Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Tel Aviv, une ville d’histoire

14 Octobre 2024 | 98 vue(s)
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Israël

Jeudi 26 juillet, j'ai écrit au Ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian afin de lui faire part de mon étonnement face à l'absence de mention d’Israël dans les déclarations du Quai d'Orsay suite à l'évacuation de casques blancs syriens.

Mercredi 25 juillet, j'ai adressé des courriers aux Présidents respectifs de la Fédération Française des Échecs et de la Fédération Française de Judo. L'objectif : mener à bien le combat pour l'égalité et contre la discrimination de toute nature.

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Blois : Rendez-vous de l’Histoire

 

Nous sommes le 11 avril 1909 ; 66 familles juives se sont réunies dans les sables pour répartir par tirage au sort des lotissements sur les dunes au nord de Jaffa. Un petit garçon et une petite fille assortissent les coquillages gris et blancs dans lesquels sont inscrits les noms des participants et les numéros des parcelles. Un photographe a saisi l’épisode : il s’appelle Avraham Soskin et en 1926 il publiera un album de photos intitulé Tel Aviv, avant et maintenant, tant le panorama quinze ans plus tard, était bouleversé. C’est dans cet album que se trouve cette photo, devenue iconique, rare exemple de la création d’une ville in situ. Elle donne l’impression d’un commencement absolu « ab nihilo », ce qui n’est que partiellement vrai. Il n’est pas inutile de s’intéresser au passé de cette photo, aujourd’hui largement enseveli dans la mémoire.

Cette année 1926, la population de Tel Aviv est passée de 200 à 35 000 habitants. C’est donc déjà une ville importante. Après une crise à la fin des années 1920, l’expansion démographique reprendra, en particulier sous l’effet de l’arrivée après 1933 de ce qu’on appelle la cinquième Alyah, des Juifs allemands fuyant les nazis, plutôt des citadins de classes moyennes très éduqués. En 1939, Tel Aviv avec ses 160 000 habitants contient à elle-seule le tiers de la population juive de la Palestine mandataire, qu’on appelle le yichouv.

Revenons à la photo : les 66 chefs de familles juives, une minorité sur les 5 000 Juifs qui habitent alors dans la ville surchargée et insalubre de Jaffa, travaillent depuis déjà trois ans à un projet proposé par un jeune entrepreneur utopiste, tout juste arrivé d’Europe, Arieh Akiva Weiss. Le projet est de construire des maisons entourées de jardins, ce dont manque tant la ville de Jaffa, autour d’une artère principale du Nord au Sud, la rue Herzl, rue au bout de laquelle sera construite, non pas une synagogue, mais une école, le gymnase Herzliya. Dans la notice de présentation il est écrit que Ahouzat Bayit (propriété de maison), c’est le nom du projet, deviendra avec le temps « le New York de la Terre d’Israël ». Le plus stupéfiant est que cette prophétie se soit réalisée. Pas avec le même nom, cependant…

Dès 1910 le lotissement prend le nom de Tel Aviv, qui associe un vocable ancien, « Tel » monticule de civilisations anciennes, un mot cher aux archéologues, et « Aviv » le printemps, symbole de renaissance. C’était, dans sa traduction en hébreu qui venait de paraître, le titre qui avait été donné au livre de Herzl « Altneuland » une Terre ancienne et nouvelle. « Tel Aviv » était aussi un lointain emprunt au prophète Ezéchiel.

Aujourd’hui, de toute cette Tel Aviv primitive, il ne reste que la maison restaurée de Akiva Weiss, avec ses murs de briques et ses incrustations de coquillage, rappelant le fameux tirage au sort. Devant elle a été inauguré en 1965 le Migdal Shalom, d’après son concepteur Shalom Meir, le premier gratte-ciel de Tel Aviv qui avec ses 142 mètres de hauteur était alors le plus haut immeuble du Moyen-Orient, très largement dépassé depuis. Pour le construire on n’a pas hésité à détruire l’historique gymnase Herzliya, point focal de Ahouzat Bayit, plus tard symbole éducatif de la Tel Aviv des premières années, où deux générations d’Israéliens apprendront une langue presque nouvelle, l’hébreu moderne.

