Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - L'Ukraine, un an après

23 Février 2023 | 132 vue(s)
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Opinion

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« La vérité est de notre côté. » C’étaient les derniers mots prononcés par le Président Poutine dans son adresse sur l’État de la Russie, un discours peu inspiré, alignant des considérations géopolitiques à sa façon, à savoir que l’Ouest a toujours été russophobe, comme en témoigne déjà l’attitude de l’Empire Austro Hongrois au XIXe siècle (oui, c’est dans le discours...).

 

Au tableau idyllique de la Nation russe, unie comme un seul homme et fidèle à sa glorieuse histoire, à une injonction aux oligarques de quitter l’Ouest pour aider la mère-patrie, s’ajoutait l’inventaire disparate d’un État nounou, soucieux des allocations logement, de la réfection des immeubles et du développement des jardins d’enfants, de science et de culture avec des artistes qui doivent évidemment travailler dans la plus grande liberté de création.

Quel contraste entre cette Russie pacifique et humaniste et l’Ouest oppresseur, comme ces néo-nazis ukrainiens qui tiennent leur population en otage et la transforment en matériel jetable ! L’Ouest plongé dans les déviations sexuelles et la pédocriminalité, qui s’est rendu coupable de crimes impardonnables en Irak, en Syrie, en Libye, en Yougoslavie et ailleurs…

L’Ouest qui a commencé le conflit, en montant un coup d’État en 2014, puis en livrant à l’Ukraine des armes qui terrorisent les malheureuses populations du Donbass qui cherchent à préserver leur langue et ont unanimement voté pour leur incorporation dans la Russie. 

Celle-ci n’a fait que riposter pour éviter la guerre que l’Occident avait concoctée et d’ailleurs les Occidentaux ont cyniquement reconnu que leurs négociations avec la Russie n’étaient que de l’enfumage…

J’ai vu personnellement Poutine déclarer que la Russie était le seul pays au monde sans antisémitisme, et j’ai été estomaqué par sa capacité à mentir sans ciller. L’an dernier, il prétendait qu’il n’avait rien à voir avec le groupe Wagner. Il est cohérent avec lui-même.

 

Ceux qui écoutaient ce discours de Poutine, tous des privilégiés du régime, croyaient-ils à ce qu’il disait ? Je me suis posé cette question, en les voyant sérieux, silencieux, plongés dans d’apparentes réflexions et applaudissant avec discipline mais sans enthousiasme ce que remâchait leur Président. En régime d’autocratie c’est une question assurément sans importance. Pour soutenir une politique, il ne faut pas forcément y croire. Il suffit de croire en celui qui vous enjoint de croire, autrement dit le chef, ou plus exactement encore, être assuré que le chef est bien le chef. C’est agréable car le chef promet un avenir radieux, c’est rassurant car les amis et la télévision vous récitent le même narratif, c’est tranquille car vous n’avez pas peur d’être emprisonné, voire pire, c’est confortable car vous ne risquez pas de perdre vos privilèges, grands ou minuscules. 

Il y a une logique à être un zombie quand on habite la Russie. Il n’y en a pas à devenir poutinolâtre dans nos pays où l’information est ouverte. On est alors un idiot utile, un idéologue hors sol ou un simple mercenaire.

 

Il est une modalité atténuée et fréquente d’adhésion au discours poutinien, c’est l’insistance sur la responsabilité de l’Occident dans le chaos russe post-soviétique. C’est mettre le doigt dans l’engrenage complotiste. Les Occidentaux présents en Russie après la chute de l’URSS n’étaient probablement pas tous des philanthropes, et beaucoup cherchent des occasions de s’enrichir, mais en quoi l’Occident en tant que tel serait-il responsable de la kleptocratie qui a suivi la disparition de cette URSS que Poutine veut à toute force reconstituer ? Il se pose aujourd’hui en parrain, alors qu’il n’y est que le second des Chinois, d’un nouveau pacte de Varsovie élargi et portant le nom d’Organisation de coopération de Shanghai.

