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Dans la logique d’une guerre psychologique, les mises en scène de décapitation ou d’assassinat, filmées en gros plan, ont pour but de terroriser ses ennemis. En interne, elles assurent aussi la cohésion du groupe, car elle montre qu’il met ses menaces à exécution. Cette brutalité permet de maintenir une pression omniprésente et diffuse. De très nombreux articles ont été écrits et sont publiés tous les jours sur le sujet et d’innombrables reportages ont été diffusés. Les correspondants de la presse internationale et certains journalistes courageux informent l’opinion publique des tragédies qui balayent ces différents pays, et ce au péril de leur vie. Sur place, des habitants filment en cachette décapitations, crucifixions, exactions. Bref, toute l’horreur et l’inhumanité dont témoignent tous les crimes commis par Daesh. Pour ce trente-deuxième numéro des Études du CRIF, Gérard Fellous, expert auprès des Nations unies et de l’Union européenne, revient sur ce sujet et toutes ces composantes, multiples et complexes. Il nous offre une importante synthèse et un travail original qui permet de lire, d’observer, de comprendre et d’analyser toutes les mécaniques en place.
Qu’est-ce que Daesh ? S’agit-il d’une organisation terroriste de nouvelle génération ? D’une tentative de coalition terroriste ? D’un califat ressuscité ? D’un État-nation embryonnaire ou d’une coquille vide avec une ébauche de structuration étatique, des effectifs armés hétéroclites et des mercenaires étrangers ? Quelle est son idéologie ? Que dire de son financement ? Que deviennent les territoires annexés ? Quelles sont les minorités persécutées ? Que subissent-elles ? Peut-on parler d’épuration ethnique ? Que doit-on penser de la mobilisation internationale qui s’est mise en place pour lutter contre Daesh ? N’est-il pas trop tard ? Les répliques militaires et aériennes seront-elles suffisantes pour empêcher Daesh de s’étendre ? Quelle est la spécificité de ce conflit et comment Daesh s’adapte-t-il à cette situation ? Plus généralement, qu’est-ce que Daesh nous apprend sur le monde arabe et musulman ? Quels sont les pays arabes déstabilisés ? Que risquent-ils ? S’agit-il d’une déstabilisation régionale profonde ? En cette période dangereuse pour la région, les pays qui la composent sont à la recherche d’un leadership. Lequel sera celui qui se dégagera ? Enfin, quelles peuvent être les réponses religieuses et culturelles à opposer, dans la sphère araboMusulmane, aux prêcheurs de haine et de mort ?
Si les cibles prioritaires de ce « terrorisme d’État islamique » sont les régimes arabo-musulmans dans la région, et secondairement les pays occidentaux qui s’y opposeraient, il est clair que c’est un choc entre sunnites et chiites que recherche Daesh, note Gérard Fellous. Et la propagation géographique rapide de Daesh est symptomatique du délitement d’un certain nombre d’États de la région. L’objectif du « califat » de Daesh est de tenter de redessiner les frontières de la région proche et moyenne orientale, vieilles d’un siècle, héritées de la colonisation franco-britannique et maintenues en place par un nationalisme arabe aujourd’hui quasiment disparu. Sur le plan doctrinal, c’est à la renaissance d’un islamisme rigoriste et violent, fondé sur le jihad conquérant, que s’emploie Daesh. Cette forme traditionnelle de l’islam est destinée à bloquer, à n’en pas douter provisoirement, tout courant réformiste tolérant de l’islam, amorcé depuis le XIXe siècle, tel qu’il tente de se développer théologiquement, d’abord chez certains Musulmans installés en Occident, et particulièrement en France. Au final, chaque jihadiste contribue un peu plus à diaboliser l’islam, religion du Livre qui doit être pleinement et totalement respectée. Pis, chaque islamiste n’empoisonne pas seulement le cœur de chaque Musulman ou non-Musulman, il l’étrangle. Un numéro pour comprendre.