Editorial du président
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Publié le 19 Septembre 2012

Un cri passé sous silence

Non, ce n'est pas "etbakh el yahoud" (égorge les Juifs) que j'ai entendu dans le film relatant la manifestation à proximité de l'Ambassade des Etats Unis, c'est Khaybar ya yahoud": qu'on peut traduire, je suppose, par "Juifs, souvenez vous de Khaybar".

 

Cette phrase fait allusion à un combat que Mahomet a livré contre les Juifs habitant l'oasis de Khaybar. Ils n'y furent pas exterminés mais asservis, avant d'être expulsés quelques années plus tard. Le slogan "Khaybar ya yahoud" est un "must" de toute manifestation anti-israélienne.

 

Alors que des allusions avaient été faites, notamment pas le ministre de l'Intérieur, sur les propos inacceptables tenus par les excités manifestant sur les Champs Elysées, presque personne ne s’était appesanti à leur sujet.

 

Est-ce un oubli, une volonté de ne pas parler de sujets qui clivent ou l'impression qu'il ne s'agissait pas d'un "événement" digne d'être signalé, je ne sais pas. En tout cas, le combat de Khaybar est importé dans les rues de Paris: il est le symbole d'une "demande de respect" qui ne sait pas s'exprimer sans rechercher l'humiliation de l'autre. L'autre est souvent l'Amérique, et presque toujours le Juif.

 

Pourquoi le Juif? Après tout, ce film ignoble et minable n'a pas été réalisé par un Juif, et l'eût-il été qu'il n'y aurait aucune raison d'en faire porter la responsabilité sur "les" Juifs en général, comme nous prenons garde de ne jamais faire porter la responsabilité sur "les" musulmans des actes commis par certains d'eux, même quand il s'agit de crimes perpétrés au nom de l'Islam.

 

Ce type de raisonnement est évidemment inaudible par les excités de l'Ambassade. Ils haïssent le Juif comme ils respirent; qui se demande pourquoi et comment il respire?

 

De bons experts tentent de nous rassurer sous prétexte que ces appels à la haine sont minoritaires. Minoritaires peut-être, mais fréquents à coup sûr, et de plus en plus "tendance". Il est inutile de souligner leur potentiel meurtrier: d'après le Parisien, 31 morts depuis la diffusion du film.

 

C'est en considération de ces morts que nous désapprouvons l'initiative prise par Charlie Hebdo. La censure de la critique religieuse ne doit pas exister dans nos sociétés, même si cette critique est détestable, grotesque, nauséabonde ou choquante. La critique religieuse peut blesser, c'est le prix à payer pour l'indispensable liberté d'expression. Mais la critique religieuse doit elle-même accepter d'être critiquable: non sur son principe mais sur son opportunité. Publier ces jours-ci, au nom de la liberté, des caricatures sur Mahomet est une forme de panache irresponsable.

 

Ce n'est pas en les provoquant, mais ce n'est certes pas en les passant sous silence que nous ferons disparaître ces appels à la haine, ce n'est pas en essayant pathétiquement de croire qu'ils s'effaceront d'eux-mêmes après un hypothétique accord israélo-palestinien, qui sera forcément de compromis. C'est en luttant sans faiblesse contre la sidérante fabrique de haine anti-occidentale et antisémite qui se développe impunément devant nous que nous serons fidèles à nos valeurs qui sont effectivement des valeurs d'ouverture, de compréhension et de tolérance. Pas des valeurs de complaisance.

 

Bonne année 5773,

 

Richard Prasquier

Président du CRIF