Tribune
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Publié le 20 Février 2015

Un antisémitisme «justicialiste»

L'antisémitisme antisioniste entre en congruence particulière avec le populisme justicialiste.
 

Par Renée Fregosi, Philosophe et Directrice de recherches en science politique à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, publié dans le Huffington Post le 19 février 2015
Les assassins islamistes s'érigent en justiciers vengeurs de leur prophète caricaturé et de l'ensemble des Musulmans supposés insultés par la libre expression et la libre pensée. Mais plus largement, ils se fantasment comme le bras d'une justice divine et guerrière luttant contre tous les "infidèles" et les tenants d'un Occident "impie". Les Juifs du monde entier sont alors aujourd'hui les victimes à la fois d'une haine antijudaïque ancestrale, d'un antisionisme soi-disant solidaire des "frères palestiniens" et d'un antioccidentalisme délirant.
L'antisémitisme prend en effet différentes formes et peut être développé par différents acteurs: de l'antijudaïsme religieux à l'anticapitalisme, et comme le rappelait récemment Robert Badinter, après l'antisémitisme nationaliste et l'antisémitisme racial, s'y ajoute aujourd'hui un nouvel avatar "dissimulé sous le terme d'antisionisme" (voir son article dans Le Monde du 13 février 2015).
L'antisémitisme politique a toujours consisté en une instrumentalisation et une exacerbation de sentiments antijuifs diffus au sein des sociétés en les combinant avec des problèmes politiques d'identité nationale et/ou culturelle (immigration massive, menace de guerre extérieure, risque de perte de la souveraineté nationale), et/ou de justice sociale (intégration, redistribution, participation).
Ainsi, l'antisionisme met aujourd'hui un coup de projecteur sur une autre dimension de l'antisémitisme: celle de l'Islamisme radical, mais hélas également celle de certains "intellectuels de gauche" en défense des opprimés et des exclus, et de populations qui se déclarent musulmanes ou qui se sentent obligées d'être solidaires avec les Musulmans (notamment parmi les immigrés et surtout les Français de première ou seconde génération issus de l'immigration maghrébine et africaine). Conflit des mémoires et des discriminations, perception distordue du racisme par rapport au nombre réel bien supérieur des insultes et des agressions antisémites (augmentation de 91% des actes antisémites en France en 2014 par rapport à l'année antérieure). Ressentiment et sentiment d'une injustice faite aux Français musulmans par rapport aux Français juifs qui seraient prétendument privilégiés, avec en filigrane ce vieux mythe tenace du lien entre "le" Juif et l'argent. Et toujours cette évocation récurrente d'un État d'Israël dont on remet en cause le droit à l'existence parce que présenté exclusivement comme colonisateur.
L'antisémitisme antisioniste entre en effet en congruence particulière avec le populisme justicialiste: réclamation de la justice tous azimuts pour "les petits, les dominés, les discriminés, les exclus" contre "l'impunité des privilégiés, des élites, des dominants, des bénéficiaires de la mondialisation". Grâce à la figure victimaire du Palestinien, la chaîne de causalité diabolique (selon l'expression de Léon Poliakoff) va se tisser des banlieues françaises peuplées "d'Indigènes de la République" aux pays latino-américains "dominés par l'impérialisme des Etats-Unis" et plus généralement à tous ceux qui accusent les "Occidentaux" de tous les maux. La figure honnie du Juif redevient alors "l'ennemi du peuple", de tous les peuples en lutte pour leur libération de la "domination"… Lire l’intégralité.