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Éviter d’user du mot « juifs » au sens exclusif de « ennemis de Jésus » ou de la locution « ennemis de Jésus » pour désigner le peuple juif tout entier.
Une « Conférence internationale extraordinaire pour combattre l’antisémitisme » fut réunie du 30 juillet au 5 août 1947 à Seelisberg (Suisse) par l’ « International Council of Christians and Jews ». Elle approuva une série de thèses concernant l’enseignement religieux chrétien.
Émue par les souffrances du peuple juif, la Commission, au cours d’une franche et cordiale collaboration entre ses membres juifs et chrétiens, reconnut que certaines conceptions inexactes au point de vue théologique, et certaines présentations fausses des Évangiles, tout à fait contraires à l’esprit du christianisme avaient contribué au développement de l’antisémitisme.
Jules Isaac avait préparé une première série de thèses qui servit de point de départ. Élaboré conjointement par les membres chrétiens et juifs de la Commission, le texte fut soumis à l’assemblée par les pre-miers. Il reçut l’approbation des autorités religieuses chrétiennes. Jusqu’au Concile Vatican II, ce fut le seul document international auquel les chrétiens purent se référer.
Nous venons d’assister à une explosion d’antisémitisme qui a conduit à la persécution et à l’extermination de millions de juifs vivant au milieu des chrétiens.
Malgré la catastrophe qui s’est abattue sur les persécutés et sur les persécuteurs, catastrophe qui nous fait mesurer l’angoissante gravité et l’urgence du problème juif, l’antisémitisme n’a non seulement rien perdu de sa force, mais menace d’atteindre des parties de plus en plus étendues de l’humanité, d’empoisonner l’âme des chrétiens et de les entraîner dans une faute grave aux conséquences désastreuses. Sans doute les Églises chrétiennes ont-elles souvent affirmé le caractère antichrétien de l’antisémitisme, mais nous constatons avec consternation que deux mille ans de la prédication de l’Évangile de l’Amour ne suffisent pas à empêcher l’éclosion parmi les chrétiens, sous des formes diverses, de la haine et du mépris à l’égard du peuple de Jésus.
Cela serait impossible si tous les chrétiens étaient fidèles au message de Jésus-Christ sur la miséricorde de Dieu et l’amour du prochain. Mais cette fidélité doit comporter la volonté clairvoyante d’éviter toute présentation ou toute conception du message chrétien qui favoriserait l’antisémitisme sous quelque forme que ce soit. Nous devons reconnaître que, malheureusement, cette volonté en éveil a souvent manqué.
Nous nous adressons donc aux Églises pour attirer leur attention sur cette situation alarmante. Nous avons le ferme espoir qu’elles auront à cœur d’indiquer à leurs fidèles comment exclure toute animosité à l’égard des juifs, que pourraient faire naître des présentations et des conceptions fausses, inexactes ou équivoques dans l’enseignement et la prédication de la doctrine chrétienne, et comment tout au contraire promouvoir l’amour fraternel à l’égard du peuple de l’Ancienne Alliance, si durement éprouvé. Rien, semble-t-il, ne saurait être plus propre à conduire à cet heureux résultat que d’insister davantage sur les points suivants :
1 . Rappeler que c’est le même Dieu Vivant qui nous parle à tous dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament.
2. Rappeler que Jésus est né d’une mère juive, de la race de David et du peuple d’Israël, et que son amour éternel et son pardon embrassent son propre peuple et le monde entier.
3. Rappeler que les premiers disciples, les apôtres et les premiers martyrs étaient juifs.
4. Rappeler que le précepte fondamental du christianisme, celui de l’amour de Dieu et du prochain, promulgué déjà dans l’Ancien Testament et confirmé par Jésus, oblige chrétiens et juifs dans toutes les relations humaines, sans aucune exception.
5. Éviter de rabaisser le judaïsme biblique ou post-biblique dans le but d’exalter le christianisme.
6. Éviter d’user du mot « juifs » au sens exclusif de « ennemis de Jésus » ou de la locution « ennemis de Jésus » pour désigner le peuple juif tout entier.
7. Éviter de présenter la Passion de telle manière que l’odieux de la mise à mort de Jésus retombe sur tous les juifs ou sur les juifs seuls. En effet, ce ne sont pas tous les juifs qui ont réclamé la mort de Jésus. Ce ne sont pas les juifs seuls qui en sont responsables, car la Croix, qui nous sauve tous, révèle que c’est à cause de nos péchés à tous que le Christ est mort. Rappeler à tous les parents et éducateurs chrétiens la grave responsabilité qu’ils encourent du fait de présenter l’Évangile et surtout le récit de la Passion d’une manière simpliste. En effet, ils risquent par là d’inspirer, qu’ils le veuillent ou non, de l’aversion dans la conscience ou le subconscient de leurs enfants ou auditeurs. Psychologiquement parlant, chez des âmes simples, mues par un amour ardent et une vive compassion pour le Sauveur crucifié, l’horreur qu’ils éprouvent tout naturellement envers les persécuteurs de Jésus tournera facilement en haine généralisée des juifs de tous les temps, y compris ceux d’aujourd’hui.
8. Éviter de rapporter les malédictions scripturaires et le cri d’une foule excitée : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants », sans rappeler que ce cri ne saurait prévaloir contre la prière infiniment plus puissante de Jésus : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. »
9. Éviter d’accréditer l’opinion impie que le peuple juif est réprouvé, maudit, réservé pour une destinée de souffrances.
10. Éviter de parler des juifs comme s’ils n’avaient pas été les premiers à être de l’Église.
En pratique, nous nous permettons de suggérer :
d’introduire ou de développer, dans l’enseignement scolaire et extra-scolaire à tous les degrés, une étude plus objective et plus approfondie de l’histoire biblique et post-biblique du peuple juif ainsi que du problème juif ;
de promouvoir, en particulier, la diffusion de ces connaissances par des publications adaptées aux différents milieux chrétiens ;
de veiller à rectifier dans les publications chrétiennes, surtout dans les manuels d’enseignement, tout ce qui s’opposerait aux principes énoncés plus haut.
Nous plaçons notre effort commun sous le signe de la parole de saint Paul (Rm 11, 28-29) : « Ils sont bien-aimés à cause de leurs pères, car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance. »