Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950)

09 Février 2023 | 222 vue(s)
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Opinion

Par Chloé Blum

Jean-Pierre Allali partage avec vous ses appréciations littéraires au fil de ses lectures. Aujourd'hui, il nous parle du livre de Techouva, de Frédéric Lauze.

Jean-Pierre Allali partage avec vous ses appréciations littéraires au fil de ses lectures. Aujourd'hui, il nous parle du livre de Dina Porat, Le Juif qui savait Wilno-Jérusalem : la figure légendaire d’Abba Kovner, 1918-1987.

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Sous ce titre vient de paraître un « Que sais-je » (*) passionnant. Avec les 128 pages, réglementaires de la collection, ce petit livre m’a éclairé sur bien des événements d’une période que je pensais plutôt bien connaître. À tort...
 
Il couvre, de 1870 à 1950, 80 ans de l’histoire de cette terre qui avait perdu son nom de Judée depuis que l’Empereur Hadrien avait imposé le nom de Palestine après la révolte de Bar Kochba, cette terre que certains appelaient sainte et qui était devenue , entre aridité du sol et maladies infectieuses, une des plus déshéritées de l'Empire turc, une terre que de savants géographes avaient déclarée inapte à toute colonisation, mais qui n’était pas cependant, comme l’avait dit un Chrétien ami des Juifs, une terre sans peuple pour un peuple sans terre. 
 
En 1870, la population de la Palestine est d’environ 350 000 habitants, dont environ 20 000 Juifs. En 1914 elle a presque doublé, et c’est l’augmentation de la population musulmane qui est considérable. Elle est liée à un taux de natalité spectaculaire, à une amélioration sanitaire et économique qui provoque un afflux de population et des tensions sur les prix et l’occupation des terrains, qui ne sont pas uniquement expliquées par l’augmentation à l’époque de la population juive. Il n’y a environ que 30 000 immigrants Juifs au cours de la seconde Alyah, 2 % de ceux qui à la même époque sont venus aux États-Unis. 
 
C’est un des points forts du livre que de détailler les considérations économiques et marchandes qui déterminent les ventes de terres, l’augmentation des prix du foncier et le ressentiment des paysans tenanciers.
 
Georges Bensoussan est l’auteur d’une oeuvre considérable, d’abord axée sur la Shoah, dont le premier livre a été, il y a déjà 25 ans, Auschwitz en héritage, du bon usage de la mémoire. On sait qu’il a écrit aussi sur l’histoire récente des « Juifs dans le monde arabe » et qu’il a été le maître d’oeuvre des Territoires perdus de la République, livre accueilli en 2002 dans un silence assourdissant, mais dont le triste constat a été continuellement conforté depuis lors. Mais il a aussi écrit une Histoire intellectuelle et politique du sionisme très documentée qui s’arrête au début de la Seconde Guerre mondiale. 
 
Sur le plan méthodologique, il est un adepte de ce qu’on appelle l’histoire culturelle, qui considère que l’histoire est liée aux représentations collectives c’est-à-dire aux façons de voir, de subir et d’agir sur le monde des différents groupements d’individus. L’individu de l’histoire n’est pas un robot rationnel, il est mobilisé par ses passions et ses craintes, qu’il faut parfois dépister derrière la froideur des documents historiques, et les conflits culturels ne sont pas uniquement des conflits économiques ou religieux.
 
Le « Que sais-je » de Georges Bensoussan ne reprend pas les considérations nuancées et complexes de ce gros livre que fut l’histoire du sionisme. Il se focalise sur le conflit israélo-arabe dans ses composantes locales et géopolitiques, sur les tensions et les conflits générés par l’arrivée des immigrants juifs, nouveaux fermiers enthousiastes ou citadins occidentalisés, en face d’une société palestinienne fragmentée, souvent ignorée aujourd’hui, société dominée par de grandes familles, avec une bourgeoisie citadine nationaliste émergente et une masse rurale laissée à l’abandon et largement analphabète.
 
Il décrit aussi les palinodies d’un gouvernement britannique qui avait imposé la Déclaration Balfour de 1917 dans les organisations internationales telles la Société des Nations, mais qui, plus tard, alors même que l’horizon devenait tragique pour les Juifs européens, essayait avant tout de complaire aux pays arabes en édictant son Livre Blanc. L’inquiétude sur la pérennité des voies de navigation au travers du Canal de Suez avait pris le dessus sur la détresse des Juifs traqués…
 
On y voit dès 1921, le Haut commissaire britannique Herbert Samuel, Juif pratiquant par ailleurs, commettre la faute majeure de nommer un anti-Juif forcené, Amine al-Husseini, Grand mufti de Jérusalem à 26 ans, sans diplôme théologique et contre l’avis de ses pairs, dans le vain espoir de concilier sa puissante famille. On sait ce qu’il en résulta….
 
On y lit une description claire des différentes étapes de la guerre de 1948 qui donne une cohérence aux épisodes d’un conflit dont on ne connaît souvent que des fragments décousus, en général héroïques ou tragiques.
 
On y trouve enfin une analyse des sources les plus fiables, quelle que soit leur origine, sur le départ de 750 000 Arabes palestiniens, dont l’auteur montre les mécanismes complexes dont le plus important, qui ne se trouve guère dans les documents écrits, est la panique. Panique préventive à l’idée des représailles que les Juifs pourraient faire subir aux Arabes eu égard à la sauvagerie des tueries passées comme celle de Hébron, panique qui accompagne toutes les situations de guerre analogues et qui a aussi conduit 70 000 Juifs à s’enfuir de leurs habitations. 
 
Georges Bensoussan n’a pas trouvé de trace d’expulsion d’Arabes avant juillet 1948, mais confirme qu’il y en a eu après, notamment sur la voie de communication Tel Aviv- Jérusalem, comme à Ramla et à Lod et dans certains localités musulmans de Galilée. Il ne cache pas, dans la lignée des nouveaux historiens israéliens, tel Benny Morris, qui ne sont pas tous des antisionistes, les exactions commises aussi par les troupes israéliennes et n’hésite pas à privilégier dans le décompte des victimes de Deir Yassin les conclusions, d’ailleurs mesurées, d’un historien palestinien.
 
Au total, des analyses sans manichéisme qui déplaîront à ceux qui préfèrent le blanc et le noir aux fréquentes nuances de gris de la vérité. C’est le devoir de l’historien, et c’est la maturité de ses acteurs que d’accepter l’histoire telle qu’elle fut, et Georges Bensoussan montre aussi combien cette histoire a été fantasmée par la propagande anti-israélienne.
 
Je recommande donc vivement la lecture de ce livre, que certaines librairies refusent de vendre. C’est une séquelle de l’absurde accusation de racisme qui fut faite à Georges Bensoussan. Relaxé par le Tribunal correctionnel, par la Cour d’appel et par la Cour de Cassation, il continue de sentir le soufre aux yeux d’une certaine bien-pensance. Parmi ces librairies, il y a malheureusement - où il y a eu jusqu’à la semaine dernière - celle du Mémorial de la Shoah, la maison où Georges Bensoussan a travaillé pendant de si nombreuses années...
 
 
(*) Georges Bensoussan, Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), coll. « Que sais-je », PUF, janvier 2023, 128 pages, 10 €
 
 

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