Les conclusions sont évidentes : la plupart des patients qui prennent des statines doivent arrêter leur traitement. Étant donné la publicité faite au livre, il n’y a pas de doute que beaucoup d’entre eux ont déjà commencé à le faire. Je prétends, je ne suis pas le seul, que quelques-uns d’entre eux vont en mourir.
Y a-t-il vraiment une « polémique »?
D’un côté, un pneumologue, sans compétence connue en athérosclérose et dont la réputation fut dans le passé entachée par déclarations à l’emporte-pièce sur le traitement du Sida par la cyclosporine et l’innocuité du tabagisme passif. De l’autre côté des professionnels reconnus par leurs pairs, mais loin des feux de la rampe, artisans discrets de la recherche sur les hypercholestérolémies, l’athérome et l’épidémiologie cardio-vasculaire et qui, appuyés sur des données analysées dans les milieux scientifiques, soutiennent l’intérêt de baisser, dans de nombreuses circonstances, le taux de cholestérol sanguin. Ils mettent en garde contre les prescriptions médicamenteuses qui débordent parfois des données établies de la science, mais ils alertent sur le risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Avec eux, les cliniciens innombrables, dont votre serviteur, qui ont prescrit suffisamment de statines dans leur vie pour savoir que leurs effets délétères sont mineurs et qu’ils sont probablement une des familles médicamenteuses les mieux étudiées.
Il n’y a pas de polémique réelle dans les milieux médicaux. Mais la logique, qui devrait enterrer à toute vitesse le livre en question, n’a cependant aucune chance de triompher. Pourquoi ?
1° M. Even est « un bon client ». Il connaît les médias. Il s’en est servi dans le passé, et il n’importe pas dans notre système (« qu’on parle en bien ou qu’on parle en mal, pourvu qu’on en parle ! ») que cela ait été pour des causes discutables. Ce qui compte est qu’il soulève une controverse dans le domaine de la santé particulièrement porteur actuellement. Des débats en perspective sur un sujet « chaud », excellent pour l’audience, donc le business.
2° Il lutte contre l’ « Establishment ». En science, Robin des Bois s’appelle Galilée. Le héros solitaire contre le pouvoir, le petit contre les grands. Autant dire le colonisé contre les oppresseurs. Manichéisme.
3° Il s’indigne contre les« lobbys »internationaux, ces pieuvres qui nous dirigent, uniquement mues par l’appât du gain, habiles à déformer la vérité pour nous attirer vers leurs poisons. Conspirationnisme.
4° Il est la voix des sans-voix. Il nous venge des experts aux compétences étriquées, aux procédures trop compliquées et à l’indépendance douteuse. Pourquoi la liberté d’expression, conquête essentielle de la démocratie, ne devrait-elle pas s’appliquer à tous les domaines? Pourquoi le citoyen lambda ne devrait-il pas donner son avis sur la théorie des cordes, le boson de Higgs ou les dyslipidémies? Il a par définition du bon sens, ce qui remplace avec profit les soi-disant compétences. Populisme.
5° Mais il est quand même professeur. Il n’a pas bradé le charisme du titre et l’a mis au service de l’humanité plutôt que pour ses intérêts personnels. Les gens ont besoin de luminaires diplômés, grands indignés qui indiquent la voie du bien. Hesselisme.
Voilà pourquoi pour comprendre le monde, il peut être utile de comprendre le cholestérol…
Richard Prasquier