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Propos recueillis par Yohav Oremiatzki, entretien publié dans Télérama le 26 mars 2015
Aharon Appelfeld est reconnu comme l’un des plus grands écrivains israéliens. Télérama a rencontré l’auteur chez lui, à Jérusalem, pour l’interroger sur son rapport aux récits sur les camps nazis et sur sa vision singulière des survivants de la Shoah.
Vous rappelez-vous de la première fois que vous avez raconté ce que vous avez vécu pendant la guerre ?
En réalité, après guerre personne ne parlait et personne ne posait de questions. Personne n’avait envie d’entendre des histoires atroces. Tout ce qu’on voulait c’était avoir à manger, des vêtements et venir en Palestine. J’avais à peine 13 ans quand j’y ai débarqué.
Comment raconter quand on manque de connaissances linguistiques suffisantes pour formuler tout ça ? Chez moi, à Czernowitz, j’avais tout juste fini le CP quand la Guerre a éclaté. Et puis, la mémoire d’un enfant est très limitée et imprécise : c’est un mélange d’imagination et de souvenirs confus, sans mise en perspective.
Dans la préface d’Histoire d’une vie, vous écrivez : « Après la guerre, j’ai passé plusieurs mois sur les côtes italienne et yougoslave. Ces mois furent d’un merveilleux oubli. […] L’oubli creusait alors ses caves profondes. Avec le temps, nous les transportâmes en Israël. […] L’oubli trouva là une terre fertile. » Que voulez-vous dire ?
Durant mes cinq ou six premières années passées en Israël, je ne me souciais que du présent. C’était merveilleux : je n’avais pas d’obligation, pas de sentiment de culpabilité… J’avais eu un chez moi, en Bucovine, mais ça ne comptait plus. L’important c’était le travail, le kibbutz, être jeune, fort, beau, et devenir progressivement un homme. Nous sommes venus en Israël pour nous débarrasser du passé.
Peut-on être un « homme sans passé » lorsqu’on a vécu ce que vous avez vécu ?
Je viens d’une catastrophe. Le ghetto, le camp, se cacher dans les bois… ce n’est pas une vie normale. Je suis passé d’une vie anormale à une vie normale, donc j’ai refoulé. Le passé n’allait m’être d’aucun secours en Israël. Ici, la tendance des années 30 à 50 était de vivre au présent, de regarder devant soi, de ne pas se retourner.
Quand j’ai fini l’armée, en 1952, je suis entré à l’Université hébraïque de Jérusalem. J’y ai rencontré des gens passionnants et intéressés par le passé comme Agnon, Martin Buber ou Gershom Scholem. C’est à cette époque-là que j’ai commencé à écrire et c’est seulement en écrivant que je me suis rappelé de ce qui m’était arrivé pendant la guerre… Lire l’intégralité.
Numéro spécial de Télérama : « Ils ont raconté la Shoah », en kiosque jusqu'au 31 mars 2015.
Source: http://www.telerama.fr/idees/les-rescapes-de-la-shoah-vivent-intensement-dans-deux-mondes-aharon-appelfeld,124646.php