Tribune
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Publié le 6 Octobre 2011

Lorsque les petites marionnettes des Guignols de l’info disjonctent, par Marc Knobel

Les Guignols de l’Info, cette parodie au vitriol diffusée par Canal +, est sympathique en général. Lorsque je le peux, il m’arrive de regarder ces amusantes marionnettes se pavanant, grotesques quelquefois ou tout simplement risibles, caricatures des personnages qu’elles sont censées être. On m’a rapporté cependant que les gentilles petites marionnettes du mercredi 5 octobre 2011 se sont à un moment distinguées dans la bêtise.



Comment ?



L’illustre marionnette de Patrick Poivre d’Arvor (PPDA) anime cet espèce de journal télévisé, comme vous le savez où les marionnettes défilent et commentent l’actu du jour. A un moment, une marionnette habillée d’une blouse blanche se présente à l’écran, elle tient entre les mains un sac poubelle de couleur bleu. Il s’agit de Daniel Schechtman, chercheur de l'Institut de technologie du Technion à Haïfa (nord d'Israël), honoré par le prix de Nobel de chimie qui vient de lui être attribué.



De quoi s’agit-il ?



Le 8 avril 1982 lorsqu'il examinait au microscope électronique un étrange alliage d'aluminium et de manganèse, la structure des atomes qu'il avait sous les yeux contredisait en effet toute logique: des cercles concentriques, composés chacun de dix points brillants espacés exactement de la même distance. Une "symétrie d'ordre 10" totalement incompatible avec les connaissances scientifiques de l'époque, selon lesquelles des cristaux ne pouvaient admettre que des symétries d'ordre 2, 3, 4 ou 6, sauf à créer un impossible chaos d'atomes entrant en collision les uns avec les autres. Plus étonnant encore, si le matériau observé par M. Shechtman présentait bien un ordonnancement régulier, suivant des règles mathématiques comme celles des cristaux classiques, sa structure ne se répétait jamais à l'identique comme chez ces derniers. La découverte du chercheur israélien, alors détaché auprès d'un laboratoire américain, a suscité l'incompréhension et même la réprobation de ses pairs, tels l’illustre Linus Pauling, au point qu'on lui demandera de quitter son unité de recherche!



Bref, tout cela est compliqué, mais dix ans après et de nombreuses confirmations expérimentales plus tard, la découverte est enfin récompensée par ses pairs.



Mais quel rapport avec les guignols ?



Je vous disais que cette marionnette était apparue à un moment tenant un sac en plastique de couleur bleu. Il y eut approximativement alors le commentaire suivant :



« Eh bien, il a réussi à mettre les Palestiniens dans la poubelle et c’est vrai qu’il a mis 50 ans pour le faire. »



Première remarque : les auteurs de ce « sketch » savent-ils que les israéliens ont reçu 10 prix Nobel jusqu’à ce jour ? Il est peu de nations dans le monde avec un tel palmarès.



Seconde remarque : Peut-on rire de tout ? Le conflit israélo-palestinien n’est pas vraiment drôle, il est tragique. Pas de quoi rigoler, vraiment.



Mais surtout, qu’est-ce que cette étrangeté de coller à tout israélien le poids et le fardeau de ce conflit ?



Voilà une étrangeté qui me sidère et qui confine à l’aveuglement. Comme toujours, on se permet avec les israéliens - fussent-ils de grands savants, de grands humanistes, voire des militants « progressistes » - des choses, des mots, des phrases, des coups de gueule, des vulgarités et de basses bassesses que l’on ne se permettrait pas avec d’autres.



Tellement facile…



Photo : D.R.