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Le Crif : À l’Assemblée nationale vous venez de porter, avec un autre député Renaissance, Mathieu Lefèvre, une proposition de loi visant à renforcer les sanctions pénales contre les actes antisémites et plus généralement racistes. En quoi, le texte adopté en première lecture, permettra à la justice d’aller plus loin et plus fort dans les sanctions ?
Caroline Yadan : Nous sommes, Mathieu Lefèvre et moi-même, partis d’un constat et de recommandations. Le constat est celui de l’augmentation notable des infractions à caractère discriminatoires ces dernières années mais aussi de l’explosion des propos et actes antisémites depuis le 7 octobre, avec une parole de plus en plus désinhibée sous couvert de haine d'Israël. Parallèlement, il existe un climat de complotisme et de désinformation qui offre un terrain propice aux prédicateurs de haine, notamment sur les réseaux sociaux.
Les recommandations sont celles figurant dans le rapport de la Dilcrah (délégation interministérielle de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) de l’an passé et de celles prônées par des associations antiracistes majeures, comme la Licra (ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), que nous avons auditionnées.
Pour mieux lutter contre le fléau du racisme et de l’antisémitisme, pour préserver notre pacte républicain et protéger nos concitoyens, la sanction pénale contre les infractions à caractère raciste ou antisémite, devait, effectivement, être renforcée. Actuellement, notre Code de procédure pénale prévoit la possibilité de décerner un mandat d’arrêt ou de dépôt envers une personne condamnée à une peine d’emprisonnement uniquement s’il s’agit d’un délit de droit commun ou d’un délit d’ordre militaire et si la peine prononcée est d’au moins une année d’emprisonnement.
Or, les propos à caractère racistes ou antisémites ne relèvent pas du droit commun mais du droit de la presse, c’est-à-dire de la loi du 29 juillet 1881. En d’autres termes, nous sommes, par exemple, dans l’incapacité d’incarcérer Alain Soral, qui a maintenant trouvé refuge à l’étranger, sans doute en Suisse, alors même qu’il a fait l’objet de multiples condamnations à de la prison ferme, notamment pour contestation de crime contre l’Humanité.
C’est pourquoi notre proposition de loi, qui a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 6 mars dernier, vise en premier lieu à permettre l’exécution immédiate d’une peine d’emprisonnement d’un an ou plus, par l’émission d’un mandat d’arrêt ou de dépôt, contre les prévenus condamnés à une peine d’emprisonnement pour apologie ou contestation de crimes contre l’Humanité ou crimes de guerre, diffamation, injures à caractère raciste ou antisémite, ou provocation à la haine.
En second lieu, nous avons proposé d’ériger en délit les propos non-publics à caractère discriminatoire qui constituent aujourd’hui de simples contraventions et qui sont de plus en plus nombreux. En effet, en l’état actuel du droit, l’injure, la diffamation ou la provocation à la haine non-publique à caractère raciste, antisémite, sexiste ou homophobe constituent une contravention de cinquième classe qui expose son auteur à une peine maximale de 1 500 euros d’amende. Ces mêmes infractions à caractère discriminatoire prononcées publiquement sont, en revanche, punies d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La différence entre le caractère public ou non public est, dans la pratique, extrêmement ténue.
Des propos répréhensibles sur un groupe WhatsApp peuvent, par exemple, selon les cas, être considérés comme publics ou non publics. Les prédicateurs de haine contournent la loi, en créant, autre exemple, leur propre chaîne privée sur Internet ou des groupes Facebook privés pour éviter que leurs propos soient définis comme publics par la jurisprudence. Or, privé ou public, l’impact sur la victime est, quant à lui, toujours violent. C’est pourquoi ces infractions pourront être, si la loi suit son cours, considérées à l’avenir comme des délits et donc sanctionnées plus sévèrement.
Une circonstance aggravante est, en outre, prévue lorsque ces infractions sont commises par des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public (fonctionnaire, élu, policier, professeur, etc.) qui doivent avoir un devoir d’exemplarité.
Aucune main ne doit trembler quand la haine de l’Autre s’immisce dans notre société.
Le Crif : On voit bien que les propagateurs des haines racistes et antisémites s’abritent, à l’étranger, derrière des sites internet ou des identités numériques difficilement saisissables. Shannon Sebban, élue de Seine-Saint-Denis, a ainsi été récemment victime d’une agression ouvertement antisémite et raciste, lancée du Japon, pays démocratique qui, précise-t-elle, n’a signé aucune convention d’extradition avec la France. Comment aujourd’hui mieux faire face au déversement des haines par les outils numériques ? Est-ce que la France et l’Europe doivent et peuvent aller plus loin en ce domaine ?
Caroline Yadan : L’espace public numérique est un espace de liberté d’expression et de création auquel chacun doit pouvoir accéder. En revanche, les propos haineux ou discriminatoires et les appels à la violence n’y ont évidemment pas leur place.
Vous me donnez, à juste titre, l’exemple de Boris Le Lay, à la tête de plusieurs sites plus nauséabonds les uns que les autres : notre proposition de loi nous permettra de mobiliser les services de police à l’échelle internationale en passant par Interpol pour l'interpeller afin qu’il puisse purger sa peine d’emprisonnement.
