des 100 faits constatés. L'an 2000 marque un tournant : la seconde Intifada dans les territoires palestiniens fait exploser le thermomètre qui passe de 82 à 744 actes antisémites enregistrés.
Depuis, la moyenne annuelle s'établit autour de 575 actes, avec des poussées de fièvre souvent liées à une importation du conflit israélo-palestinien, comme en 2009 (832 actes) et 2014 (851) avec les opérations militaires "Plomb durci" et "Bordure protectrice" menées par l'Etat hébreu dans la bande de Gaza.
"Celui qui veut rester est anormal"
Bien qu'instable, la situation sécuritaire au Proche-Orient n'a pas retenu de nombreuses familles juives françaises de s'exiler. En 2014 et 2015, la France était pour la première fois le premier pays pourvoyeur d'"olims", ceux qui font leur "aliyah", l'émigration juive vers Israël, avec près de 8.000 départs. Le chiffre est retombé à 2.660 en 2018 mais la hausse pourrait être "réactivée" avec les dernières événements, selon M. Fourquet, auteur d'une étude en 2016 sur le sujet : "L'an prochain à Jérusalem ?"
"Il y a 25 ans, dans les repas de famille, celui qui voulait partir en Israël, c'était l'idéaliste, l'exalté, voire le dérangé. Aujourd'hui, c'est celui qui veut rester qui est anormal", résume-t-il. Paradoxalement, "quand on passe des actes aux opinions, on s'aperçoit que les juifs sont la minorité la mieux acceptée en France", souligne la politologue Nonna Mayer, s'appuyant sur l'enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).
"Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un gros tiers de Français pensaient que les juifs étaient des Français comme les autres, maintenant on frôle les 90%", souligne la chercheuse avant de nuancer: "les vieux stéréotypes sont toujours là, c'est un combat sans fin".
"Lors d'un entretien, la personne sondée va d'abord dire qu'elle aime les juifs, qu'ils sont des Français comme les autres, mais petit à petit, elle finit par dire: +ils ont trop de pouvoir+, +ils ont trop d'argent+", confirme Christine Lazerges, présidente de la CNCDH jusqu'en décembre dernier.
"La France est armée jusqu'aux dents en matière de textes"
Pour endiguer ce fléau, les derniers gouvernements ont tous présenté leur plan: François Fillon en 2012, peu avant la tuerie de Mohamed Merah devant l'école juive de Toulouse, Manuel Valls en 2015 après l'attaque de l'Hyper Cacher à Paris et Edouard Philippe en mars 2018, après l'agression d'un enfant portant une kippa à Sarcelles (Val-d'Oise).
"Cette succession n'est pas une marque d'échec", affirme Frédéric Potier, chargé de piloter le plan Philippe en tant que Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). "La réponse doit constamment s'adapter. Les réseaux sociaux occupent aujourd'hui une place beaucoup plus importante dans la vie des gens", souligne le préfet.
Le gouvernement veut responsabiliser les plateformes, notamment via une proposition de loi attendue en mai, comme cela se fait déjà en Allemagne où elles sont sanctionnées jusqu'à 50 millions d'euros d'amende si elles ne retirent pas sous 24 heures des propos signalés par les usagers comme outranciers ou violant la Constitution.
Certains avocats militent aussi pour exclure les injures racistes et antisémites de la loi de 1881 sur la presse, très protectrice sur la liberté d'expression, et les soumettre au droit commun, pour faciliter les poursuites. Le député LR Eric Ciotti a déposé une proposition de loi en ce sens.
"La France est armée jusqu'aux dents en matière de textes, il n'y a pas de trous dans la raquette", estime Christine Lazerges. "Juger ces faits en comparution immédiate en 20 minutes serait complètement inadapté", ajoute la professeure de droit. "On n'a besoin que d'une chose: éducation, éducation, éducation".