Ce très beau texte écrit en 1996 par Ehud Loeb, survivant des camps d’extermination nazis, à la mémoire de ses parents assassinés à Auschwitz, a été lu publiquement lors de la cérémonie de commémoration de la journée de la Shoah, organisée jeudi 19 avril 2012 par le CJL-UJLL à Lyon.
Ils m’ont tout pris: ma mère, mon père, ma tante Erna, ma grand-mère Sophie. Grand-mère est morte trois semaines après notre arrivée au camp de Gurs. Tante Erna, qui s’était mariée quelques semaines avant la déportation et s’était installée dans une autre ville, a perdu la vie quelque part dans l’Est, avec son mari et l’enfant qu’elle portait. Mes parents ont été assassinés à Auschwitz.
Je me souviens nettement de ce matin d’octobre 1940. Le soleil baignait la pièce exiguë où nous vivions, dans cette maison terriblement surpeuplée où s’entassaient tous les Juifs de la ville. Nous étions trente: des jeunes, des gens d’âge mûr, des vieillards et des malades. Et moi – le seul enfant. Au petit matin, la Gestapo a fait irruption. Elle nous a signifié notre transfert. On nous donnait une heure pour faire nos bagages. Dix kilos par personne.
J’entends encore la voix de mes parents. Maman m’a soulevé de mon lit – j’avais six ans et demi – elle a fait ma toilette, calmement, avec des gestes lents, m’a habillé, et, avant de mettre mes chaussettes, m’a dit: « N’oublie jamais, quand tu mettras tes chaussettes, que tu as les mêmes ongles des pieds que ton père. Et alors tu te souviendras de lui. » Puis elle dit: »La nuit, regarde la lune. Si jamais nous sommes séparés, sache que où que nous soyons, nous regarderons la même lune. » Elle m’a embrassé très fort. Savait-elle ce qui nous attendait ?