Depuis sept ans, nous avons agi contre la haine en ligne :
Le Crif : Votre proposition de loi a été adoptée par une majorité de députés mais pas par le groupe LFI, ni le groupe RN. Comment interprétez-vous la défection de ces deux mouvements sur un sujet si important ? Se rejoignent-ils dans une forme de complaisance vis-à-vis du développement des haines racistes et antisémites, qu’ils cherchent à instrumentaliser ?
Caroline Yadan : La séance que l’on a vécue le 6 mars dernier à l’Assemblée nationale est très révélatrice : elle illustre parfaitement la connivence qui existe entre les deux extrêmes. Elle reflète aussi l’hypocrisie qui est la leur : le RN prétend lutter contre l’antisémitisme et LFI contre toutes les formes de racisme, pourtant ils se sont tous deux abstenus de voter, après avoir tenté jusqu’au dernier moment d’obstruer les débats afin que le texte ne puisse pas faire l’objet d’un vote, car nous étions limités par le temps. Ne nous leurrons pas : les extrêmes font le lit de la haine et l’instrumentalise.
LFI contribue, on le voit depuis des décennies et particulièrement depuis le 7 octobre, à attiser la haine des Juifs dans notre pays, en offrant aux agresseurs antisémites une excuse victimaire par la haine obsessionnelle d’Israël et leur criminalisation de cet État.
Le RN, quant à lui, en recherche de respectabilité, continue pourtant d’accepter dans ses rangs des anciens Gudards comme Frédéric Chatillon et Axel Lousteau, qui ont l’antisémitisme violent chevillé au corps. Jordan Bardella estime, quant à lui, que Jean-Marie Le Pen n’est pas antisémite, malgré ses multiples condamnations.
Il n’est pas anodin de constater que le journal Rivarol et le site d’Alain Soral « Égalité et Réconciliation » ont récemment fait l’éloge de … Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot, confirmant ainsi, si besoin en était, que l’alliance rouge-brun-vert est toujours d’actualité.
Le Crif : Vous avez dénoncé à la tribune de l’Assemblée nationale la présence, sur la liste des candidats LFI de Manon Aubry aux élections européennes, de Rima Hassan, qui a affirmé, avez-vous relevé, que le Hamas avait mené une action légitime le 7 octobre. Pouvez-vous nous préciser en quoi cette présence constitue un problème grave et révélateur des options de La France Insoumise, qui reprend une certaine rhétorique islamiste ? En dehors de Renaissance et de la liste menée par Valérie Hayer, avez-vous, sur cette condamnation précise, perçu des soutiens convergents provenant d’autres formations ou courants politiques ?
Caroline Yadan : La présence de Rima Hassan sur la liste LFI aux élections européennes est le marqueur de la complaisance de LFI envers les islamistes mais ne me surprend pas, en réalité.
Notons, d’abord, que son investiture a immédiatement été saluée sur X (ex-Twitter) par Taha Bouhafs, candidat LFI aux élections législatives en 2017 qui, je le rappelle, a entre autres choses été condamné pour injure raciale pour avoir traité la policière Linda Kebbab « d'arabe de service », a soutenu l’ONG islamiste Baraka City et a voué à la disparition les « pouilleux de Charlie Hebdo ». On a les amis qui nous ressemblent…
La présence de Rima Hassan (qui assimile le Hamas à un groupe de résistance et qui dénie à Israël le droit de se défendre tout en prônant sa disparition) sur la liste LFI est en réalité un véritable scandale, dont je m’étonne qu’elle suscite si peu de réactions. En réalité, la connivence entre LFI et l’idéologie islamiste ne date pas d’hier. LFI, par clientélisme électoral, ignore la radicalité islamiste, au nom de prétendues souffrances subies et de la culpabilité occidentale.
En entretenant la confusion entre la persécution des croyants, évidemment condamnable, et la critique d’un dogme assassin, phallocrate, misogyne, antisémite, homophobe, belliciste, la gauche radicale invente un prolétariat religieux de substitution et interdit toute discussion sur l’idéologie islamiste, assimilant celle-ci à de « l’islamophobie ».
Aujourd’hui, les Frères Musulmans et les organisations islamistes ont, finalement, trouvé leur cheval de Troie dans la Mélenchonie, qui leur permet de pénétrer dans le paysage politique français. Depuis le 7 octobre, et la reprise de la propagande et rhétorique du Hamas, cela s’avère malheureusement encore plus vrai.
La haine d’Israël et sa nazification sont devenues virales chez une partie de la gauche et offrent une excuse victimaire à tous les agresseurs de Juifs en France. LFI porte une lourde, très lourde responsabilité dans l’explosion antisémite en France en attisant les braises au nom du « progressisme » et des « droits humains ». La candidature de Rima Hassan en est la continuité.
C’est la raison pour laquelle, malgré les menaces, les tentatives d’intimidation, les insultes en tout genre, je continuerai à dénoncer les atteintes à nos valeurs et l’idéologie génocidaire de groupes terroristes comme le Hamas, le Djihad islamique, Boko Haram ou Daech et leurs idiots utiles.
C’est en restant silencieux que l’on fait triompher le Mal. Comptez sur ma détermination pour ne jamais rester silencieuse. Nous sommes nombreux, tant dans ma formation politique qu’au-delà, à droite mais aussi quelquefois à gauche (malheureusement encore trop rarement), à comprendre les enjeux du moment sur ce point.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet le 11 mars 2024
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