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À Marseille comme en Provence, la communauté juive occupe pourtant une place singulière.
Singulière en raison de son enracinement dans le paysage national. Vous, représentants des Juifs de Provence, vous savez ce que l’histoire longue de notre pays doit à votre communauté, implantée dans la région depuis au moins le XIIIème siècle. Dans le comtat venaissin, dans le comté d’Orange, vos ancêtres vivaient sur cette terre avant même que la France ne soit pleinement la France.
Comme la ville elle-même, votre communauté se signale par sa diversité. À ces juifs de Provence sont venus s’ajouter au fil du temps des Juifs d’orient et de l’Est victimes fuyant les pogroms, puis les Juifs d’Afrique du Nord, qui tous dans le respect de leurs traditions respectives, font vivre un judaïsme pleinement français. En célébrant le 150ème anniversaire de la grande synagogue de Marseille, en septembre, vous aurez à cœur de commémorer les heures glorieuses et émouvantes de cette longue histoire. J’espère être de retour parmi vous.
Cette histoire heureuse a pourtant connu des heures sombres. À l’orée du XXème siècle, les Juifs de Marseille qui avaient fui les persécutions et adhéraient avec gratitude et confiance aux valeurs de la République, ont été frappés de plein fouet par le climat de l’affaire Dreyfus. Comment ne pas citer ici le récit qu’a fait Albert Cohen de cette journée de 1905, le jour de ses dix ans, où il sortit du lycée Thiers pour être pris à partie et insulté publiquement par un camelot, sous les yeux d’une foule complice, parce qu’il était juif. Il lui aura fallu attendre 60 ans pour livrer dans Ô vous, frères humains, le récit bouleversant de cette journée marquée par la découverte de la méchanceté et de la haine, ainsi que par le terrible sentiment de culpabilité des victimes : « Peut-être que le hasard avait réuni autour du camelot les seuls méchants de Marseille ? se demande l’enfant humilié, réfugié dans les cabinets de la gare Saint-Charles. Non impossible. Eh bien, puisqu’ils n’étaient pas méchants, ils me détestaient parce que je le méritais. »
Marseille connut d’autres heures sombres, plus sombres encore, pendant la guerre et l’occupation. Sur la rive nord du vieux port où vivaient, parmi les résistants, gitans et autres proscrits, des familles juives entassées par la misère et la répression, l’occupant entreprit de détruire les maisons à l’explosif avant de procéder à de terribles rafles avec la complicité de Français qui s’étaient abandonnés au déshonneur de la collaboration. Je ne connais pas de mots plus forts que ceux de Louis Aragon dans la Romance des quarante mille, pour dire l’horreur de cette trahison:
«Quoi, des Français nous volent nos demeures,
Quoi, des Français se sont fait écumeurs,
Pour l’ennemi torturant des Français.
Ça des Français, les enfants les regardent,
Avec des yeux qui croient qu’on les trompa.
Il faut s’enfuir avec ses maigres hardes,
Ça des Français Ô Vierge de la Garde,
Vous les voyez et vous ne bronchez pas »
J’aurais bien sûr pu choisir des textes plus joyeux, plus optimistes – tirés des Valeureux ou de Mangeclous d’Albert Cohen, d’autres recueils d’Aragon ou de René Char – pour évoquer l’histoire de votre communauté. Dans les circonstances que nous connaissons, il m’a semblé nécessaire de rappeler ces moments tragiques, que ni la ville de Marseille, ni la République française ne sauraient oublier. Je me félicite à ce titre d’être présent ce soir pour vous voir remettre la médaille du CRIF à M. Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camps des Milles, qui contribue activement à faire vivre cette mémoire et que je salue.
Le devoir de mémoire nous enseigne la vigilance. En tant que Ministre de l’Intérieur, j’ai la responsabilité d’assurer la sécurité de tous les Français. Je veux donc vous dire que connais et que je comprends l’inquiétude légitime qui saisit aujourd’hui les Juifs de France. Je la partage, car je constate comme vous, depuis déjà de trop nombreuses années, une montée intolérable de l’antisémitisme, que l’on croyait banni des consciences et des discours. Il a d’abord pris la forme de l’insulte lâche, des gestes qui se banalisent, des messages de haines sur Internet, des menaces écrites sur les murs des écoles et des synagogues. Puis il a débouché sur l’agression physique et sur le meurtre, à Toulouse comme à Bruxelles. À nouveau, au cœur de l’Europe, des hommes et des femmes auront été frappés à mort parce qu’ils étaient juifs.
Je veux donc vous dire à nouveau, comme je l’ai fait à Créteil et à Bruxelles voici quelques semaines, que nous n’accepterons jamais que des Juifs français vivent en craignant pour leurs vies ou celles de leurs proches. Un homme qui tue un autre homme en raison de son identité n’est pas un combattant. Il n’est pas seulement l’ennemi de la communauté qu’il poursuit de sa haine ; il est un ennemi de la Nation et du genre humain. Comme l’a dit le Président de la République, « La sécurité des Juifs de France n'est pas l'affaire des Juifs, c'est celle de tous les Français, et j'entends qu'elle soit garantie en toutes circonstances et en tous lieux ».
