- English
- Français
Publié le 23 janvier dans Libération
Alors que la libération de la France approche, un dernier grand convoi part à la hâte de Drancy le 31 juillet 1944, en direction du camp d’Auschwitz. Seules 250 personnes ont survécu. Plus qu’un hommage pour les 1 310 hommes et enfants déportés ce jour-là, cette cérémonie organisée à la mairie de Paris était l’occasion de mettre en lumière le travail de transmission réalisé par l’association fondée par Georges Mayer, fils de déporté.
A travers la mémoire de la Shoah, l’association «Les familles et amis des déportés du Convoi 77» vise à développer et mener des actions pédagogiques en partenariat avec les collèges. Dans la grande salle de l’Hôtel de ville de Paris, des dizaines de classes assistent aux restitutions de deux autres collèges partenaires. Les regards embués du matin laissent vite place à la contemplation des dorures du plafond. En compagnie de leurs professeurs, les collégiens s’installent sous les imposants lustres de la Salle des fêtes. Pour Anne Hidalgo, l’année 2019 correspond à un moment très important : «Nous sommes à une époque où les témoins de la guerre et des rafles vont nous quitter, ou ne pourront plus témoigner avec la même vitalité.» Aux jeunes qui l’écoutent attentivement, la maire de Paris déclare : «Vous êtes des vigies pour l’avenir.» Selon elle, le projet Convoi 77 «est le fruit d’un échange, d’une transmission, entre des témoins qui ont vécu la déportation, connu la persécution des juifs en France et à Paris, et des jeunes».
Créée en 2014, l’association de Georges Mayer a pour but de perpétuer le souvenir des déportés de ce dernier grand transport vers les camps de la mort. De donner une identité aux victimes. Pour son fondateur, il est aujourd’hui important de revoir l’enseignement de l’Holocauste. Le sondage réalisé par l’Ifop montrant que 21% des 18-24 ans n’ont jamais entendu parler de la Shoah est révélateur pour Georges Mayer. «Certes des millions de témoignages ont été recueillis, des milliers de livres écrits par des victimes, par des témoins ou des historiens, des centaines de procès ont permis de reconstituer les faits et de condamner les bourreaux et leurs collaborateurs, affirme le fondateur de l’association. Et pourtant le négationnisme ne s’est jamais aussi bien porté. Des dizaines de sites contestent l’existence de la Shoah et des chambres à gaz. Des pseudo humoristes ou historiens tentent de justifier ou de nier le génocide des juifs.»
Face à la méconnaissance d’une partie de la jeunesse française, enseignants et responsables d’association ont travaillé ensemble à la création d’un parcours éducatif : recueillir toutes les biographies des déportés de ce convoi. Une manière d’apprendre l’histoire en étudiant des chemins individuels et en se formant à la recherche. Pour Hicham, 14 ans et élève de troisième au collège Michel-Richard-Delalande à Athis-Mons dans l’Essonne, ce projet fait de lui un «passeur de mémoire» : «Je n’aurai jamais imaginé que le pouvoir de l’écrit était aussi grand. Ce projet a permis une réflexion personnelle sur les formes de discrimination.» En plus du moment de l’arrestation, les élèves s’attachent surtout à raconter la vie de ces enfants déportés.
Pour Clément Huguet, professeur d’histoire-géographie au collège Michel-Richard-Delalande, la fin proche de l’ère des témoins justifie de revoir les pratiques d’enseignement : «L’originalité de ce projet est avant tout son approche individuelle. Les élèves apprennent à aborder la question du génocide via des destins particuliers. Il s’agit de réaliser un vrai travail historique, en retraçant le parcours d’un enfant déporté.» Dans l’enseignement classique de la Shoah, c’est l’approche globale qui est privilégiée. Une heure par semaine et pendant toute l’année scolaire, la classe de Clément Huguet fouille dans les vies brisées de ces enfants déportés. «Les élèves s’emparent du projet et il évolue en fonction de ce qu’ils pensent et proposent. Cette année les élèves sont investis sur les questions de lutte contre les discriminations en créant des clips et en préparant un documentaire sonore», précise le professeur.
Après les témoignages de Yvette Levy et Daniel Urbejtel, deux survivants du convoi 77, la médaille Grand Vermeil de la ville de Paris est remise au comité Tlemcen, créé en mémoire des enfants juifs déportés du XXearrondissement de Paris et au Conseil national pour la mémoire des enfants juifs déportés (Comejd). Devant les centaines d’élèves présents, Rachel Jedinak, enfant juive cachée pendant la guerre et présidente du comité Tlemcen rappelle l’importance du devoir de vigilance pour les collégiens présents : «Nous militons pour que les jeunes sachent assurer ce devoir. Car la bête immonde a toujours le ventre fécond.»