Tribune
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Publié le 18 Septembre 2014

Chrétiens d'Orient, une mosaïque fragile

Par Christophe Ayad, publié dans le Monde le 12 septembre 2014

Persécutions, conversion forcée, exil... La situation en Irak a mis en lumière le sort tragique des chrétiens d'Orient. Là où est né le christianisme il y a deux mille ans, ils ne représentent plus que 5 % de la population dans cet Orient. Des communautés que l'Italien Michele Borzoni a photographiées dans toute leur diversité.

L es chrétiens d'Orient sont, depuis quelques semaines, au centre de l'actualité. Ceux d'Irak en particulier, que l'offensive du mouvement djihadiste sunnite de l'Etat islamique (EI) dans le nord du pays, menace directement. A Mossoul, « capitale » irakienne de l'Etat islamique, les chrétiens n'ont eu le choix, à partir de la mi-juillet, qu'entre se convertir à l'islam ou fuir.

La plaine de ninive s'est vidée

Pour la première fois depuis quinze siècles, l'antique Ninive ne compte plus de chrétiens. Ils ont quasiment tous fui vers Bagdad ou le Kurdistan irakien, où ils ont trouvé un refuge précaire. La douzaine de villes et de villages chrétiens de la plaine de Ninive – dont Karakoch, Al-Qosh, etc. – ont connu le même sort en août.

Désespérant d'un avenir en Irak, où le nombre de chrétiens est passé de 1,5 million en 2003 à moins d'un demi-million aujourd'hui, plusieurs milliers de familles ont demandé à émigrer en Europe. En France, le gouvernement a promis d'accélérer les procédures d'asile. Mais un débat oppose ceux qui militent pour un accueil du maximum de chrétiens irakiens et ceux qui estiment que leur départ en exil est une perte irréparable pour l'Irak.

Une diversité insoupçonnée

Derrière l'expression globale « chrétiens d'Orient » se cache une diversité insoupçonnée. S'il est un domaine dans lequel l'Orient est compliqué, c'est celui des obédiences chrétiennes : elles se partagent entre monophysites et nestoriens – les premiers pensent que Jésus est uniquement d'essence divine tandis que les secondes considèrent qu'Il possède deux natures, humaine et divine, qui coexistent –, catholiques, protestants ou orthodoxes, grecs ou romains, de langue araméenne, copte ou arabe.

Tout existe, tout se mélange, les identités nationales, les points de dogme, la géopolitique, pour former une marqueterie aussi délicate que séculaire. Cet enchevêtrement de traditions et d'histoires a produit une extraordinaire variété, comptant une quinzaine d'Eglises… Lire la suite.

Photo D.R

Une région en plein tumulte

Quoi de commun entre les coptes d'Egypte habitués à des siècles de domination musulmane et les maronites du Liban, qui ont rêvé, au début des années 1980, de former un Etat séparé ?

Quel rapport entre les communautés rattachées à Rome et au Vatican (les maronites, chaldéens, Grecs catholiques, dits melkites, etc.) et ceux se revendiquant d'Antioche (les syriaques orthodoxes), d'Alexandrie (les coptes), de Jérusalem (les Grecs orthodoxes d'Israël, des territoires palestiniens et de Jordanie) ou encore d'Etchmiadzin (près d'Erevan, pour les Arméniens) ?

Des images empreintes de fatalisme

Michele Borzoni, jeune photographe du collectif documentaire italien TerraProject, a travaillé dans six pays du Proche-Orient, l'Irak, mais aussi le Liban, la Turquie, la Jordanie, l'Egypte et les territoires palestiniens sur les traces de ces communautés chrétiennes orientales. Il manque la Syrie bien sûr, mais la guerre civile en cours ne lui en a pas laissé l'occasion.

Ses images sont comme empreintes du fatalisme de ces communautés qui se savent condamnées à subir, pour longtemps encore les soubresauts d'une région en plein tumulte. Quand ce n'est pas la guerre, les discriminations ou l'intolérance qui les poussent à l'exil, les chrétiens d'Orient sont de toute façon condamnés par une démographie qui n'est pas en leur faveur.