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Publié le 27 Novembre 2012

Élie Szapiro : « Un musée éphémère de l’histoire de l’intégration des Juifs en France »

 

Article publié dans le numéro 1232 d’Actualité Juive du 22 novembre 2012.

En fichier PDF téléchargeable ci-dessous, le catalogue de l’exposition.

 

Ce mardi 27 novembre 2012 à Drouot a lieu une vente historique de divers objets de Judaïca dont la collection Marc Gordon qui regroupe plus de trois cents numéros. Ainsi que nous l’explique l’expert de la vente, le galeriste Élie Szapiro, c’est la première fois qu’il disperse une collection de cette importance.

 

Actualité Juive : Vous êtes l’expert de cette vente aux enchères publique. En feuilletant son catalogue, on découvre que des éléments importants appartenant à la collection de Judaïca de Marc Gordon vo nt être cédés. Quelle est la particularité de cette collection ?

 

Élie Szapiro : La vente est centrée sur l’histoire des Juifs en France à 80%. Elle s’étend du début du XVIe siècle jusqu’à essentiellement le milieu du XIXe siècle avec quelques pièces postérieures parfois amusantes. C’est-à-dire qu’elle couvre un départ très noir qui est celui de la grande ségrégation des Juifs à la fin du Moyen Âge jusqu’à, peu à peu, l’éclosion du Siècle des Lumières. À partir de 1750, la question juive est posée en France qui aboutit à l’Émancipation et à l’intégration des Juifs. Alors que les Juifs reçoivent le droit de citoyenneté en 1791, en 1848, on compte déjà des Juifs ministres. L’un des côtés extraordinaires de cette collection et que l’on voit très rarement en tant qu’expert, c’est que Marc Gordon au lieu de ne chercher que des pièces exceptionnelles a eu conscience du fait que parfois des éléments qui n’ont pas une grande valeur marchande - et je parle parfois de pièces à quelques dizaines d’euros - sont exceptionnellement significatifs sur le plan historique. Par exemple, les premières impressions de la loi donnant la citoyenneté aux Juifs ont été réimprimées dans chaque chef-lieu de département. Ça vaut à l’heure actuelle quelques dizaines d’euros alors que c’est le document qui nous fait français. Je le dis presque en plaisantant, mais chacun de nous devrait en avoir un exemplaire imprimé dans sa salle à manger…

 

On ne peut que se demander qui est Marc Gordon et comment il a constitué une telle collection?

 

Marc Gordon est d’origine lituanienne, ce qui nous rapproche d’ailleurs, et il a commencé à collectionner, il y a cinquante ans sous l’impulsion de son père. Il a ainsi mis un demi-siècle à constituer cette collection dans l’état où elle est présentée aujourd’hui. Il était à titre amateur trésorier de la Commission française des archives juives, mais, pour former sa collection, il avait les moyens d’un grand négociant dans le textile.

 

De quoi est constituée majoritairement cette collection ?

 

Pour la plupart, ce sont des documents imprimés sur l’histoire des Juifs en France émanant le plus souvent des autorités non-juives. Il y a d’une part tous les livres importants publiés par les non-Juifs à la veille de la Révolution pour dire aux députés de l’époque que les Juifs sont des personnes comme les autres. On trouve une grande partie des documents publiés contre les Juifs au moment de la Révolution qui permettent de voir comment s’est faite leur émancipation.

 

C’est sans doute difficile pour un expert passionné, mais si vous deviez retenir quelques pièces phares de cette vente, qu’est-ce que vous retiendriez ?

 

Sur le plan du clin d’œil, d’abord, il y a un numéro de « Di Naye Presse » qui était l’un des quotidiens yiddish de Paris dans l’après-guerre et c’est un numéro qui a été dédicacé à Jacques Duclos, secrétaire général du Parti communiste français… Mais la pièce la plus importante sur le plan historique, c’est ce fameux rapport présenté à Malesherbes : un manuscrit grand format qui fait plus de cent pages, soit une histoire extrêmement fouillée de la vie des Juifs en Europe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle avec des arguments en faveur de leur égalité.

 

Pour un musée ou un service des archives juives, c’est une mine d’or…

 

J’avoue que je serais ravi que cela aille dans un musée bien que n’étant pas directement concerné…

 

Pour conclure, pourquoi nos lecteurs doivent-ils assister à cette vente ?

 

C’est un musée éphémère de l’histoire de l’intégration des Juifs en France qui montre bien que lorsque l’on veut s’intégrer, il faut accepter les lois du pays dans lequel on se trouve. C’est d’ailleurs en toutes lettres dans le texte de 1791 qui nous a faits français. Et ne serait-ce que pour cela, ça vaut la peine de montrer que nous sommes solidaires de cette définition.

 

Propos recueillis par Sandrine Szwarc.