Parvenir à cette journée du 11 avril 1909 n’avait pas été aisé. Il avait fallu surmonter les réticences de ceux qui désiraient seulement une petite maison pour se reposer des tracas de Jaffa encombrée et les engager dans un projet urbanistique de grande ampleur. Pour cela il avait fallu racheter à ses divers propriétaires, une vaste région de dunes qui portait le nom de Keren Djebali, utiliser des prête-noms turcs ou non juifs et obtenir pour l’achat, la viabilisation et les constructions, des sommes en dehors de portée des participants. Pour cela le rôle d’Arthur Ruppin, le représentant de l’Organisation Sioniste Mondiale, qui venait de s’installer à Jaffa, a été capital. Tel Aviv fut son seul projet urbain, et l’année même de sa création, il achetait sur la rive sud du lac de Tibériade des terres incultes qui deviendraient Degania, le premier kibboutz. Arthur Ruppin est un des grands acteurs des premières années du sionisme.

Qu’était cette ville de Jaffa que les pionniers de Ahouzat Bayit ont décidé de quitter parce qu’ils la trouvaient insalubre et voulaient créer un entre soi correspondant à leur idéal sioniste ?

Autant Tel Aviv est l’une des plus récentes parmi les métropoles mondiales autant Jaffa, qui lui est fusionnée depuis 1950 avec le nom de Tel Aviv Jaffa, est une des plus anciennes villes de l’histoire.

Port naturel au pied d’une colline défensive, Jaffa avait été une ville cananéenne, conquise par le pharaon Thoutmès III, puis par les Philistins lors de l’invasion des Peuples de la Mer au XIIe siècle av. J-C. Devenue juive au cours du Second Temple, puis romaine, arabe, croisée, arabe de nouveau, elle fut détruite au XIIIème siècle par le sultan mamelouk Baybars. Elle a longtemps été la seule voie d’entrée des pèlerinages. Les Turcs ottomans l’ont entourée de murailles défensives et d’une porte fermée car au dehors rôdaient les bédouins brigands. Chateaubriand a visité Jaffa en 1806 dans sa période de décrépitude post-napoléonienne. Les massacres que les troupes françaises y avaient perpétrés ont été occultés dans la mémoire populaire par le tableau quasi hagiographique et trompeur du peintre Gros peint deux ans auparavant qui montrait un Bonaparte compatissant près des pestiférés de Jaffa.

Au XIXème siècle, Jaffa s’est développée avec la construction des mosquées qu’on y voit aujourd’hui, une activité commerciale d’exportation d’huile et de céréales et une présence diplomatique européenne. Outre les pèlerins chrétiens, pour qui ce fut de tout temps la porte d’entrée pour Jérusalem, elle vit augmenter considérablement le nombre de Juifs venus s’installer dans le pays, les premiers arrivés bien avant le livre de Herzl, l’État des Juifs, publié en 1896.

En 1888 les murailles furent détruites. Alors se développèrent en périphérie plusieurs programmes d’habitations, tel, en 1890, celui de Neve Tzedek aux petites maisons et aux rues étroites, quartier longtemps délabré et devenu aujourd’hui particulièrement recherché ou bien le village de Neve Shalom construit par Zerah Barnett, un homme à l’énergie extraordinaire, oublié aujourd’hui, Juif orthodoxe lituanien devenu sujet britannique ce qui, suivant la législation turque, lui permettait d’acheter des terres. On retrouve son nom à l’origine de Mea Shearim, le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem, et de Petah Tikva, une ville de 250 000 habitants appartenant aujourd’hui au Goush Dan, la conurbation de Tel Aviv.

