L’AIPAC exceptionnellement fréquentée (imaginez plus de10 000 diners assis dans la même salle) a eu lieu au cours d’une semaine cruciale. Précédée par le discours de Barack Obama sur les « printemps arabes » (mais en réalité sur le conflit israélo-palestinien) du 19 mai, suivie par le discours de Benjamin Netanyahou au Congrès américain le 24 mai, la Convention a entendu le Président américain le 22 et le Premier ministre israélien le 23 mai, tous deux, on le sait, orateurs exceptionnels. Le premier a précisé certains points « mal compris » de son discours précédent. Et j’aimerais ici faire quelques commentaires sur ce que j’ai compris des relations israélo-américaines et de la position du Président américain.
Participant à l’AIPAC le Français pénètre un monde aux règles surprenantes, un monde où le pasteur évangéliste du Sud et le caporal du Midwest, grand blessé de la guerre en Irak, prononceront, précédés et suivis par des hommes politiques, des discours d’un patriotisme flamboyant associé à une défense émue de l’Etat d’Israël. Un monde où chaque parlementaire, sénateur ou représentant, fût-il du Wyoming ou du Montana où vivent très peu de juifs et très peu de musulmans, sait qu’il possède sa propre part de souveraineté nationale, n’accepte pas de consigne de vote partisane en politique étrangère et est très conscient que à lui seul, il peut faire la différence dans un Congrès qui représente un puissant contre-pouvoir à l’exécutif. Un monde où les partis politiques se résument à une rivalité entre centre droit (les démocrates) et droite conservatrice (les républicains) avec une méfiance traditionnelle contre la centralisation du pouvoir. Un monde où les chefs des sénateurs et des représentants, démocrates et républicains prononceront à peu près le même discours d’amitié chaleureuse envers Israël et d’approbation aux positions du gouvernement israélien, même après le discours du Président Obama. Un monde enfin, où ces orientations reflètent très largement celles de leurs électeurs. Le soutien de la population américaine à Israël, toutes les statistiques en témoignent, n’a jamais été aussi élevé. Il faut aller au Canada ou en Australie pour trouver des chiffres analogues, mais les atermoiements et/ou l’hostilité latente de tant de pays européens envers Israël paraissent incongrus….et provoquent des questions répétées sur leur origine.
La densité de la relation stratégique entre les USA et Israël est grande. Pour l’industrie de défense américaine, Israël n’est pas un client interchangeable : c’est un partenaire dont l’excellence scientifique et technologique et l’expérience sécuritaire profitent de façon irremplaçable aux Américains eux-mêmes. Ce partenariat n’a pas été remis en cause par l’administration Obama et n’a pas été apparemment objet de pressions politiques (comme cela avait été le cas lors de la présidence de Bush père à l’encontre du Premier Ministre Shamir). Malgré les lourdes contraintes budgétaires, l’aide militaire à Israël (dont une grande partie revient sous forme de commandes à l’industrie américaine) ne devrait pas être réduite cette année. Cette coopération étroite est à l’origine du récent et spectaculaire succès du système anti-missiles à courte portée (Iron Dome) qui a permis pour la première fois de détruire en vol des roquettes envoyées par le Hamas.
