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Nous avons constaté cette année l’importance électorale prise par des forces politiques radicales (LFI, RN), l’importance aussi de l’abstentionnisme (y compris aux élections locales de 2021). Les dernières échéances ont manifesté des symptômes. Comment qualifiez-vous l’état de la démocratie française ? Ces symptômes vous inquiètent-ils ?
Aurélien PRADIÉ : Je ne me réjouis pas du tout de voir le score des candidats extrémistes. Je ne me réjouis pas du tout que, dans certaines circonscriptions, les électeurs n’aient eu le choix qu’entre un candidat RN et un candidat NUPES, le plus souvent d’illustres inconnus parachutés, comme ce fut le cas dans de nombreux départements lors des élections législatives.
Je ne me réjouis pas du tout que nos valeurs fondatrices soient en danger dans bien des territoires. Car donner sa voix à un candidat extrémiste, c’est renoncer à nos valeurs républicaines. Donner sa voix à un candidat extrémiste de Jean-Luc Mélenchon, c’est renoncer à la laïcité qui fonde notre République. Donner sa voix à un candidat NUPES, c’est aussi renoncer à l’autorité républicaine et faire le choix du communautarisme. Les députés de la NUPES ne défendront jamais les Français, ils sont là pour faire de l’agitation et de l’obstruction à l’Assemblée nationale. Ces élus prônent la déconstruction. Certains d’entre eux n’ont aucune limite en matière de malhonnêteté et de manipulation. La NUPES à mon sens cache une stratégie et un projet politique qui ont davantage à voir avec le trotskisme et le wokisme qu’avec la démocratie.
La montée des extrêmes, que ce soit de droite comme de gauche, est l’œuvre d’Emmanuel Macron. Depuis cinq ans, il a mené un jeu dangereux qui a consisté, alternativement, à nourrir le Rassemblement national et aujourd’hui l’extrême gauche pour tenter de dynamiter la droite et la gauche. Une démocratie ne peut pas jouer continuellement avec le feu comme on est en train de le faire. Si Emmanuel Macron n’a pas obtenu la majorité absolue aux dernières élections législatives, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même !… La recomposition du paysage politique n'est en réalité que la destruction de nos repères essentiels.
Emmanuel Macron a par ailleurs exacerbé les divisions dans la société française. Il a notamment contribué à la séparation des intérêts des ruraux et des urbains. Dans les grandes villes, la mondialisation a apporté l’augmentation des salaires et l’ouverture au monde. Dans les zones rurales, elle a apporté la fermeture des services publics, les salaires qui stagnent et la mise à l’écart. La solidarité entre ces deux parties du territoire s’est étiolée parce qu’on considère la ruralité comme un problème pour la Nation alors que c’est une chance. C’est en train de changer lentement mais Emmanuel Macron n’ira pas très loin sur cette question. Il n’a aucune culture rurale.
Au-delà du diagnostic que vous faites et positions que vous tenez, quelles sont les principaux axes ou grands chapitres de propositions que vous avancez pour remédier efficacement à ce qui peut apparaître comme une crise civique en France ?
Dans un contexte national et international difficile et incertain, dans ce monde où le populisme ressurgit et où les réseaux sociaux caricaturent le débat démocratique, je crois que le plus important c’est le courage politique. C’est le courage de porter ses convictions, le courage de ne pas trahir pour un plat de lentilles, le courage de parler vrai et de nommer les choses, le courage de moins communiquer pour agir davantage, le courage de tout faire pour changer la vie de ceux qui souffrent dans notre pays.
Les Français détestent cette époque où trahir sa famille politique devient la règle, où les girouettes sont érigées en héros et où l'opportunisme le plus misérable devient une banale habitude. L'engagement politique est beau et respecté quand il est fait de fidélité, de droiture, d'honneur et de sens. La politique doit porter un espoir et un idéal, c'est sa première raison d'être. L'espoir d'une vie meilleure, l'idéal de la justice, l'espoir du mérite républicain.
Au-delà, les collectivités locales doivent gagner en autonomie et en compétences. Les investissements dans les territoires doivent être massifs : emploi, économie, services publics, transition écologique, mobilité, ou encore citoyenneté… rien ne doit être laissé de côté. Pas question non plus de tout confier aux machines, elles ne remplaceront jamais l'humain et il faut fixer des limites. Exemple avec la télémédecine, extraordinaire outil pour consulter un spécialiste à distance, mais qui ne rend pas moins indispensables les médecins de proximité. Nos territoires sont une chance pour notre pays. Nos services publics, notre école et nos établissements de soins sont précieux pour l’avenir.
Il nous faut reparler aux Français et de leurs préoccupations. Les jeunes, par exemple, sont les grands oubliés du quinquennat précédent. Ils continuent à faire face à de grandes difficultés pour s’insérer sur le marché du travail et pour se lancer dans la vie active.
Je crois enfin à la valeur du travail et du mérite, de l’effort et de la justice. Je crois à la dignité pour les plus fragiles et je lutte activement contre les injustices. Pour moi, la Liberté, l’Egalité et la Fraternité ne sont pas négociables. La laïcité doit être respectée dès l’école. La sécurité doit être rétablie et garantie.
Vous appartenez à LR à une nouvelle génération de dirigeants. Pour reconstruire en grande partie cette formation, lui permettre de retrouver une dynamique perdue, comment procéder ? La priorité, pour la droite républicaine d’opposition, est-elle le leadership, l’orientation idéologique et programmatique, l’invention d’une nouvelle manière de porter vos convictions ?