Mais les premières constructions modernes à la lisière de Jaffa sont d’origine française et n’ont rien à voir avec le projet sioniste. Mikve Israël, une école moderne d’agriculture, proche de ce qui est aujourd’hui la ville de Holon a été inaugurée en 1970 grâce à l’énergie de Charles Netter, un dirigeant de l’Alliance Israélite Universelle, avec le soutien des autorités turques qui lui allouèrent une surface de 300 hectares pour construire une école agricole moderne. L’objectif était de donner aux Juifs locaux une compétence agricole pour qu’ils puissent vivre sans dépendre des aumônes de la Diaspora. C’est aujourd’hui un collège-lycée franco-israélien très actif, et ce fut un centre important de la Hagana pendant la guerre d’indépendance d’Israël.

À quelques kilomètres à peine de Mikve Israël, et l’année même de son inauguration, des immigrants allemands luthériens du Wurtenberg, adeptes de la société du Temple, (ils n’ont rien à voir avec les Templiers du Moyen- Âge) s’installèrent sur des terres achetées à un monastère orthodoxe, pour mener en Terre Sainte une vie laborieuse exemplaire et de hâter ainsi la parousie, le retour du Christ à la fin des Temps. Ils développèrent avec une technologie moderne un village appelé Sarona en référence à la plaine côtière de Sharon, qui va jusqu’au Carmel et devinrent de prospères producteurs d’agrumes : ils sont à l’origine du label « oranges de Jaffa ».
En 1898, l’Empereur d’Allemagne Guillaume II, voulant renforcer ses liens avec l’Empire turc, effectua un voyage en Palestine. C’est chez les Templiers allemands qui lui firent la fête, à Sarona, qu’il rencontra Theodore Herzl, qui chercha en vain à le convaincre de soutenir le projet sioniste.

Après 1933, l’adhésion de ces Templiers au parti nazi fut particulièrement intense et ils purent exposer librement une propagande antisémite. Pendant la guerre mondiale, les Anglais mirent des hommes en prison pour les échanger contre des Britanniques ou des Juifs de Palestine Mandataire surpris par la guerre au cours d’un voyage en Europe. En mars 1946, des membres de la Hagana tuèrent le maire de Sarona, le plus virulent des nazis locaux et les derniers Templiers quittèrent le pays, désormais Israël, en 1950.

À leur place s’installeront des administrations israéliennes, en particulier le ministère de la Défense, connu sous le nom de Kirya… Il côtoie désormais le nouveau quartier très branché de Sarona spécialisé en consommation de luxe. Il côtoie aussi la rue Kaplan, épicentre aujourd’hui des manifestations hostiles au gouvernement de Benyamin Netanyahu.

En novembre 1917, les troupes du général Allenby occupèrent Jaffa. Les siècles de domination turque étaient terminés.
En 1920 la conférence de San Remo, attribue au Royaume-Uni un mandat sur la Palestine. Elle incorpore la déclaration Balfour qui promet au mouvement sioniste l’installation d’un Foyer national juif. Une nouvelle ère commence.

Tel Aviv n’est pas encore la ville la plus peuplée du pays, mais elle annexe déjà les faubourgs de Jaffa. Créé en 1920, le Keren Hayesod participe massivement au développement industriel de la ville.

