Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - La liste de Kersten. Un Juste parmi les démons, par François Kersaudy

16 Février 2022 | 340 vue(s)
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La liste de Kersten. Un Juste parmi les démons, par François Kersaudy (*)

 

Tout le monde connaît le fameux film de Steven Spielberg , « La liste de Schindler » qui raconte le sauvetage par Oskar Schindler d’un millier de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. L’histoire de Felix Kersten est beaucoup moins connue. Certes, Joseph Kessel, en son temps,  avait publié « Les mains du miracles » qui raconte sa vie. Mais c’était du roman ! Pourtant, selon le professeur François Kersaudy, qui se réfère à un mémorandum de la section suédoise du Congrès Juif Mondial en date du 18 juin 1947, Kersten aurait sauvé à la même époque quelque 100 000 personnes de diverses nationalités dont environ 60 000 Juifs. Dès lors, Kersaudy n’hésite pas à titrer son étude « La liste de Kersten ».

Felix Alexandre Edouard Kesten, qui est né le 30 septembre 1898 à Tartu, en Estonie, était titulaire de deux nationalités : la finlandaise et la suédoise. Il s’est fait une grande réputation en tant que masseur, médecin en thérapie manuelle et naturopathe au point d’être désigné comme « le psychothérapeute aux doigts d’or ». On le qualifiait de grand magicien, voire de Bouddha. De ce fait, il a été amené à soigner de nombreuses personnalités comme le prince Henri de Mecklenbourg, mari de la reine Wilhelmine des Pays-Bas et le comte italien  Ciano qui le décorera de la croix de commandeur de l’ordre de Maurice et Lazare. Et ce sont ses talents de « guérisseur miracle » qui l’ont amené à côtoyer le terrifiant Reichsführer S.S. Heinrich Himmler.

Pour ce qui est de son aspect physique, voici ce qu’en disait Wilhelm Wulff, l’astrologue de la Gestapo : « Felix Kersten avait une stature démesurée ; il était grand et fortement enveloppé. Avec son corps éléphantesque et son poids colossal, il écrasait les fauteuils et les chaises normales ».

Au fil des semaines et des mois de soins qui apaisent le dignitaire nazi, Kersten, qui, par la force des choses, côtoie Himmler au quotidien, est amené à entendre de nombreux propos sur la politique hitlérienne. Il ne manque pas, à l’occasion, de consigner par écrit ce qu’il entend et Il en vient, peu à peu à s’enhardir, voire à prendre des risques insensés avec une position qui peut se résumer ainsi : « Cher monsieur, je vous soigne, j’allège vos souffrances, vous en convenez. En échange, je vous demande la vie de telle ou telle personne emprisonnée par vos services ». Ou encore : « Votre chef, Hitler, ne m’a pas l’air très équilibré. Vous devriez le déposer ».

Kersten raconte : « Je pouvais surtout aider les gens quand Himmler était très malade. Dans ces cas-là il était sans défense… et très influençable… ».

Himmler, quoique souvent exaspéré, finit souvent par céder à son praticien.

Sur l’adjoint d’Himmler, Reinhard Heydrich, chef du service de sécurité du Reich, on découvre avec stupéfaction, son origine juive, certes lointaine : selon un boulanger de la ville de Halle, sa grand-mère paternelle se prénommait Sarah et était juive. Par prudence, sur sa tombe à Leipzig, en 1939, on avait discrètement remplacé « Sarah Heydrich » par S. Heydrich ».

À propos d’Hitler et de son état de santé ou encore de son psychisme, des précisions étonnantes nous sont révélées grâce à un rapport médical de quelque 26 pages dactylographiées : Hitler souffrait de maux de tête, de vertiges et d’insomnie, ainsi que d’un léger tremblement du bras gauche et d’une raideur peu accentuée de la jambe gauche. Pendant la Première Guerre mondiale, il était resté aveugle plusieurs jours à la suite d’une attaque au gaz. Le gaz avait affecté sa gorge, de sorte qu’il avait des difficultés d’élocution. Il s’était fait exciser un polype des cordes vocales. Durant on engagement militaire, il avait contracté une syphilis qui n’avait pas été bien traitée, et ses yeux ayant été affectés, il risquait constamment de devenir aveugle…Au début de 1942, son état s’était aggravé et, à la suite d’examens approfondis, on avait établi un diagnostic de paralysie progressive…Il ressortait aussi de ces antécédents médicaux qu’Hitler souffrait d’impuissance depuis des années et se trouvait hors d’état d’avoir des relations sexuelles avec les femmes. Ajoutez à cela toutes sortes de phobies : il avait peur des ascenseurs, de la nuit, de la solitude, de l’immobilité, de la trahison, du tabac, de l’alcool, de l’altitude, de la chaleurs, des attentats, des chats, du sport, des microbes, de l’anesthésie, des contacts physiques, de la constipation, de l’obésité, des journalistes, du soleil, de la viande, de la baignade, de la navigation,  des chevaux et de l’empoisonnement. Impressionnant quand on pense qu’il s’agit là du pire dictateur de l’histoire humaine, responsable de la mort de millions d’individus, dont 6 millions de Juifs !

Plus tard, Kersten sera la cible de nombreux contradicteurs dont le fameux comte Folke Bernadotte (Celui-là même qui sera assassiné à Jérusalem, en Israël, le 17 septembre 1948) . Kersaudy écrit : « Depuis des mois, il se trouve en butte aux attaques d’anciens nazis, de communistes, de sociaux-démocrates et d’obligés du comte Bernadotte. Or, cette alliance contre-nature produit un véritable barrage de désinformation propre à compromettre durablement Kersten aux yeux de l’opinion ; cet ancien médecin d’Himmler n’est pas finlandais, mais allemand ; on l’aurait vu en uniforme SS pendant la guerre ; son domaine de Harzwalde lui a été offert par le Reichsführer ; ses actions de sauvetage lui ont permis de s’enrichir considérablement ; il possède des tableaux de grands maîtres hollandais, qu’il a volés dans les musées des Pays-Bas vers 1941-1942…C’est un charlatan, dont les diplômes sont faux…le maréchal Goering lui a donné des terres… »

Cette controverse, avec des hauts et des bas, poursuivra longtemps Kersten. Cependant, en 1960, la France décide de lui décerner la Légion d’honneur. Et c’est en se rendant à Paris avec son épouse pour recevoir cette distinction qu’à la hauteur de la ville allemande de Hamm, il a un brutal infarctus suivi d’une embolie. Il meurt le 16 avril 1960. Il a été inhumé en Suède.

Felix Kersten, qui a été à plusieurs reprises nominé pour le prix Nobel de la Paix et qui a  reçu de nombreuses décorations, n’a pas, à notre connaissance, été honoré par la médaille des Justes décernée par l’institut Yad Vashem de Jérusalem. Un personnage étonnant. Un grand mystère. Un ouvrage à découvrir !

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Fayard. Janvier 2021.384 pages. 23 €.