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Les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 femmes, hommes et enfants juifs sont arrachés à leur domicile, arrêtés par la police française et enfermés au Vélodrome d'Hiver à Paris avant d'être déportés.
Il a fallu de nombreuses années avant que les survivants parlent et soient entendus.
Alors que disparaissent les derniers témoins, nous devons plus que jamais assurer la transmission de la mémoire de la Shoah.
En reconnaissant en 1995, la responsabilité de l'État français dans la déportation des Juifs, le Président Jacques Chirac a accompli un geste nécessaire.
Il est rassurant que tous ses successeurs aient choisi de poursuivre ce chemin de vérité. Mais la menace de ceux qui souhaitent réécrire ou falsifier l'Histoire n'en est pas moins présente.
Face aux tentations de nier, comparer, minimiser la Shoah, face aux tentatives d'absoudre ses coupables et ses complices, face aux dangers de la mise en concurrence des mémoires, nous appelons à la mobilisation de l'ensemble de la société française.
Yonathan Arfi, Président du Crif
Pendant de nombreuses années, la réalité de l'extermination des Juifs de France a été tue. L'époque de l'après-guerre était à l'indifférence. On ne voulait pas croire ou écouter les survivants. Très longtemps, on a aussi dit que Vichy n'était pas la France.
Il a fallu attendre 1995 pour que notre pays reconnaisse, par la voix du Président de la République Jacques Chirac, la responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs. Ce discours de rupture a été repris par ses successeurs Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron.
Mais ce combat pour la vérité historique doit être mené. Les déclarations en 2017 de Marine Le Pen (« La France n’est pas responsable du Vél d’Hiv »), de Jean-Luc Mélenchon (« La France, à cette époque, était à Londres ») ou d’Éric Zemmour en 2022 (« Pétain a sauvé les Juifs français ») montrent qu’il faut rester vigilant face aux réécritures de l’Histoire. Les historiens sont unanimes sur la complicité de la France dans le génocide. La « protection des Juifs français » au détriment des Juifs étrangers est un mensonge, déconstruit par l’historien Robert Paxton qui a bien montré que la législation de Vichy ciblait tous les Juifs sans exception.
Une rafle d'une ampleur inédite
Ni la première ni la dernière, la Rafle du Vél d'Hiv fut néanmoins dans l'Histoire de la persécution des Juifs de France durant la Seconde Guerre mondiale, la plus massive. Par le nombre de personnes arrêtées : 13 152, toutes conduites au camp d'extermination d'Auschwitz. Par la décision, pour la première fois, d'arrêter les femmes et les enfants y compris les nourrissons.
Par la mobilisation de près de 9 000 policiers et gendarmes français. Par le dispositif méthodique mis en place à la suite d’un arrangement criminel entre les autorités allemandes et le gouvernement de Vichy. Cette rafle représente à elle seule plus du quart des Juifs de France envoyés à Auschwitz en 1942. Seule une petite centaine de ces victimes survivra à l’enfer des camps nazis.
Transmettre la mémoire de la Shoah en Europe
Face à l’augmentation des actes antisémites en Europe, la Commission européenne a nommé en 2016 une coordinatrice chargée de la lutte contre ce fléau. Katharina von Schnurbein tente d’agir auprès de la Commission, du Parlement européen et des États membres pour rappeler notamment l’importance de la transmission de la mémoire de la Shoah. C’est une mission fondamentale à l’heure où de nombreux historiens spécialistes du génocide des Juifs d’Europe se plaignent, notamment en Pologne ou en Hongrie, de voir leurs recherches entravées par les pouvoirs en place.
En France, les programmes officiels prévoient que la Shoah soit abordée en classe dès l’école élémentaire puis approfondie à différents stades du parcours secondaire. Néanmoins, de trop nombreux professeurs font part de leur difficulté à enseigner la Shoah dans certains quartiers comme l’a encore récemment rappelé Iannis Roder, professeur à Saint-Denis et responsable des formations au Mémorial de la Shoah.
Si le 16 juillet 1995, Jacques Chirac, reconnaissait que « la folie criminelle de l’occupant avait été secondée par l’État français », il rappela aussi que la rafle fut le point de départ d’un vaste mouvement de résistance de nombreuses familles françaises, des Justes qui sauvèrent des Juifs au péril de leur vie.
