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« Il faut raconter exactement comme c'est, sans faire de pathos, sans dramatiser. Je pense que la vérité est suffisamment lourde et dramatique comme ça, sans en rajouter. » Arlette Testyler, rescapée du Vel d’Hiv de 79 ans, apporte un témoignage historique, qu’elle veut d’abord factuel. Les dates sont précises, comme les noms et les adresses qu’elle évoque. Son récit ne doit pas être contestable car « les gens, les jeunes doivent savoir ce qu’il s’est vraiment passé, si on ne veut pas que ça recommence. »
Son témoignage reste aussi celui d’une enfant, ponctué d’images vives, d’odeurs et de cris. C’est celui d’une fillette de neuf ans épanouie et protégée, à l’enfance rognée de loi en loi... Port de l’étoile, restrictions alimentaires, jusqu’à la déportation de son père, Abraham Reiman, « Convoi numéro 4, le 25 juin 1942 » précise Arlette. Le 16 juillet 1942, le « vent printanier », aura définitivement raison de son enfance.
L’opération « vent printanier »
« Vent printanier », c’est le nom de code que le gouvernement de Vichy a donné à la « rafle du Vel d’Hiv », sous l'impulsion d’Adolf Eichmann. Le responsable logistique de la « solution finale » avait lancé une vague de rafles dans toute l’Europe. Le 1er juillet 1942, il se rend à Paris pour imposer ses conditions : « Le rythme prévu jusqu’ici de trois transports hebdomadaires contenant chacun 1000 juifs devra être intensifié rapidement, en vue de libérer totalement et le plus vite possible la France de ses Juifs. » Jean Leguay, délégué de la Police de Vichy en zone occupée et René Bousquet, secrétaire général de la Police française, en serviteurs zélés, mettent au service de la volonté nazi quelque 4500 agents. Si bien que « Pas un soldat allemand ne fut nécessaire à l'accomplissement de ce forfait », comme le rappelait l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, en 1997. « Cette rafle fut décidée, planifiée, réalisée par des Français. »
Le 12 juillet 1942, le directeur de la police municipale de Paris Emile Hennequin donne ses instructions : « 1. Les gardiens et inspecteurs, après avoir vérifié l’identité des Juifs qu’ils ont mission d’arrêter, n’ont pas à discuter les différentes observations qui peuvent être formulées par eux {…} 2. Ils n’ont pas à discuter non plus sur l’état de santé. Tout Juif à arrêter doit être conduit au Centre primaire {…} 7. Les opérations doivent être effectuées avec le maximum de rapidité, sans paroles inutiles et sans aucun commentaire. »
Des arrestations dans l’indifférence
« On a été arrêtées à 5 heures du matin, on est venu nous chercher comme si on était des criminelles, c’était très bien organisé, très bien orchestré. » raconte Arlette Testyler. « Deux policiers ont dit à ma mère "on vient arrêter votre mari". Mon père était déjà parti à Pithiviers puis Auschwitz – ce qu’on ne savait même pas d’ailleurs – ils ont dit "Oh, c’est pas grave, c’est vous et vos enfants" et alors là, ma mère s’est battue avec eux, elle a essayé de se défendre, de ne pas se laisser attraper, mais ça n’a servi à rien. »
Dans le 3ème arrondissement parisien, au 114 rue du Temple, Arlette, sa sœur et sa mère sortent finalement de leur appartement avec leurs baluchons. Elles rejoignent les quatre autres familles juives de l’immeuble sous les regards indifférents des voisins. « On est descendues dans des autobus, les gens entendaient crier aux fenêtres, ils regardaient en catimini, bien sûr, personne n’a bougé. » Aujourd'hui encore, Arlette essaye de comprendre leur attitude : « Bon, je sais, c’était la guerre, il y avait des privations, mais on ne peut pas rester indifférent à ce qu’on emmène des nourrissons, des nouveaux nés, sans rien ! ».
« C’était dantesque »
Arlette est emmenée dans un bus vers le « centre primaire » : le Vélodrome d’Hiver. Le complexe sportif de la rue Nétalon, conçu pour accueillir 12 000 personnes, se retrouve vite surchargé. « Vous connaissez l’enfer de Dante ? C’était dantesque. Rien n’avait été préparé, on n’avait pas à boire, on n’avait rien à manger, les sanitaires… Ce qu’une enfant de mon âge a pu voir, les suicides, les femmes qui se blessaient volontairement en espérant se faire rapatrier dans des hôpitaux, ce qui ne servait strictement à rien. On a vu arriver des nourrissons, des femmes qui accouchaient, qui étaient sur le point d’accoucher, des gens hurlaient, il y avait des hurlements, les micros qui marchaient toute la journée, la lumière qui était allumée jour et nuit… » Et cet aveu final, gêné, enfantin : « Vous savez, j’ai fait pipi dans la culotte en allant aux toilettes tellement j’ai vu d’horreurs, et j’ai pas pu me retenir, évidemment. »
Le calvaire continue pour Arlette et sa famille le 19 juillet 1942. Avec sa mère et sa sœur, elles reprennent l’autobus vers la gare d’Austerlitz où les attendent des wagons a bestiaux, pour les conduire au camp de transit de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. « Nous avons dû grimper dans des wagons à bestiaux, avec pour seule nourriture un bidon de lait et une boîte de sardines… Sans ouvre-boîte. » Le manque d’air, l’insalubrité, les cris des enfants s’ajoutent à la faim. « J’avoue que je ne peux toujours pas passer devant la gare d’Austerlitz, je ne peux pas y prendre le train, soixante-dix ans après. »
Jusqu'à l'arrivée au camp de Beaune-la-Rolande, Arlette dit avoir été « tétanisée ». « Je n'ai rien compris.. Mon père me parlait de "la France des droits de l'homme, la France des libertés". Il me disait toujours que si je me perdais dans la rue, il fallait que j'aille voir un policier. Mais le fait d'avoir été arrêtée par des policiers français, tout ce que mon père m'avait enseigné s'est effondré. J'étais pétrifiée»
Le réveil des Justes
Arlette et sa soeur Madeleine s'en sortiront grâce à la prise de conscience de leur mère, Malka Reiman, une « maîtresse-femme » au sang-froid exemplaire. « Elle se posait beaucoup de questions et elle s'est tout de suite dit : "il faut sortir de là."» Au camps de transit de Beaune-la-Rolande, Malka fait valoir avec son « Ausweis » (droit de circuler - ndlr) qu'elle travaille pour l'armée Allemande. Elle est alors renvoyée à Paris le 24 juillet 1942 dans la catégorie « Juifs utiles ». Arlette, sa sœur et sa mère en profitent pour s'échapper du train. Malka Reiman loue alors ses services de cuisinière "alsacienne" ou de couturière dans les fermes et envoie ses deux filles se cacher en Touraine. Malka survivra à la guerre mais pas au décès de son mari. Elle meurt en même temps que l'espoir de le voir revenir, le 7 janvier 1946.
En Touraine, Arlette et Madeleine ont été hébergées par Jean et Jeanne Philippeau. Des « Justes parmi les nations » qui, malgré leurs modestes revenus et de lourdes menaces, hébergent cinq enfants, dont quatre sont juifs. Pour Arlette, ce sont les enfants qui ont servi de déclencheur dans l’esprit des Français. « Je pense que quand ils ont vu les enfants partir, dans des wagons à bestiaux, ils se sont posé des questions, ces enfants ne pouvaient pas partir travailler en Allemagne. Et là, c’est un point sur lequel j’insiste beaucoup, car si la France a été le pays de la collaboration, il a aussi été les pays où l’on a sauvé le plus d’enfants. »