Mais peu après le début du mandat britannique survinrent les premiers conflits intercommunautaires... En mai 1921, alors que Tel Aviv n’était qu’une toute petite ville et que Jaffa comptait 40 000 habitants dont 15 000 Juifs, des émeutes y éclatèrent. Une cinquantaine de Juifs furent tués, parmi eux Yossef Haïm Brenner, pionnier de la littérature hébraïque moderne.
Une cinquantaine d’Arabes furent tués également, le plus souvent par la police britannique. Ce fut pour calmer les Arabes après les émeutes de Jaffa, qui suivaient d’ailleurs des émeutes à Jérusalem, que le haut-commissaire britannique Herbert Samuel, un Juif favorable au sionisme, décida de favoriser pour le poste devenu vacant de grand mufti de Jérusalem un jeune homme, qui n’avait pas, suivant plusieurs experts religieux musulmans les qualifications religieuses adéquates en jurisprudence et en théologie. Mais il était un membre de l’influente famille al Husseini et le Haut-Commissaire pensait que lui donner ce poste permettrait de faire de cette famille une alliée des Britanniques. Rarement on fit une erreur plus grossière, le nouveau mufti, Mohamed Amine al Husseini, deviendrait l’ennemi le plus implacable non seulement des sionistes, mais des Juifs dans leur ensemble : c’est ainsi qu’on le vit plus tard à l’œuvre pendant la guerre à Badan où il est un des maîtres d’œuvre du terrible pogrome du Farhoud le 1er et 2 juin 1941. Ayant réussi à s’enfuir il sera à Berlin le propagandiste officiel du nazisme dans le monde musulman. Après la défaite allemande, il sera accueilli en Egypte par son disciple Hassan el Banna, le créateur des Frères Musulmans, autre antisémite exterminationniste.

En 1936 commença une grande révolte arabe qui dura plus de trois ans et façonna en grande part l’avenir du pays. On sait aujourd’hui que l’argent nazi a beaucoup contribué à cette révolte, dont le grand mufti était évidemment un protagoniste majeur jusqu’à ce qu’il doive s’enfuir de Palestine.

C’est pratiquement à Jaffa, qui était encore une ville mixte, que cette grande révolte commença, le 19 avril 1936. Les derniers Juifs s’enfuirent alors de la ville.

Pendant ce temps, Tel Aviv continuait de se développer et un port ouvrit en 1938 pour remplacer celui de Jaffa. Il resta en usage jusqu’à son remplacement par Ashdod en 1965. C’est alors, tard dans son histoire, que la plage de Tel Aviv, jusque-là un lieu négligé, devint l’un des joyaux de la ville avec un développement considérable du secteur des loisirs.

En 1925, Patrick Geddes un urbaniste, sociologue, humaniste et pionnier de la planification urbaine est invité par la municipalité de Tel Aviv à préparer un plan directeur pour la ville, où il opte pour une croissance du sud vers le nord qui forme jusqu’à aujourd’hui la colonne axiale de la ville. Il va travailler en étroite collaboration avec Meir Dizengoff, maire de Tel Aviv presque sans discontinuer entre 1921, quand Tel Aviv n’était qu’un faubourg de Jaffa, jusqu’à sa mort en 1936 alors que Tel Aviv est la ville la plus peuplée du pays. Dizengoff, qui a vu peu avant son décès l’avenue principale de Tel Aviv prendre son nom, avait une vision très claire de ce que serait Tel Aviv, et il est symbolique que ce soit dans sa maison, devenue un musée, que David Ben Gourion lut le 14 mai 1948 la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, dont les termes retentissent aujourd’hui comme une sorte de déclaration des Principes, dans ce pays qui n’a pas de constitution.

C’est pendant la mandature de Meir Dizengoff que Tel Aviv est aussi devenue une ville de culture, avec entre autres le Musée d’Art, ouvert en 1932, le théâtre Halima qui a déménagé de Moscou à Tel Aviv en 1926 et l’orchestre philharmonique créé en 1936.

Parmi les architectes et artistes qui fuyaient le nazisme, beaucoup étaient influencés par le Bauhaus et Tel Aviv en expansion rapide adapta ce style aux conditions météorologiques locales qui différaient évidemment de l’Allemagne : béton, toits plats, balcons et fenêtres en saillie, rez-de-chaussée dégagés pour faire circuler l’air et couleur blanche : tous les immeubles sont loin d’avoir été restaurés, mais l’architecture Bauhaus de Tel Aviv, la « ville blanche », a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en 2003.

