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Daniel Cordier deviendra un résistant (compagnon de la Libération) dont l’intelligence et l’efficacité n’auront d’égales que le courage. Dès juin 1940, à l’instar de quelques centaines de collégiens, d’étudiants, de marins et de légionnaires, il avait gagné Londres pour poursuivre la guerre. Il s’est toujours demandé ce qu’aurait été son destin s’il avait manqué le Léopold-II, dernier navire à quitter Bayonne, le 21 juin 1940…
Pendant près de trente ans, Daniel Cordier s’est abstenu d’évoquer, plus encore de raconter, sa guerre, refusant même de revoir certains survivants auprès desquels il avait lutté. Les anciens combattants de la Première Guerre mondiale ayant "empoisonné" sa jeunesse, il s’était juré de s’en tenir au silence. "Ayant évacué la guerre de mon passé, je n’ai participé à aucune cérémonie et n’ai lu aucun livre sur le conflit mondial, pas même les Mémoires du général de Gaulle, mon chef!" Marchand, collectionneur, il s’était pris de passion pour l’art contemporain. La joie des découvertes plutôt que le ressassement des souffrances, fussent-elles héroïques et victorieuses.
Mais voilà qu’au fil du temps paraissent des livres sur Jean Moulin dans lesquels il ne reconnaît pas son patron. Des témoins se trompent, des historiens commettent de graves erreurs, des chefs de la Résistance publient des Mémoires dans lesquels, au mépris de l’histoire, ils tirent la couverture à eux. On accuse Jean Moulin d’avoir été un "cryptocommuniste" et même d’avoir été un traître à la Résistance. Scandalisé, indigné, Daniel Cordier décide alors de sortir de son silence et de rétablir la vérité. Défendre son patron. Non pas en écrivant son propre témoignage, mais en se faisant historien, c’est-à-dire en ayant recours aux archives, qu’elles soient personnelles ou officielles, accessibles ou encore secrètes.
Comment il est devenu archiviste et chercheur. Comment il a appris à mettre au jour, à décrypter et classer les documents. Comment il s’est forgé une méthode de travail et une gouverne d’historien. C’est ce qu’il raconte avec précision et pugnacité dans De l’Histoire à l’histoire, récit de son sidérant parcours intellectuel. À la fin des années 1980, son Jean Moulin, l’inconnu du Panthéon - il y aura trois volumes! -, résultat d’un travail colossal, clouera le bec des calomniateurs du chef de la Résistance sans pour autant étouffer toutes les polémiques.
Mais le meilleur était à venir : Alias Caracalla, 2009, ses Mémoires, livre magistral de probité, de finesse et d’écriture. L’académie Goncourt aurait-elle dû faire une entorse à sa tradition, qui est de couronner une fiction, en lui décernant son prix? Régis Debray le pense. Il est paradoxal que Daniel Cordier, après avoir utilisé la plume de l’historien pour réfuter les erreurs, approximations et inventions des Mémoires de certains résistants, ait décidé d’écrire les siens. C’est parce qu’il avait fait ce long travail de recherche scientifique qu’il considérait qu’il était maintenant capable de témoigner à son tour. Il y appliquerait la même rigueur.
Et n’était-il pas de son devoir de mettre un peu de lumière sur ses camarades de combat, petites gens dont l’Histoire n’avait pas retenu les noms? Raconter aussi que, contrairement à l’histoire officielle, la Résistance a été l’affaire de peu d’hommes et de femmes, souvent adversaires dans leurs idées et leurs ambitions. Enfin, son propre itinéraire - de Maurras à Jean Moulin via De Gaulle, sa honte d’avoir été trop longtemps antisémite, ses convictions d’homme de gauche après la guerre -, ne méritait-il pas quelques explications? "La recherche de la vérité est devenue chez moi un style de vie", écrit Daniel Cordier. Oui, le style, c’est l’homme.
De l’Histoire à l’histoire, Daniel Cordier avec Paulin Ismard, Gallimard, 153 p., 15 euros.
Alias Caracalla, Daniel Cordier, Folio, 9,95 euros
Alias Caracalla, téléfilm en 2 DVD, réalisation Alain Tasma, France 3, 19,99 euros.