Simone Veil, alors Présidente d’honneur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, a salué les Justes lors d’une cérémonie d’hommage au Panthéon le 18 janvier 2007 : « Face au nazisme qui a cherché à rayer le peuple juif de l’histoire des hommes et à effacer toute trace des crimes perpétrés, face à ceux qui, aujourd’hui encore, nient les faits, la France s’honore, aujourd’hui, de graver de manière indélébile dans la pierre de son histoire nationale, cette page de lumière dans la nuit de la Shoah ».
Les Justes étaient des personnes pour la plupart modestes. Si certaines ont accompli leur geste comme un acte conscient de résistance, beaucoup l’ont accompli par simple humanité. Les historiens évoquent une « mémoire discrète des Justes » car ceux qui sont officiellement connus ne constituent qu’une petite partie de ceux qui ont, en conscience, aidé à sauver des Juifs. Serge Klarsfeld l’a bien montré dans ses travaux. Si 76 000 Juifs de France ont été déportés, les trois-quarts des Juifs français ont survécu, souvent, grâce à des élans de solidarité. Comme en témoigne, par exemple, la lettre de l’archevêque de Toulouse Jules Saliège lue dans toutes les églises de son archidiocèse le 23 août 1942 et appelant les fidèles à traiter les Juifs comme des « frères ».
« C’est dans l’angoisse et un terrible inconfort que les victimes du 16 juillet 1942 ont passé leur première nuit, sur les sièges et les marchés bétonnés du Vél d’Hiv ou sur la paille de Drancy. Les policiers les ayant arrêtées, ont, eux, retrouvé la quiétude de leur foyer mais il est peu probable qu’ils aient été nombreux à dormir du sommeil du juste. »
Laurent Joly, La Rafle du Vél d’Hiv : Paris juillet 1942 (Grasset, 2022)
LE COMBAT CONTRE L'ANTISÉMITISME EST LOIN D'ÊTRE ACHEVÉ
L’antisémitisme virulent dans la société française de 1942 a permis cette rafle. Le succès de l’ouvrage La France juive de Drumont, la campagne menée contre le capitaine Dreyfus, les pamphlets antisémites de LouisFerdinand Céline, la violence d’un Xavier Vallat regrettant à l’Assemblée nationale, lors de l’accession à la Présidence du Conseil de Léon Blum, qu’un « vieux pays gallo-romain » puisse être « dirigé par un Juif », les mesures d’exclusion des Juifs de France prises par Philippe Pétain… tout cela a fortement contribué à créer, au sein de l’opinion française, une indifférence et, bien souvent, une hostilité au sort des Juifs.
S’ils ne sont, naturellement, plus aussi répandus qu’en 1942, les préjugés antisémites demeurent encore aujourd’hui très présents dans la société française. On a vu qu’ils pouvaient tuer, notamment lors de l’assassinat d’Ilan Halimi, jeune juif français kidnappé en 2006 car ses bourreaux pensaient que sa « communauté » pourrait payer une rançon.
Une enquête Ipsos de mars 2023 révélait des chiffres préoccupants. 87 % des Français estiment que les Juifs « sont très soudés entre eux », 49 % qu’ils disposent de « lobbies très puissants intervenant au plus haut niveau », 44 % qu’ils sont « plus riches que la moyenne des Français » et 36 % qu’ils « utilisent la Shoah et le génocide dont ils ont été victimes pour défendre leurs intérêts ». La persistance de ces préjugés, au sein d’une démocratie, est dangereuse et peut être mortelle. D’autant que de nouvelles formes d’antisémitisme (complotisme, islamisme, antisionisme, etc.) continuent de prospérer dans notre pays.
Par ailleurs, depuis une vingtaine d'années et notamment depuis la publication de l'ouvrage collectif Les territoires perdus de la République, la question de la difficulté d'enseigner la Shoah dans certaines classes est régulièrement évoquée dans le débat public. Il apparaît essentiel que tous les enfants de la République puissent savoir ce que fut la réalité de la déportation et de l'extermination des Juifs dans notre pays.