Les architectes du Bauhaus avaient étudié en Allemagne ou sont venus avec la grande émigration de Juifs chassés par l’Allemagne nazie. Les portes des États-Unis s’étaient en pratique fermées pour les Juifs depuis l’acte d’immigration de 1924 et dès l’arrivée des nazis au pouvoir, la question de l’Alyah des Juifs allemands s’est posée aux dirigeants sionistes. Dans les premiers mois de 1933, l’Agence juive, par l’intermédiaire de son directeur politique Haïm Arlosoroff, essaya de négocier avec le régime nazi les conditions de départ. Les nazis ; qui n’avaient pas encore de projet exterminateur, étaient plutôt contents de déverser dans une Palestine arriérée, plutôt qu’en France ou en Angleterre, leurs Juifs indésirables.
En juin 1933, Arlosoroff fut assassiné sur la plage de Tel Aviv. Ce meurtre fut attribué par les travaillistes du Mapai et leur chef David ben Gourion à leurs rivaux politiques révisionnistes dirigés par Zeev Jabotinsky. Ce meurtre dont les révisionnistes étaient probablement innocents, n’a jamais été élucidé. L’accusation a engendré une animosité profonde entre les deux partis sionistes.
Celle-ci fut massivement aggravée quinze ans plus tard, par un événement dramatique survenu sur cette même plage de Tel Aviv.
Quelques jours après la déclaration d’indépendance d’Israël, David ben Gourion, désormais Premier Ministre, désireux d’affirmer l’autorité de l’État et de faire disparaître les groupes paramilitaires, ordonna, après des négociations infructueuses, de tirer sur le navire Altalena qui transportait des munitions pour l’Irgun, le groupe paramilitaire révisionniste. L’ordre fut exécuté par un jeune commandant de la Hagana, Yitzhak Rabin. Il y eut dix-neuf morts et sans la retenue du chef révisionniste Menahem Begin, une guerre civile catastrophique aurait peut-être eu lieu. Begin et Rabin poursuivront plus tard des carrières que chacun connaît et qui ont façonné Israël.

Si Tel Aviv a joué au cours de la guerre d’indépendance un rôle crucial pour l’organisation et la logistique des combats, elle n’a pas été le siège de combats. En revanche elle a subi de la part de l’armée égyptienne des bombardements d’artillerie égyptienne et même des raids aériens, à une époque où l’armée israélienne n’avait pratiquement aucune capacité aérienne.

Quant à Jaffa, elle est tombée aux mains de la Hagana la veille de la déclaration d’indépendance, à la suite d’une opération d’isolement progressif de la ville qui entraîna jour après jour le départ d’une grande partie de la population arabe. À la reddition de la ville, il ne restait plus que 5 000 habitants arabes à Jaffa. Aujourd’hui, ils sont environ 15 000, le tiers de la population.

Au nord de Tel Aviv, au-delà de la rivière Yarkon, là où se trouvaient les restes de l’antique ville philistine de Tel Quassile, aujourd’hui insérés dans le musée de la Terre d’Israël, l’absence de développement urbain avait facilité l’installation dans les années 30 de la centrale électrique Reading, dont la cheminée reste, aujourd’hui que la centrale est démantelée, un marqueur du panorama. Près d’elle, l’aéroport Sde Dov a aussi été mis hors service récemment. Cette zone de Ramat Aviv, autour de l’Université de Tel Aviv, aujourd’hui la plus grande du pays et dans laquelle se trouve le Musée des Diasporas attire un immobilier très résidentiel qui s’étend aujourd’hui jusqu’à Herzliya, une ville arrachée aux marécages et qui est devenue un des foyers de la high tech israélienne.

Au-delà de l’Ayalon, l’autoroute urbaine, les villes de Bne Brak, le centre de judaïsme orthodoxe le plus important d’Israël après Jérusalem, Ramat Gan, Givataîm, Holon, Bat Yam, Petach Tikva, Kiryat Ono constituent la plus importante conurbation d’Israël, plus de 3,5 millions d’habitants, le centre économique et financier du pays, loin devant les aires métropolitaines de Jérusalem et de Haïfa (1 million d’habitants chacune) ou de Beersheba (600 000 habitants) et aujourd’hui, devant New York, la plus grande agglomération juive du monde. La grande majorité des grattes ciel de plus de 200 mètres construits en Israël se trouvent à Tel Aviv où ils dominent le panorama, avec l’emblématique complexe des tours Azrieli, dont le promoteur était un rescapé de la Shoah.

