Le CRIF en action
|
Publié le 19 Septembre 2014

Un colloque du CRIF sur le vivre ensemble contre les fractures dans notre société, le racisme et l’antisémitisme.

Par Marc Knobel et André Benayoun

Vivre dans une société apaisée, où les différences de religion, de couleur, d’origine ne créent pas de conflit impose de redonner corps à notre société. Il faut donner du sens à la fraternité et impulser, encourager les initiatives pour mieux vivre ensemble, partager des expériences, des acquis, des réflexions et interroger les acteurs de terrain. Dans ce but, le CRIF organisait une grande réflexion : «Apaiser la société pour mieux vivre ensemble? » le mercredi 17 septembre, à 17h30 à l’Espace Rachi. 

Photo D.R

En ouverture, Francis Kalifat, vice-président du CRIF, a rappelé que « tout un chacun en France doit se couler dans le moule républicain de la laïcité et respecter la Loi, dans son esprit et dans sa lettre. Ainsi que le proclame le judaïsme français dans ses synagogues : « La Loi de la République est notre Loi. » » Puis, la première table ronde, modérée par Marc Knobel, Directeur des Etudes du CRIF, a réuni des acteurs de la société civile.

Le premier intervenant, Mahor Chiche, adjoint au Maire du 19ème arrondissement chargé de la démocratie locale, de la mémoire et des relations avec le monde combattant, a dit ressentir l’effritement du socle social, « de nos valeurs humanistes et des capacités de dialogues car depuis l’année 2000 et la seconde intifada, un mauvais climat s’est installé en France ». Puis, il a présenté l’arrondissement : « le 19ème est une mosaïque de cultures, d’identités, d’origines, d’expériences, de couleurs, de religions. Cette mosaïque et cette diversité sont évidemment une richesse, c’est la base de son identité ». C’est pourquoi la promotion du vivre-ensemble est une notion fondamentale dans la définition des politiques publiques conduites par la Mairie. Cependant, Mahor Chiche a précisé que la Mairie ne tient pas à elles seules tous les instruments de mesure, de contrôle ou de préservation du vivre-ensemble. « Nous n’intervenons pas par exemple dans le contenu des enseignements dispensés dans les écoles ». L’école, un sujet qui interpelle l’adjoint au maire, « l’enjeu de la construction d’une société apaisée passera par une redéfinition des missions et rôle de l’Ecole, et d’un travail sur la diversité des publics accueillis. » Cependant, « notre volonté est de faire se partager les mémoires, pour les faire vivre dans le creuset de la République et dans la fidélité à nos engagements en faveurs des Droits de l’Homme. Dans ces conditions, la laïcité est évidemment la pierre angulaire de notre investissement sur le terrain. Une laïcité ouverte, qui ne rejette personne mais s’ouvre au contraire largement vers les autres, dans le respect de la loi et des personnes. »

Le second intervenant, Jean-Philippe Moinet, journaliste, fondateur et directeur de la Revue Civique,  a martelé ce message : notre identité est faite de traditions respectables et de valeurs fortes : liberté, égalité, fraternité, termes de notre devise nationale auxquels s'ajoutent la laïcité et la démocratie, termes à valeur constitutionnelle et clés de notre « vivre ensemble ». Pour Jean-Philippe Moinet, « le vivre ensemble devient, non pas un simple vœu - parfois trop pieux - mais une ardente obligation et un devoir mobilisant. ». Malheureusement, ajoute-t-il, « la société française est traversée de tensions, de doutes et des sectarismes -intégrisme et extrémisme- se multiplient, s’enracinent. Jean-Philippe Moinet -qui avait publié en 2004 un rapport sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme- insiste alors sur le fait qu’il faut combattre les «fractures civiques» dans notre société, ce qu’il nomme les «replis identitaires et communautariste », « les dérives populistes et les extrémismes menaçantes» et il propose de délocaliser cette plateforme de lutte contre les intolérances dans dix cités où l’antisémitisme et tous types de violence sont devenus insupportables pour leurs habitants. 

