Tribune
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Publié le 17 Mai 2013

Robert Morgenthau : «Obama fait un piètre travail sur les armes»

Comment ne pas s’extasier, quand la retraite à 60 ans est sur le gril dans notre pays, sur cet  homme qui à 90 ans a décidé de ne pas se représenter à sa charge élective de procureur du district de New York (son successeur est Cyrus Vance Jr rendu célèbre par l’affaire DSK) pour entamer une nouvelle carrière d’avocat, lutter pour le contrôle des armes, la réforme de l’immigration et la criminalité en col blanc. Un vrai programme de « réparation du monde ».

Mais c’est le nom de Morgenthau qui m’a retenu, celui d’une  famille juive américaine plongée dans la grande histoire de ce siècle.

 L’arrière grand-père arrivé d’Allemagne après la guerre de Sécession collectait modestement de l’argent pour les synagogues.

Le grand-père Henry Morgenthau Sr fit fortune, soutint Woodrow Wilson et fut de1913 jusqu’à sa démission en 1916, Ambassadeur des États-Unis à Constantinople. Alors que la Turquie était alliée de la Triplice, que les Anglais et les Français n’y avaient plus de représentation diplomatique, il a protesté avec la plus grande véhémence contre les massacres d’Arméniens (145 articles dans le New York Times pour la seule année de 1915) et a rassemblé des fonds importants pour aider les survivants. Ultérieurement, le même Morgenthau fut appelé à publier un rapport sur les meurtres antisémites dans la Pologne en voie de création des années 1919 et 1920.

Son fils, Henry Morgenthau Jr, le père de Robert, fut un des plus proches collaborateurs de Roosevelt, son secrétaire du Trésor de 1934 à 1945.

En janvier 44, poussé par deux fonctionnaires dont il faut garder les noms, Randolph Paul et Josiah Dubois, Morgenthau obtint de Roosevelt la création du War Refugee Board, une agence d’aide qui contribua à sauver 200 000 Juifs à la fin de la guerre (Raoul Wallenberg travaillait pour elle).

C’était bien tard, car jusque-là le Département d’État, dirigé par Cordell Hull (l’architecte de l’ONU, mais aussi l’homme qui a empêché le Saint Louis d’accoster) et où travaillait Sumner Welles (l’homme qui a bloqué la diffusion des rapports Riegner), et surtout Breckinridge Long, un antisémite obsessionnel, avait fait tout son possible pour ne pas envoyer aux Juifs, par exemple ceux de Transnitrie qui auraient pu être troqués contre de l’argent, les sommes dont le transfert avait été décidé et qui auraient pu les sauver.

Henri Morgenthau Jr, ce fut aussi l’auteur du fameux plan visant à désindustrialiser l’Allemagne après la guerre.

L’histoire indique qu’il ne fut pas suivi…

Richard Prasquier

Président du CRIF

 

 

 

INTERVIEW - Robert Morgenthau, 93 ans, légendaire procureur de New York surnommé le « boss », a traité pendant trente-cinq ans les grandes affaires criminelles de la ville. L'homme, qui a inspiré la populaire série « New York Police judiciaire », a notamment poursuivi les grands parrains de la mafia ou l'assassin de John Lennon. Après avoir quitté ses fonctions en 2010, il est redevenu avocat.

 

Le Figaro. - Vous défendez actuellement le dossier d'un condamné à mort de l'Alabama devant la Cour suprême. Pourquoi lui?

Robert Morgenthau. - Le procureur avait caché pendant vingt-deux ans à la défense la première audition des huit témoins. Aucun n'y avait reconnu l'accusé, poursuivi pour le meurtre d'un épicier. William Kuentzel a été condamné à mort sur la base d'une deuxième déposition, dans laquelle deux témoins ont changé leur version en disant désormais l'avoir vu. La première version a été découverte par hasard en 2010. Il est non seulement innocent devant la loi, mais aussi dans les faits. C'est un incroyable déni de justice. Hélas, la Cour suprême n'accepte d'examiner que 5 % des demandes de recours de condamnés à mort. J'ai donc statistiquement peu de chances de réussir, mais il suffit que les juges lisent le dossier pour comprendre. S'ils le font, nous gagnerons et William Kuentzel sera peut-être libre l'an prochain après presque trois décennies dans le couloir de la mort.

