Céline, Rebatet, Brasillach... La cause de ces illustres «antisémites de plume» est entendue. Ils ont payé. Mais les autres, plus obscurs, les ratés, les opportunistes, les maniaques, les délateurs, qui furent-ils? C'est à une tâche peu ragoûtante, et nécessaire, que s'attaque le politologue Pierre-André Taguieff, en 1999, aidé par une équipe de chercheurs (Grégoire Kauffmann, Michaël Lenoire, Robert Belot, Annick Durafour, Marc Knobel, Patrick Weil) : exhumer l'essentiel de ce que, entre 1940 et 1944, ont produit les obsédés du «complot judéo-maçonnique», les théoriciens de l' «antisémitisme d'Etat» ou les partisans de la déportation des juifs, «indésirables» et «inassimilables». Comme le montre l'ouvrage qui lui est consacré par Pierre-André Taguieff et son équipe, «l'antisémitisme de plume» n'est pas né en 1940; ses racines, en France, s'enfoncent loin dans le terreau de l'histoire nationale. Depuis l'«enseignement du mépris» de l'Eglise, selon la lumineuse formule de Jules Isaac, jusqu'aux sanies de l'entre-deux-guerres, en passant par les vitupérations d'un Voltaire dans son Dictionnaire encyclopédique. A la veille même de la défaite de 1940 et de l'avènement de la France antidreyfusarde sur les décombres de la IIIe République, l'antisémitisme demeure une opinion ouvertement répandue dans de larges secteurs de la population et s'exprime presque sans entraves dans la presse et surtout dans la littérature. Vichy et la collaboration laisseront libre cours, quand ils ne les organisent pas, aux délires du discours antijuif.
Certains de ces héritiers d’Edouard Drumont, l'inspirateur, ont droit à leur biographie. C'est un inconnu, Jacques Ménard, qui créa en 1941 l'Association des journalistes antijuifs. Elle rassemblait des collaborateurs de la grande presse. Bêtement, ils feront figurer sur des cartes de visite leur appartenance à ce «club». Le Dr Martial, quant à lui, inventa une «science» permettant de classer les groupements sanguins des juifs selon les lieux d'origine et de fixation. Plus isolé, George Montandon, auteur de Comment reconnaître le Juif, défendait l'idée d'une «hygiène raciale» proche des théories du nazisme.
Photos : D.R.