Le troisième intervenant, Jean-Louis Sanchez, est fondateur et délégué général de l’Observatoire national de l’action sociale. Politologue, auteur de nombreux ouvrages sur le développement économique et social, la décentralisation et la crise, il s’est engagé depuis de nombreuses années dans la défense du lien social et du vivre ensemble. Selon Jean-Louis Sanchez, chacun découvre aujourd’hui que notre société n’est pas simplement confrontée à une crise économique mais à une véritable crise de nos valeurs, de nos repères et de nos liens. Mais, le constat n’est pas suffisant s’il ne débouche pas sur la volonté d’agir pour empêcher l’aggravation des fractures culturelles, générationnelles et sociétales et le déclin démocratique. Et la mobilisation du CRIF sur le terrain du vivre ensemble et un signe qu’il faut maintenant transformer en synergie entre les responsables locaux et les acteurs de la société civile, a expliqué le politologue.

La seconde table ronde animée par André Benayoun, Maître de Conférences en droit privé réunissait des responsables religieux, spirituels et culturels pour répondre à la question : « Comment le message religieux peut-il aider à vivre ensemble avec l’Autre ? »

Madame Marie-Stella Boussemart, Présidente de l’Union Bouddhiste de France a précisé que la démarche du vivre-ensemble commençait d’abord par la « connaissance de soi »,  accompagné de la prise de conscience de la responsabilité personnelle et de l’interdépendance entre les individus. Le travail sur soi, à la portée de tous, nécessite cependant de se référer à une « autorité », celle du maître choisi par soi-même pour (ré) apprendre la coopération. Il s’agit ici, indique-t-elle de combattre l’ignorance ; l’attachement et l’aversion par  l’acquisition des apprentissages des fondamentaux du vivre-ensemble, à commencer par le respect.

L’éducation, le maître mot pour devenir homme repris par le Pasteur François Clavairoly. En effet, insiste-t-il, le vivre ensemble passe nécessairement par la connaissance des autres religions. Puisque la religion poursuit-il à deux signifiants « relire » et relier ». La découverte de l’Autre –ce qui fait sa spécificité- permettra la démarche questionnante nécessaire pour découvrir celui ou celle qui est différent. Ainsi connu, il se sentira reconnu et se tournera vers « l’espérance » nous dit le Pasteur François Clavairoly laquelle représente un enjeu majeur pour la communauté humaine.

Madame Fatima Messaoudi nous a livré son expérience de terrain en sa qualité de responsable de l’Association Connaissance de l’Islam. Elle déplore que des parents ne sachent plus transmettre leur culture à leurs enfants alors que c’est par l’exemple au quotidien que la transmission se réalise. Ils se tournent vers l’Iman qui jouerait le rôle d’objecteur de conscience en les orientant vers ce qui est bien. Elle regrette que les jeunes ne prennent   conscience que les parents possèdent une richesse culturelle à transmettre. Enfin elle propose que les Maires de villes se rapprochent des responsables des communautés religieuses pour favoriser le vivre-ensemble.

Le Rabbin Michel Serfaty, doté d’une expérience singulière de terrain en sillonnant la France depuis dix ans dans le « bus de l’amitié » avec des jeunes de toutes origines rapporte que la démarche « d’aller vers l’autre » est payante parce qu’elle permet d’initier le dialogue dans les zones dites sensibles et lutter contre toutes les formes de haines de l’Autre. Il nous a entretenu d’une expérience pilote de recrutement de jeunes musulmans pour faire la promotion de l’amitié entre juifs et musulmans et lancé un appel aux communautés juives, musulmanes et chrétiennes pour participer au week-end « Portes ouvertes synagogues - mosquées – églises, lors du Chabbat Hayyé Sarah, les 14, 15 et 16 novembre prochains et encouragé à assister à des offices religieux dans les synagogues, mosquées, temples et églises.

Si nous avons tous conscience que les rapports humains deviennent de plus en plus difficiles le Père Guggenheim nous enjoint de ne pas renoncer et de développer inlassablement « l’écoute, le dialogue, la compréhension et l’acceptation des différences » C’est à travers les normes et les valeurs dominantes portées et véhiculées par le dialogue que l’individu se construit. C’est par ces apprentissages qu’on pourrait peu à peu agir sur les symptômes qui affectent le vivre-ensemble.