Tribune
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Publié le 23 Mars 2016

Bruxelles n’est plus qu’une sirène

La tristesse est infinie, elle suinte des pavés, elle dégouline des trottoirs.

Par Béatrice Delvaux, éditorial publié dans le Soir le 22 mars 2016
 
Le bruit est continu, il sort de partout, il traverse la ville comme une blessure ouverte. Ambulances, voitures de pompiers, combis de la police, voitures banalisées gyrophares allumés hurlent leur passage. Les gens s’arrêtent, regardent, hébétés : ils ont les yeux vides. Ils savent que tout cela est vrai, ils savent aussi qu’ils savaient : cela allait, cela devait arriver.
 
C’est la tristesse surtout qui est infinie, elle suinte des pavés, elle dégouline des trottoirs. C’est le seul mot qui franchit les lèvres, « nos » lèvres, car voilà, c’est bien cela qui achève de nous achever : c’est chez nous, cette « chose ». « Nos » premiers attentats suicides, des corps sur le sol de notre aéroport de Zaventem, des morceaux de chair devant la rame de notre métro, éventré, à l’arrêt forcé. Station Maelbeek, un autre de ces noms que les journalistes étrangers vont devoir apprendre à prononcer. 13 morts à Zaventem, 15 à Maelbeek. Enfin c’est ce qui se dit, à l’heure où je vous écris.
 
Rejoindre le journal, vite, dans une ville dont on sent, dont on voit, dont on apprend qu’elle ferme tout, un par un, morceau par morceau, lieu après lieu. D’abord les avions, puis le métro, puis les bus, puis les tunnels, puis des routes. Les écoles ? A Molenbeek, on voit des parents apeurés qui se pressent contre la porte, ils veulent reprendre leurs enfants. A la radio, l’échevine de l’enseignement abjure : «  laissez-les à l’intérieur, c’est à l’intérieur qu’ils sont en sécurité  ».
 
11h24, les sirènes redoublent, tout siffle : explosion rue de la loi. «  Explosion rue de la Loi ??  », texte un fils à sa mère. Suivi de «  Reste bien à l’intérieur  ». Rentrer chez soi, vite, se calfeutrer, c’est ce qui devient l’urgence. Les voitures dans le sens de la sortie de Bruxelles se pressent. Vers l’intérieur, plus grand monde, sauf les voitures de flics qui foncent, à allure folle, vers ce danger dont le passant ne peut que croire, qu’entendre surtout, qu’il est partout. Ces voitures hurlantes sont les seules à foncer dans les tunnels vides, et cette circulation fantôme fait froid dans le dos, on ne sait pas pourquoi. C’est juste qu’on sait que ce n’est pas normal. Et aujourd’hui, la ville n’est pas normale, parce que la vie s’est arrêtée... Lire l'intégralité.