Le Gouvernement a donc pris et prendra toutes les mesures, en concertation avec les responsables de votre communauté, tant pour protéger les lieux de culte et les écoles que pour lutter contre l’insupportable antisémitisme du quotidien. J’ai personnellement signé une circulaire enjoignant à tous les préfets d’assurer la surveillance statique de chaque école et de chaque synagogue de France pendant les fêtes, y compris bien entendu ici, à Marseille. Mais je tiens à vous assurer plus largement de notre fermeté absolue dans le combat que nous livrerons contre ces menaces. Aucun acte antisémite, les petites phrases mortifères pas plus que les grands gestes assassins, ne doit rester impuni. Leurs auteurs doivent savoir qu’ils seront inlassablement traqués, retrouvés et punis.
J’ajoute que les malheureuses victimes de ces violences, bien qu’elles ciblent de façon évidente la communauté juive, sont de toutes confessions. Je veux saluer la présence parmi nous ce soir de Madame Latifa Ibn Ziaten, la mère de Imad Ibn Ziaten, militaire français frappé à mort par Mohamed Merah à Montauban. Je lui exprime mes sentiments de profonde compassion et d’admiration pour l’action qu’elle mène, en mémoire de son fils, à la tête de son association pour la jeunesse et pour la paix.
Aujourd’hui des lâches s’efforcent de manipuler des faibles au nom d’un message religieux dévoyé pour leur faire commettre des actes criminels. Il nous faut donc étouffer ces discours et lutter le plus en amont possible contre les entreprises de radicalisation, sur internet comme dans les prisons.
C’est ce à quoi le Gouvernement s’emploie dans le cadre du projet de loi de lutte contre le terrorisme que je présenterai très bientôt au Conseil des Ministres. À travers ce texte, le gouvernement entend renforcer l’arsenal juridique lui permettant de prévenir et de réprimer les actes terroristes, en l’adaptant aux évolutions de la menace. Ainsi, la création d’une interdiction de sortie du territoire vise à faire obstacle au départ de jeunes Français vers des théâtres étrangers pour y poursuivre une démarche terroriste au terme de laquelle ils représenteraient, à leur retour, une menace pour la sécurité nationale. Nous devons aussi renforcer nos moyens d’enquête et de répression contre la diffusion de messages faisant l’apologie et la provocation au terrorisme, en particulier sur Internet. Il s’agit également de compléter la palette de nos incriminations pénales de façon à pouvoir poursuivre et faire condamner la préparation d’actes terroristes par un individu même en l’absence de constitution d’une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.
Mais au-delà du renforcement indispensable de notre arsenal répressif, l’éducation, sous toutes ses formes, est le seul remède durablement efficace pour lutter contre la haine et les préjugés qui sont à la source de ces violences. Nous devons collectivement faire en sorte que les valeurs de la République triomphent du discours des fanatiques, afin que chaque Français puisse vivre dans la sérénité à laquelle il a droit et pratiquer son culte librement.
Dans cette entreprise, vous avez un rôle essentiel à jouer. J’ai déjà pu mesurer, dans le cadre du dialogue qu’entretiennent les cultes avec le ministère de l’Intérieur, l’esprit de responsabilité et le souci constant de l’intérêt général qui inspirent les représentants de la communauté juive de France. Je tiens à les saluer et à saluer ici devant vous l’élection du Rabbin Korsia comme grand Rabbin de France. Je connais ses qualités humaines et civiques et je sais qu’il saura animer la vie de votre communauté et le dialogue interreligieux avec intelligence et sensibilité.
Malgré les difficultés et les inquiétudes du moment – et je vous ai dit à quel point je les croyais sérieuses, à quel point je m’engagerais pour traquer et supprimer les menaces dont vous faites l’objet– je vous appelle à faire vivre le dialogue entre les confessions au nom d’une valeur qui est au fondement de notre pacte social : le respect. Il est essentiel, en particulier, que chacun comprenne que la lutte contre la violence radicale n’a rien à voir avec l’Islam et que les Musulmans de France n’éprouvent que de l’horreur face aux crimes qui peuvent être commis en son nom. Il faut donc que les communautés se parlent, en confiance, et désamorcent le risque d’une stigmatisation réciproque faisant le jeu du terrorisme. La création de « Marseille Espérance » a constitué à cet égard une initiative utile et courageuse, dont pourraient s’inspirer d’autres villes de France. L’appel que vous avez lancé le 16 juin, auquel se sont associés les représentants des nombreuses communautés de Marseille, résulte également de cette ambition. Et je veux donc vous féliciter du fond du cœur pour votre engagement et pour votre humanité.