Il faut rassembler et tout changer : le nom, le lieu (siège de LR), le message politique que nous adressons aux Français. La droite républicaine ne parle plus à personne. Tout est à reconstruire. Je pense que la droite doit réinvestir le terrain social. Il y a une légitimité historique, une filiation qui va du général de Gaulle à Jacques Chirac, Depuis quelques temps, la droite se concentre trop sur la sécurité et l'immigration. Or, la question sociale, c'est l'ADN de la droite. Les vrais problèmes sont aussi ceux du pouvoir d’achat. LR devrait défendre beaucoup mieux les classes moyennes qui ne sont jamais aidées et qui sont toujours assommées par les mesures fiscales et sociales de tous les gouvernements depuis quarante ans. Pour reconstruire, il faut du courage. Du courage pour parler aux jeunes, du courage pour parler de tout un tas de sujets dont on ne parle pas, l'écologie, l'ascenseur social, l'éducation... du courage pour tourner des pages et ne pas revivre les matchs internes du passé. La droite comme la France ont besoin d’oxygène.
Tant que nous ne serons pas en mesure d'apporter une réponse aux questions sur nos valeurs non négociables, nos grands combats, notre école…, les Français continueront à se détourner irrémédiablement de nous et surtout de la politique.
Certains, dans votre parti LR, se sont illustrés dans l’année qui s’est écoulée en préconisant un rapprochement avec une partie de l’extrême droite (Zemmour notamment) qui vise une "union des droites" (terme surtout martelé, depuis une trentaine d’années, par des dirigeants d’extrême droite FN, puis RN version Marion Maréchal-Le Pen). Cette orientation n’a pas été majoritaire à LR, ses plus hauts dirigeants, Christian Jacob comme tous ses prédécesseurs, refusant toute alliance avec un mouvement d’extrême droite. Est-ce aussi votre position ou cette ligne historique doit-elle changer ?
Le baiser avec le Rassemblement National, c'est le baiser de la mort. On disparaîtra à la minute où on s'avancera vers eux ; je n'ai rien à voir avec eux. Leurs valeurs ne sont pas les miennes et aucune tactique ne pourra jamais justifier de changer d’avis.
L’avenir de la droite républicaine n’est pas de se fondre dans un bloc incohérent. Je pense que ce serait une erreur stratégique fondamentale. Cette stratégie-là, opposer progressistes et conservateurs, est un piège qui a été conceptualisé par Emmanuel Macron et qui lui rend service.
Aujourd’hui, la lâcheté, la fainéantise intellectuelle, c’est de vouloir être ou progressiste ou conservateur. Aujourd’hui, la lâcheté c’est de se jeter dans les bras d’Emmanuel Macron ou de se jeter dans les bras du RN ou de Reconquête. C’est de la lâcheté parce que c’est refuser de construire une autre voie. C’est certainement plus compliqué à construire mais c’est indispensable. Le courage aujourd’hui, c’est de reconstruire Les Républicains.
Sur le fond, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, en passant par Alain Juppé ou Christian Jacob, les présidents de la famille gaulliste ont toujours placé les principes et valeurs de la République française, comprenant une lutte intransigeante contre le racisme et l’antisémitisme, parmi les références essentielles du mouvement gaulliste. Est-ce toujours le cas ? Et que mettez-vous aujourd’hui dans les actions qui vous paraîtrez essentielles concernant la prévention des actes discriminatoires, la lutte contre un racisme et un antisémitisme en particulier ?
La lutte contre le racisme et l’antisémitisme est l’un des piliers fondamentaux des valeurs que je défends. Les comportements racistes, antisémites et toute forme de discrimination violente doivent bien évidemment être sanctionnés.
La jeune génération a besoin plus que jamais de refaire sens avec la Nation. Le défi, pour moi, c’est comprendre et faire comprendre "qu’est-ce que représente encore la République dans notre pays ?"
Dans l’affaire de l'imam Hassan Iquioussen qui est dans l’actualité, je regrette que la décision d’expulsion ait été aussi tardive. Il n’est pas tolérable dans notre République qu’un individu puisse tenir, dans des conférences largement diffusées, des propos antisémites ou prônant l’infériorité de la femme et sa soumission à l’homme. Notre pays est désarmé. La République est désarmée. La lâcheté politique qui a conduit à ce désarmement abîme tout l’édifice politique et démocratique de notre Nation.
Le résultat de cette lâcheté est que Hassan Iquioussen est aujourd’hui en fuite et la décision d’expulsion est inexécutable. Cette défaillance de l’Etat témoigne une fois encore de l’impuissance d’un Exécutif incapable de mettre en place une véritable politique de lutte contre les délinquants et contre ceux qui remettent en cause nos principes républicains. Notre pays connaît une déliquescence de l’autorité et court un risque de désintégration. Cette situation d’une gravité exceptionnelle appelle un réarmement régalien et civique d’une envergure exceptionnelle.
À l’Assemblée nationale, une résolution a été présentée cet été par un groupe de députés de la gauche radicale (PCF et quelques LFI) visant à criminaliser l’État d’Israël, accusé en termes caricaturaux et même diffamatoires (comme celui « d’apartheid »). Dans une région du monde, le Proche-Orient, où les dictatures sont nombreuses, l’islamisme est prospère et l’antisémitisme virulent, condamnez-vous une telle résolution ?
Cette proposition de résolution est un coup politique des députés NUPES et fait partie de leur stratégie électorale de provocation et de déstabilisation des institutions.
Plus qu’un coup politique, c’est une stratégie permettant de masquer un antisémitisme évident par des considérations prétendument morales. Au détour de chacune de leurs prises de position, ces députés laissent traîner un peu de cet antisémitisme nouvelle génération. C’est insupportable. Le débat politique doit les démasquer. Les combattre et les disqualifier. Sans faiblir.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet