Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier – La Cour Pénale Internationale, une belle idée dévoyée

29 Novembre 2024 | 93 vue(s)
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Actualité

Le Crif souhaite un prompt rétablissement à Jean-Pierre Allali suite à son récent accident et espère le retrouver très vite en pleine forme.

Jeudi 6 septembre s'est tenue la cérémonie d'échange des vœux entre les responsables de la Communauté juive, la Maire de Paris Anne Hidalgo et la présidente du Conseil régional d'Ile de France Valérie Pécresse.

Jeudi 26 juillet, j'ai écrit au Ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian afin de lui faire part de mon étonnement face à l'absence de mention d’Israël dans les déclarations du Quai d'Orsay suite à l'évacuation de casques blancs syriens.

Mercredi 25 juillet, j'ai adressé des courriers aux Présidents respectifs de la Fédération Française des Échecs et de la Fédération Française de Judo. L'objectif : mener à bien le combat pour l'égalité et contre la discrimination de toute nature.

Fausses rumeurs, photos ou vidéos truquées… les fausses informations, ou fake news, inondent le net. La désinformation va parfois plus loin, prenant la forme de théories à l’apparence scientifique.

L'exposition CHAGALL, LISSITZKY, MALÉVITCH...L'AVANT-GARDE RUSSE À VITEBSK (1918-1922) est à découvrir juqu'au 16 juillet 2018 au Centre Pompidou.

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On doit le projet de Cour Pénale Internationale (CPI) à deux juristes juifs dont les familles s’étaient réfugiées aux États-Unis dans l’entre-deux-guerres, Benjamin Ferencz et Robert Woetzel. Les années 1990 ont ressuscité ce projet car la fin de la guerre froide laissait espérer qu’un tribunal pérenne pourrait punir en toute justice les responsables des pires crimes sans créer, au cas par cas, des tribunaux tels que ceux nécessités par les atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Les prédictions de Fukuyama sur l’avènement universel de la démocratie libérale permettaient l’optimisme.

On sait ce qu’il en est advenu.

Ferencz, qui était hanté par ses souvenirs de procureur principal aux procès des Einsatzgruppen est mort à 103 ans quelques mois avant le 7-Octobre où de nouveau des Juifs, femmes, enfants et vieillards compris, ont été assassiné mais ce sont deux Juifs qui depuis la semaine dernière sont portés au pilori par une CPI qui depuis sa création a accumulé les échecs dont certains confinent au grotesque.

La CPI a été mise en place en 2002, après que 60 États ont ratifié ses statuts. On les appelle « parties au traité de Rome ». Il y en a aujourd’hui 124. On n’y trouve pas les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Turquie, Israël, ni les États du Moyen-Orient à une exception près, la Palestine.

Dès qu’elle fut acceptée comme État observateur à l’Organisation des Nations unies (ONU), celle-ci a adhéré à la CPI et a déposé plainte contre Israël. En mars 2021, Madame Fatou Bensouda, alors Procureure à la CPI, annonçait l’ouverture d’une enquête contre Israël.  Cette inculpation permet à l’organisation, et à son procureur actuel Karim Khan, de se donner à bon compte une image « universaliste » alors que la CPI avait été accusée par certains de n’enquêter que contre des dirigeants africains.

On rappelle que Mahmoud Abbas a accusé Israël de génocide à grande échelle dès le 10 octobre 2023, trois jours après le 7-Octobre. On rappelle aussi qu’il pense avoir une certaine expérience dans ce domaine depuis la thèse négationniste qu’il a écrite à Moscou il y a une cinquantaine d’années. Mais la CPI n’accuse pas les dirigeants israéliens de génocide. Elle laisse cette question à la Cour internationale de Justice (CIJ), qui juge les pays et non les individus et qui est sollicitée comme on le sait par l’Afrique du Sud. La CPI enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. À quoi a-t-elle abouti jusqu’à maintenant ?

N’étant pas un juriste et n’ayant aucunement la fibre théorique du droit international, j’ai tenté de mieux appréhender le fonctionnement – et le dysfonctionnement – de la CPI en me reportant aux années du nazisme et en supposant que la CPI aurait existé dans ses statuts d’aujourd’hui, que les États européens y avaient adhéré mais que l’Allemagne hitlérienne s’en était retirée, des suppositions non déraisonnables.

Trois épisodes parmi d’autres dans cette histoire qui n’est pas entièrement une fiction où une telle CPI aurait pu intervenir : la Nuit de Cristal, les camps d’extermination et les bombardements alliés.

Nuit de Cristal, novembre 1938. 1 400 synagogues et 7 000 commerces détruits, une centaine de Juifs tués, 30 000 envoyés en camp de concentration. Qu’aurait fait la CPI ?

Réponse : rien puisque ces crimes se sont déroulés sur le territoire d’une Allemagne souveraine et non signataire.