Ron Houldai, ancien pilote de chasse, devint maire de Tel Aviv en 1998 et a été réélu depuis 25 ans. Il a accompagné et en grande partie impulsé l’extraordinaire transformation de la ville, son foisonnement architectural, son développement économique, technologique et artistique mais aussi son ouverture d’esprit, qualifiée par ses adversaires de permissivité, dont la très importante communauté LGBT est devenue le symbole.

Tel Aviv est aujourd’hui une des villes les plus chères du monde et elle a même occupé la première place de ce classement en 2021. Le coût élevé de la vie rend la ville inabordable pour beaucoup de citoyens israéliens, notamment les jeunes. Mais il existe de plus des disparités importantes entre les quartiers les plus riches, tels ceux du nord de la ville, proche du Yarkon et les quartiers les plus pauvres, habituellement situés dans le sud de Tel Aviv tel Neve Sha’anan où se trouve une importante communauté érythréenne illégale.

Tel Aviv a évidemment accompagné toute l’histoire de l’État d’Israël, dont elle est l’une des plus prestigieuses réussites, mais elle a été aussi le siège de deux événements politiques majeurs de l’histoire du pays.

Le premier est l’assassinat de Yitzhak Rabin, alors premier ministre, le 4 novembre 1995, par un militant extrémiste, Igal Amir. Rabin venait de prononcer, sur la place qui porte aujourd’hui son nom, un discours en soutien aux Accords d’Oslo, signés deux ans plus tôt avec Yasser Arafat. Les oppositions à ces accords étaient fortes et les attaques verbales contre Rabin allaient très loin. Un jeune militant extrémiste était parvenu à voler l’emblème de la Cadillac de Rabin et annonçait « nous avons eu la voiture, nous aurons l’homme ».
Quelques semaines avant l'assassinat de Rabin, un jeune militant extrémiste avait brandi à la télévision israélienne l'emblème de la Cadillac de Rabin et déclaré : « Nous avons eu sa voiture, et nous l'aurons lui aussi ». Ce jeune homme, Itamar ben Gvir, est aujourd’hui ministre de la Sécurité. Or, l’un des opposants les plus virulents à Rabin et aux Accords d’Oslo était alors un jeune homme politique du nom de Benyamin Netanyahu. Il devint Premier Ministre en 1996. Il l’est de nouveau aujourd’hui. L’assassinat de Rabin est le point aveugle de la politique israélienne depuis près de trente ans.

Le second événement se répète chaque semaine depuis plus de vingt mois et s’il ne se limite pas à Tel Aviv, Tel Aviv en est de très loin le foyer central : tous les samedis soir depuis le 7 janvier 2023 se déroule une manifestation de foule contre la réforme judiciaire. Après le 7 Octobre 2023, les manifestations ont repris, mais se sont concentrées sur la libération des otages. La grande majorité des manifestants de l’ensemble du pays provient de Tel Aviv où on a évalué certaines fois 300 000 manifestants. Une partie des manifestants concentrent leurs critiques sur le Premier ministre israélien. Les partisans de ce dernier les appellent les « gens de Kaplan », d’après la rue Kaplan, épicentre des manifestations.

Tel Aviv, ville toute récente, née du sionisme, vouée à la modernité, s’oppose par bien des aspects à Jérusalem à l’histoire longue et spirituellement inégalable.

Pour aller de Jaffa à Jérusalem, il a fallu à Chateaubriand quatre jours à dos de mulet. Déjà en 1892, le train parcourait la distance en quatre heures.

Aujourd’hui, avec le train rapide, trente minutes suffisent, mais Tel Aviv et Jérusalem restent bien différentes. Deux mondes inconciliables disent certains, deux mondes complémentaires, espèrent les Israéliens dans leur majorité.

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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