Jean-Pierre Allali
Ce pays qu'on appelle vivre, par Ariane Bois (*)
Ariane Bois, c’est véritablement la plume enchantée. Car même lorsqu’elle aborde des sujets douloureux voire dramatiques, son écriture agréable retient le lecteur jusqu’au bout du récit. Dans son nouveau roman, elle fait revivre pour nous l’atmosphère quotidienne au sinistre Camp des Milles, une ancienne usine de fabrication de tuiles près d’Aix-en-Provence devenue, par la volonté du gouvernement collaborationniste français, un lieu d’internement pour des milliers d’étrangers, essentiellement Juifs.
Fils d’un libraire réputé de Mannheim, Jakob Stein, Léonard Stein, Léo pour les intimes, caricaturiste de presse, a choisi, avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir et le déferlement antisémite en Allemagne, de fuir son pays pour se réfugier en France, à Sanary, sur la Côte d’Azur. C’est là que les gendarmes français vont venir l’arrêter. Direction : le Camp des Milles. Il y a là un millier de prisonniers de toutes origines. Des pacifistes, des apatrides, des antinazis, des militants communistes et même des sympathisants du Reich. Parmi eux, Oskar, Wolfgang, Peter, Isaac, Markus, Meyer, Robert, Abraham, Franz et Lisandro. Sans oublier les célébrités comme Max Ernst, l’un des pères du surréalisme et du dadaïsme, Max Schlesinger et Hans Bellmer.
Les Milles, c’est une honte pour la France qui a multiplié sur son territoire les lieux d’enfermement : Argelès, Rivesaltes, Portet, Rieucros…Les Milles, c’est la boue et la fange, les dortoirs infâmes avec leurs paillasses trouées et les latrines puantes. Les détenus essaient quand même de s’organiser. On passe le temps en jouant aux cartes et, pour les Juifs religieux, à maintenir un minimum de respect des traditions. Il y a une synagogue et un cabaret ! Et les détenus dociles peuvent même obtenir de courtes permissions pour se rendre à Marseille. Étonnamment, le Camp reçoit régulièrement la visite de représentants d’associations caritatives : l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants), la CIMADE (Comité Inter-Mouvements Auprès des Évacués), la YMCA (Young Men Christian Association), la HICEM et le CAR. Le CAR, c’est Marguerite alias Margot Keller, une Marseillaise originaire de Hongrie dont Léo va tomber éperdument amoureux. Léo, qui tentera sans succès d’obtenir un visa pour Cuba, va se lancer avec Margot dans une entreprise risquée de sauvetage des enfants juifs. On évoque l’action salvatrice de Varian Fry et les rebondissements heureux ou malheureux sont nombreux.
À découvrir absolument !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Plon, janvier 2023, 288 pages, 20,90 €
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