Cette alliance entre pairs s’impose à tout président des Etats Unis, a fortiori en période préélectorale. Dans son discours Barack Obama s’est engagé avec force de ne pas transiger sur la sécurité d’Israël. Mais, homme rationnel et froid, il pensé qu’une promesse de sécurité donnée par les Américains devrait suffire alors qu’un accord profond existe en Israël sur le fait que, en dernière instance, le pays ne peut déléguer à personne la responsabilité de sa sécurité. Les Israéliens ont intériorisé le sentiment d’isolement que les juifs ont ressenti en cas de danger. Ce sentiment avait été renouvelé en mai 1967 lorsque l’ONU, garante de la sécurité de la frontière égyptienne et de la liberté des détroits avait honteusement fait partir ses Casques Bleus du Sinaï à la première injonction de Nasser et laissé bloquer le détroit de Tiran, alors que Ahmed Choukeiri, président de l’organisation de libération de la Palestine de cette époque appelait ouvertement au massacre des Israéliens à la radio. La génération de jeunes soldats dont a fait partie Benjamin Netanyahou a fait la guerre de 1967 non pas pour conquérir des terres, mais pour de ne plus retrouver la « taille de guêpe » de 14 km à l’est de Netanya, le couloir routier étroit conduisant à une Jérusalem divisée par des barbelés, le kibboutz de Ein Gev directement sous la mitraille des armées syriennes installées au sommet du plateau du Golan. Telles « étaient les « frontières de 1967» (simples lignes de cessez le feu de 1949 en réalité) que Abba Eban appelait les « frontières d’Auschwitz ».
Garanties de l’ONU ? Mauvaise plaisanterie, pensent les Israéliens, en référence à aux exemples de 1967 et de 2006, où les Nations Unies ont été impuissantes à empêcher le Hezbollah de renforcer son armement en toute illégalité. Démilitarisation de l’Etat Palestinien, a dit le Président américain, sans précision sur les moyens de le vérifier, alors que le Premier ministre israélien, lui, demande un contrôle effectif sur la ligne du Jourdain.
Mais surtout, et on pouvait s’y attendre, l’insistance sur les « frontières de 1967», a généré le malaise, même si à l’AIPAC Barack. Obama a précisé plus clairement que dans son discours précédent que « évidemment » il y aurait des échanges de territoires.
Cette déclaration sur les frontières de 1967, qui semble porter la touche personnelle de Barck Obama a été la seule du discours généralement reprise par les medias. On s’est peu étendu sur le reste des déclarations présidentielles, en particulier la demande pour les Palestiniens de reconnaître Israël comme Etat du peuple Juif. La conséquence logique est qu’il n’y aura pas de retour de réfugiés palestiniens en Israël.
Personne ne semble avoir été déçu de ce que les Palestiniens n’ont pas accepté cette demande-là, comme si cela n’avait pas d’importance. C’est sur le refus du Premier ministre israélien d’envisager un retour aux frontières de 1967 que la critique s’est focalisée. La grille de lecture politiquement correcte est maintenant simple: « La communauté internationale a tout le temps demandé à Israël de se retirer sur les lignes de 1967, et tant qu’il ne le fera pas, il est normal que le conflit perdure. » Mais rien n’est plus faux !
C’est oublier que la résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations Unies (novembre 1967) demande à Israël de se retirer de certains territoires occupés, mais pas de « tous » les territoires occupés : ses auteurs ont voulu et ils s’en sont expliqués, laisser à Israël la possibilité de modifications territoriales éventuellement significatives après sa victoire pour assurer sa sécurité. Ce que n’a apparemment pas compris (ou voulu comprendre) le traducteur français qui en a proposé une version tronquée qui n’a pas force décisionnelle (retrait de tous les territoires).
Suggérer que les rectifications de territoire seraient mineures, ce qui est l’implicite du discours présidentiel américain, signifie que l’on envisagerait que les grands blocs d’implantation et Jérusalem n’en fassent pas partie. Eventualité inacceptable pour tout gouvernement israélien responsable. La discussion sur les frontières ne peut que résulter d’une dynamique de négociation permettant d’avancer dans l’ensemble des sujets de contention.
Il faut bien négocier avec ses ennemis, certes. Mais quand ceux-ci font alliance avec le Hamas, qui dit ne pas accepter les frontières de1967 (Mahmoud Zokhar a parlé des lignes de 1947, pour commencer), qui rejette toute responsabilité envers des accords éventuels, qui n’abroge pas sa charte exterminatrice à l’égard des Juifs, et qui manifeste sa sympathie pour Ben Laden, je me dis que pour faire le bien d’un Etat, personne n’est obligé de le pousser au suicide….. »
Photo : D.R.