 

Vous dites avoir trois millions et demi de poursuites judiciaires à votre actif. Vous réveillez-vous parfois la nuit en vous demandant si vous avez envoyé des innocents en prison?

 

C'est le pire cauchemar d'un procureur. Aujourd'hui avec l'ADN, les erreurs judiciaires ont considérablement diminué. Il nous est arrivé en réexaminant plusieurs dossiers de voir que l'ADN retrouvé correspondait à une autre personne. Nous en avons toujours informé le juge. (Le cas le plus célèbre est celui de la «joggeuse de Central Parc» violée et laissée pour morte en 1989. Quatre jeunes Noirs et un Hispanique ont passé treize ans en prison avant que le vrai coupable ne se fasse connaître en 2002, NDLR.)

 

Vous avez créé un bureau de lutte contre la criminalité financière, très actif aujourd'hui. La lutte contre les «criminels en col blanc» a-t-elle plus d'importance que jamais?

 

Tout à fait. Pour que le public respecte le système judiciaire et le pouvoir, il est très important d'avoir la même justice pour tous, y compris pour les puissants. Hélas, l'évasion fiscale est très répandue. Ugland House aux îles Caïmans en est le pire exemple. Plus de 18 000 sociétés sont enregistrées dans cet immeuble. Les Britanniques font semblant de ne rien savoir. Les îles Vierges comptent à elles seules 456 000 sociétés entièrement dédiées à cela. Si certains ne paient pas leurs impôts comme ils le devraient, d'autres devront les payer à leur place et c'est injuste.

 

Vous êtes très engagé sur le sujet de l'immigration depuis que vous n'êtes plus procureur. Qu'attendez-vous de la réforme en négociation?

 

Je me suis intéressé au sujet le jour où la fille de Costa Gavras (la réalisatrice française Julie Gavras) a été arrêtée à l'aéroport de New York pour être restée au-delà de la date de son visa délivré dix ans plus tôt. Elle avait son billet de retour pour cinq jours plus tard. Je l'ai moi-même fait libérer sur parole. Son exemple montre bien l'absurdité du système. Il y a aujourd'hui 325 000 dossiers d'immigrés en attente, c'est un record historique. On a expulsé 409 000 personnes en 2012, cela fait près de 1 200 par jour. C'est une honte. Le budget sécuritaire de l'immigration est plus important que celui du FBI, des services secrets et du reste des forces de l'ordre réunis, cela veut dire qu'on considère plus dangereux un étudiant qui dépasse sa durée légale de séjour qu'un criminel armé. Il faut que l'on traite les immigrés avec plus de respect.

 

Vous militez aussi pour un renforcement du contrôle des armes. Existe-t-il une solution?

 

Je sais de quoi je parle en matière d'armes, j'ai eu ma première carabine à 6 ans, mon premier fusil à 12 et mon premier revolver à 16. Dans la Navy, j'avais une mitrailleuse. J'ai proposé une solution efficace, mais personne ne m'écoute. L'industrie des armes est la seule aux États-Unis qui bénéficie d'une immunité en matière de responsabilité civile. Le lobby pro-armes a fait passer une loi dans ce sens au Congrès en 2005. Le président Obama devrait l'abroger. Évidemment cela rendrait la NRA (National Rifle Association) folle. Mais c'est ainsi qu'on a fait tomber l'industrie des cigarettes. De plus, Obama devrait faire passer les lois sur le trafic illégal d'armes entre États et sur le fichier national d'identité. Le gouvernement fait un piètre travail sur ce sujet.

En plus d'une carrière bien remplie, vous êtes aussi petit-fils d'ambassadeur américain dans l'Empire ottoman, fils d'un secrétaire au Trésor sous Franklin Roosevelt, vous avez été proche de John F. Kennedy et avez échappé de justesse à la mort sur des bateaux torpilleurs de la Navy pendant la Seconde Guerre mondiale. Comptez-vous écrire une biographie?

 

Non, je n'aime pas regarder le passé, je préfère l'avenir.