 

Il existe une autre restriction au soutien à l’Ukraine, notamment chez les Juifs, c’est le rappel insistant de l’antisémitisme ukrainien. Comme si la Russie, elle, en avait été préservée alors que pendant longtemps elle a été presque complètement interdite aux Juifs par des ukases tsaristes répétés et que ce sont évidemment dans les zones de résidence, telles l’Ukraine, la Pologne, la Biélorussie, la Moldavie et les pays baltes que les contacts, et par conséquent malheureusement, les pogromes, étaient le plus fréquents. Odessa à l’époque, lieu emblématique, était une ville plus russe qu’ukrainienne.

L’histoire de l’Ukraine, c’est vrai, a vu plusieurs massacres de Juifs, en particulier au XVIIe siècle ceux commis par les cosaques anti-polonais de Bogdan Chmielnicki, en l’honneur duquel, d’ailleurs, l’URSS avait construit une impressionnante statue sur la place centrale de Kiev. 

Après la Shoah, chaque Juif ukrainien sursaute au mot de « banderistes » et enrage des hommages rendus à Stepan Bandera en tant que nationaliste ukrainien férocement anti-russe et rêvant d’une alliance avec les nazis, qui l’ont d’ailleurs emprisonné.

Mais les extrémistes ont obtenu des scores ridicules aux dernières élections ; chacun sait d’où provient le Président Zelensky et l’étiquette « régime néo-nazi » n’est qu’une insulte ignoble car infondée.

Les députés israéliens d’origine ukrainienne, comme Zeev Elkin ou Yuli Edelstein, sont en pointe pour que Israël soutienne l’Ukraine ; des relations qui prennent un nouveau relief maintenant que l’Iran est devenu un allié majeur de la Russie.

Pour finir, en ce jour anniversaire de la guerre d’Ukraine, dont peu d’observateurs pensaient, quand elle a commencé, qu’elle durerait aussi longtemps ; quatre remarques trop rapides :

 

1) La fragilité des prévisions : Poutine a déclenché la guerre contre les prévisions d’experts trop cartésiens (en particulier français), Kiev n’a pas été prise en quelques heures, le Président russe n’est pas mort de ses soi-disant innombrables cancers, Jo Biden a réagi avec une fermeté et une cohérence inattendues, le leadership ukrainien n’a pas vacillé et l’Europe a tenu bon, malgré la divergence de ses intérêts et la propension pro-poutinienne de certaines de ses élites. Inversement la Russie ne s’est pas effondrée sous les sanctions, l’évolution de son PIB suscite des envies et le rouble se porte très bien. En situation de rupture, comme l’est éminemment cette guerre, le passé ne préjuge pas du futur et il faut se méfier des prévisionnistes...

 

2) Le prix à payer pour l’insouciance passée : La cigale européenne, asphyxiée par sa bureaucratie, orientée sur le court terme, ce talon d’Achille des démocraties, s’est intoxiquée à la paix et est devenue incapable, sauf les anciens pays du Pacte de Varsovie, échaudés par l’histoire, de penser l’ennemi. Elle est aujourd’hui dans la dépendance énergétique et la misère militaire. L’Otan, que Poutine a sorti de son prétendu coma, restera longtemps la seule ligne de défense crédible et la coordination européenne en matière d’armements continue de patiner après un an de guerre.

 

3) Le ressentiment anti-occidental et les intérêts commerciaux individuels des pays du monde ont été sous-estimés au profit de grandes phrases (« mise de la Russie au ban des Nations »). La Chine, l’Inde et la Turquie maintiennent la Russie à flot en lui achetant ses hydrocarbures à prix cassés, et l’Arabie Saoudite, qui cherche à se venger de la rebuffade américaine après l’assassinat de Khashoggi, l’aide en resserrant le robinet pétrolier, ce qui maintient les prix élevés ; l’Afrique et une bonne partie de l’Amérique latine ne voient pas Poutine comme un paria. Une nouvelle architecture du monde s’organise, qui recoupe en partie, mais en partie seulement, le clivage entre démocraties et autocraties.

 

4) Enfin, les buts de guerre restent flous et il peut difficilement en être autrement. Certains aident l’Ukraine pour l’empêcher d’être battue, d’autres pour lui assurer une victoire complète. Derrière cette ambiguïté plane en filigrane la menace nucléaire, à la merci d’une réaction émotionnelle.

 

Refuser d’agir à cause de cette menace, c’est se livrer à l’agresseur.

 

Honneur aux Ukrainiens !

 

Richard Prasquier 

 

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