Nous avons eu le plaisir de recevoir, le 22 décembre, le Rabbin Moshe Lewin. Directeur exécutif de la Conférence des Rabbins européens, conseiller spécial du Grand Rabin de France Haïm Korsia, et membre de la direction du nouveau "Conseil Européen des dirigeants juifs et musulmans".
Le Rabbin Lewin a commencé son exposé en présentant son parcours personnel, en particulier pour ce qui concerne le dialogue interreligieux. Ayant débuté sa carrière en Province pendant six ans, il a eu très vite l'occasion d'y rencontrer des responsables des autres cultes. A Paris, il a eu et a également toujours des fonctions comme aumônier, à la fois de la Gendarmerie et détaché auprès des aéroports de Paris : ceci facilite aussi les contacts. D'après ses propres souvenirs, l'ex-Grand Rabbin Sitruk ne s'était pas investi dans ces échanges, tandis que lorsqu'il lui avait succédé, le Grand Rabbin Bernheim avait au contraire tenté de développer le dialogue interreligieux. C'est sous la Présidence de Nicolas Sarkozy que s'était réunie, à sa demande, une "Conférence des responsables du culte en France" (CRCF). Cette CRCF s'est transformée en un groupe informel se réunissant périodiquement, et elle a repris ses réunions après les attentats terroristes de janvier 2015. L'actuel Grand Rabbin de France soutient cet espace de contacts, mais les échanges "au sommet" ne se déclinent pas forcément "sur le terrain".
En ce qui concerne sa propre expérience de Rabbin du Raincy (93), il nous a parlé de ses interventions dans le cadre de l'association "Union, partage et paix", qui a organisé des réunions en "zones sensibles". Ceci concerne en particulier les établissements scolaires où on a enregistré des incidents lors de la minute de silence suite aux attentats de janvier, et où la visite conjointe de Rabbins, Imams et Prêtres est maintenant souhaitée. Ceci étant, les échanges entre lieux de cultes restent modestes : lui même n'a été reçu que par quelques Imams en région parisienne, idem en sens inverse ; en règle générale et pour toute la France, ce sont plutôt les Pouvoirs publics qui organisent les rencontres.
Pour ce qui concerne le "Conseil Européen des dirigeants juifs et musulmans", officiellement créé en septembre 2015, il a pour vocation à la fois de défendre les libertés religieuses en Europe, et de lutter contre l'extrémisme. Pour ce qui concerne les libertés, sont particulièrement concernés la circoncision et l'abattage rituel, ce dernier faisant l'objet de menaces dans plusieurs pays, voire même d'interdiction pure et simple comme au Danemark. Elle bénéficie également du support logistique d'une autre instance de dialogue, le KAICIID, organisation intergouvernemental contre les discriminations religieuses et pour le dialogue interculturel, qui regroupe l'Arabie Saoudite, l'Autriche et l'Espagne. Son centre est à Vienne, il emploie à plein temps une cinquantaine de personnes. Le Rabbin David Rosen, de l'American Jewish Committee, fait partie de son Conseil d'Administration, et il soutient le projet du nouveau Conseil Européen.
Le nouveau "Conseil Européen des dirigeants juifs et musulmans" dispose, outre le KAICIID, du soutien du Conseil Européens des Rabbins, et du "Secours islamique mondial", l'une des principales ONG musulmanes. Après deux jours de discussions, une charte a été rédigée prévoyant la condamnation explicite du terrorisme et du soutien à des organisations terroristes. Ce Conseil dispose, pour le moment, de l'implication forte des Rabbins allemands.
Faisant un rapide tour d'horizon des relations judéo-musulmanes dans les pays européens, le Rabbin Lewin devait évoquer l'appel du Grand Rabbin du Royaume Uni pour l'enseignement de l'Islam dans les écoles juives. En Allemagne où le Rabbinat est en majorité de tendance libérale, il y a eu aussi un engagement en faveur des réfugiés syriens, tout en mettant les autorités en garde contre l'antisémitisme potentiel de cette immigration. En Grèce, a eu lieu au mois de novembre une réunion du "Standing committee" des Rabbins Européens, mobilisés aussi pour l'aide aux réfugiés. Ce fut aussi l'occasion de rencontrer la communauté juive locale, qui souffre à la fois d'un antisémitisme chronique et de la profonde dépression économique.
En ce qui concerne le dialogue judéo-chrétien, notre invité a aussi évoqué la rencontre - première du genre - avec des responsables de l'Eglise Orthodoxe lors de ce dernier voyage. A noter aussi le grand éclat donné par le Vatican à la célébration du cinquantenaire de la déclaration "Nostra-Aetate", et la réception par le Pape d'une délégation de responsables juifs venus de divers pays.
Notre invité a évoqué pour finir ses contacts avec des Etats arabes. Il a été reçu au mois de décembre, accompagné de l'Imam Hassen Chalghoumi, par le Palais royal de l'Emirat du Bahreïn. Son accueil fut chaleureux. Il a pu allumer les bougies de Hanouka en présence de la toute petite (36 âmes) communauté juive du pays. Son voyage a été très médiatisé, dans la presse locale comme dans la presse israélienne. L'Emirat se caractérise par sa tolérance religieuse, l'Emir disant "Daech détruit les Eglises et les Mosquées, chez nous on en construit". Pour lui, au niveau des Emirats du Golfe et à l'exception du Qatar et du Koweït, très hostiles, il y a un potentiel de dialogue.
Enfin, il a évoqué les bons contacts noués également avec l'Ambassade de Tunisie, qui l'a invité récemment ainsi que des représentants des religions chrétienne et musulmane.