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Publié le 27 Avril 2011

La séquence oubliée du «Serment» : le massacre du personnel de l’hôpital Hadassah le 13 avril 1948 - La Grande-Bretagne a une responsabilité dans ce qui se passe aujourd'hui - Par Bruno Halioula

Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.




J’avoue que j’ai fait partie des téléspectateurs qui ont regardé « The Promise » (« Le Serment ») sur Canal +. Je ne vais pas m’appesantir sur la qualité de cette saga en quatre épisodes réalisée et mise en scène par Peter Kosminsky, dont l’objectif était de mieux faire comprendre le rôle joué par la Grande- Bretagne dans la genèse du conflit israélo-arabe. Il a expliqué dans un entretien à Télérama que « la Grande-Bretagne a une responsabilité dans ce qui se passe aujourd'hui » (http://television.telerama.fr/television). ¨Pour réaliser ce film, Peter Kosminsky a déclaré qu’il s’était longuement documenté et qu’il avait écouté les témoignages de 82 anciens soldats britanniques ayant servi en Palestine au cours de la fin du Mandat.



Pourquoi pas ? C’est à ma connaissance la première fois qu’un réalisateur s’intéresse de près, au point de vue britannique. Il a donc choisi d’aborder sélectivement entre autres le départ des Palestiniens, l'attentat de l'hôtel King David, les attentats suicides palestiniens mais aussi Deir Yassin.



Je sais qu’il est toujours difficile d’être exhaustif. Je regrette qu’il n’ait pas évoqué le massacre de 79 juifs, principalement membres du personnel médical et paramédical de l’hôpital Hadassah le 13 avril 1948, soit 4 jours après la mort de 100 à 120 Palestiniens à Deir Yassin (Yoav Gelber, Palestine 1948, Sussex Academic Press, 2006, p.311). Pourtant, c’est un des événements les plus marquants de l’histoire de la guerre d’Indépendance et il est à regretter qu’il soit si peu connu.



Quatre kilomètres



Rappelons que ce massacre a été perpétré entre le moment où l'Assemblée générale de l’ONU s’est prononcée le 29 novembre 1947 pour le partage de la Palestine en deux États, l'un juif, l'autre arabe et la proclamation de la naissance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948. Le Mont Scopus dans lequel se trouvaient l’hôpital Hadassah et l’Université hébraïque, était alors une enclave juive isolée entourée de villages arabes hostiles.



L’approvisionnement de l’hôpital était de plus en plus problématique en raison des multiples attaques qui avaient lieu sur la route qui permettait de s’y rendre. En conséquence, la Haganah avait mis en place une escorte militaire pour protéger les autobus que le personnel de l’hôpital empruntait pour aller y travailler. Le 13 avril 1948, à 9 h, 105 hommes et femmes ont embarqué Rehov Solel (aujourd'hui Rehov Havatselet) dans un convoi à destination du Mont Scopus situé à exactement 4 kilomètres. Le convoi comprenait 10 véhicules avec en tête une automitrailleuse suivie d’une ambulance blanche arborant le symbole du Magen David Adom, de deux autobus, d’une autre ambulance, de quatre camions et d’une deuxième automitrailleuse protégeant l'arrière du convoi.



Parmi les passagers du convoi, il y avait un ophtalmologue mondialement connu Haïm Yassky, directeur général de l'hôpital Hadassah avec sa femme Fanny, les professeurs Leonid Doljansky et Moshe Ben-David qui avaient fondé la faculté de médecine de Jérusalem (Israel: a personal history David Ben Gourion. Funk & Wagnalls edition. p 73). Il y avait aussi Hanna Cassouto, une survivante italienne de la Shoah qui se rendait à son laboratoire afin de poursuivre ses travaux de recherche en anatomopathologie. Il y avait également le dermatologue Haïm Cohen, le gynécologue Bruno Bercowitz et le physicien Guenther Wolfsohn. Il y avait également Batya Bass, 43 ans, enceinte, à la fin de son neuvième mois qui devait accoucher de son quatrième enfant. Il y avait Esther Passman Epstein, une jeune juive américaine, directrice des services sociaux de l'Institut du cancer.



Tous massacrés sans que les soldats britanniques n’interviennent



Au poste de contrôle de police de Mea Shearim, le responsable britannique Robert J. Webb avait affirmé au responsable du convoi que la voie était libre. C’est donc en toute confiance que les véhicules se sont engouffrés dans le quartier arabe de Sheikh Jerrah jusqu’à ce que le véhicule de tête saute sur une mine sur la route de Naplouse à 9h30. Cinq véhicules ont réussi à échapper à l'embuscade, mais les cinq autres, notamment deux autobus bondés, ont été pris au piège dans un déluge de balles et de cocktails Molotov. Tous les hommes et les femmes ont été massacrés sans que les soldats britanniques n’interviennent en dehors du colonel Jack Churchill qui a réclamé de l’aide à 10h30. Ce dernier a téléphoné à de multiples reprises au Q. G. de l’armée britannique de Jérusalem afin qu’on lui permette d’envoyer sur place un peloton d'automitrailleuses des Lifeguards, et qu’on lui donne l'autorisation de se servir de mortiers de trois pouces afin de dégager les véhicules. Il n’a pas reçu cette autorisation malgré ses appels incessants.



Le convoi a alors subi l’attaque de vagues de combattants arabes qui criaient « Minshan Deir Yassin » (« pour Deir Yassin ») (It takes a dream. The story of Hadassah Marlin Levin, Esther Kustanowitz Hewlett, NY: Gefen Books, 2002 p 228). Des toits, des terrasses, des balcons, du Mont des Oliviers et du Mont Scopus, de la Colline du mauvais conseil et même des fenêtres du siège du gouverneur où se trouvait le général Mac Millau, la moitié de Jérusalem a assisté à l'agonie du convoi assiégé. L’ambulance et les bus ont été embrasés après avoir été aspergés de cocktails Molotov. Mais les Britanniques ne sont pas intervenus quand ils ont entendu les cris des hommes et des femmes qui les imploraient de les sauver. Comme l’a expliqué le docteur Avraham Freiman l’absence de réaction des Britanniques a donné du courage aux combattants arabes (It takes a dream. The story of Hadassah Marlin Levin, Esther Kustanowitz Hewlett, NY: Gefen Books, 2002 p 228). Il a fallu attendre 15h30 pour que le haut commandement britannique donne enfin l'ordre aux forces qui se trouvaient sur place d'intervenir vigoureusement. Six longues heures pour que les Anglais interviennent. Quand ils se sont rendus sur place, ne restaient que des véhicules calcinés et des corps mutilés. Dans « O Jérusalem » de Dominique Lapierre et Larry Collins, on lit : « Que ce soit par une incroyable lenteur à réagir, par désir de punir la communauté juive pour Deir Yassin, par pure sottise, ou par des complicités à un quelconque échelon de la hiérarchie, les Anglais allaient se rendre coupables de l'énorme retard mis à secourir le convoi. ».



Conclusion



Peter Kosminsky a-t-il eu connaissance de ce massacre horrible de ces hommes et de ces femmes innocents ? Si oui, il est indéniable qu’il n’a pas jugé nécessaire de rappeler cet événement. Si non, cela signifie qu’il n’a pas réalisé un travail de documentation satisfaisant. On peut toutefois s’interroger. Comment se fait-t-il qu’aucun des soldats britanniques n’aient gardé le souvenir de cet épisode douloureux ? En tout cas, je peux vous dire qu’à chaque fois que j’emprunte la route reliant le centre de Jérusalem au Mont Scopus, j’y pense longuement. Je pense longuement à ces 79 hommes et femmes qui ont donné leur vie parce qu’ils voulaient se rendre à l’hôpital Hadassah. Nous ne devons pas l’oublier...



Photo : D.R.