Aujourd’hui, c’est pourquoi les Ouïghours en Chine, les femmes afghanes et iraniennes, les victimes de Assad en Syrie, les Kurdes de Turquie et les Yezidis en Irak n’ont rien à espérer de la CPI. La CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine puis contre Netanyahu parce que les crimes dont ils sont accusés ont eu lieu soit en Ukraine, dans un pays qui a sollicité spécifiquement la CPI au sujet des enfants ukrainiens enlevés par les Russes, soit par l’Autorité palestinienne au sujet d’actes commis dans un territoire, Gaza, sur lequel elle a une théorique souveraineté.

En fait, suivant le principe de complémentarité la CPI pourrait enquêter sur le territoire d’un État non signataire si le Conseil de Sécurité lui en donnait le pouvoir. Il faudrait pour cela une large majorité du Conseil et une unanimité des cinq titulaires du veto. Cela met à l’abri tous les pays dont les relations diplomatiques sont suffisamment étoffées et devient impossible dans un monde de plus en plus clivé.

 

En fait, cette situation s’est produite deux fois,  contre Kadhafi dans les dernières semaines de sa vie (son fils également sous le coup du mandat d’arrêt n’a jamais été livré à la CPI) et surtout contre le Président soudanais Omar el Bechir à la suite des massacres au Darfour : un mandat d’arrêt a été émis en 2009 contre lui. Cela ne l’a pas empêché de bénéficier du soutien des États islamiques, de la Russie et de l’Union africaine et de voyager sans risque d’être arrêté dans les pays signataires. S’il est en prison aujourd’hui c’est à cause d’un coup d’État qui n’a rien à voir avec la CPI.

D’autres initiatives prises spontanément par le Procureur de la CPI (ce qu’on appelle le « motu proprio ») à l’égard de ressortissants de pays signataires, sous le motif que ces pays ne font pas le travail juridique que la CPI juge nécessaire (sous le principe de « complémentarité ») ont parfois abouti à des résultats grotesques : le Kenyan Uhuru Kenyatta est mis en accusation par la CPI en 2012 pour des violences qualifiées de crimes contre l’humanité commises à la suite de l’élection présidentielle de 2007. Cette accusation ne l’empêche pas d’être élu Président en 2013 et de se présenter à la convocation de la CPI qui annonce piteusement l’abandon des charges contre lui.

Quant à Laurent Gbagbo, Président de la Côte d’Ivoire emprisonné par son successeur et livré à la CPI qui le réclamait, il est relâché par la Cour après sept ans de détention préventive, définitivement acquitté après dix ans et est désormais candidat dans son pays pour l’élection présidentielle de 2025.

De même qu'en 1938, charbonnier se veut maître chez soi. La CPI ne peut rien faire à l’intérieur des États qui ont rejeté sa juridiction s’ils ont suffisamment de soutiens étrangers et qui peuvent donc exercer des politiques répressives dans leur pays sans interférence de sa part. Elle peut agir à la marge sur des ressortissants d’États signataires sans appui international suffisant, situation ne touchant que des États faibles et exposant aux échecs pratiques qu’on a vus avec une CPI dénuée de toute possibilité coercitive. Elle peut en revanche, à l’occasion d’un conflit considéré comme transfrontalier, jeter l’opprobre sur les dirigeants d’un État non signataire mis en accusation par son voisin. Comme par hasard, Israël est dans cette situation mais un mandat d’arrêt contre son Premier ministre a un retentissement que n’a pas le même document émis contre un chef d’État africain.

Dans notre schéma d’histoire fiction, que ce serait-il passé si le Gouvernement polonais en exil, signataire du traité de l’hypothétique CPI d’avant guerre avait émis une plainte au sujet du traitement des individus dans les camps placés par l’ennemi allemand sur son territoire ?

Il est aussi à craindre qu’il n’en aurait rien été. La CPI n’avait pas (et n’a pas encore aujourd’hui) les moyens d’effectuer par elle-même une enquête qui aurait été confiée à la Croix-Rouge suisse. Étant donné la façon dont celle-ci s’est laissé complaisamment duper à Theresienstadt, elle aurait probablement produit un document anodin et le dossier serait clos.

Si la Croix-Rouge suisse avait à l’époque de très solides préjugés à l’égard des Juifs, que peut-on dire, à l’égard d’Israël, des ONG à qui la CPI, dont les moyens propres sont très limités, s’appuie pour émettre ses conclusions ?

Ce que la CPI reproche avant tout à Netanyahu et Gallant, c’est la famine à Gaza, plus exactement l’emploi de la famine comme arme de guerre : war crime of starvation as a method of warfare. Cette formule est, au mot près, celle qui a été utilisée dès novembre 2023 par une ONG particulièrement virulente à l’égard d’Israël, Human Rights Watch. C’est alors d’ailleurs que le Secrétaire Général de l’ONU a pris l’habitude de ses déclarations répétées sur lesquelles l’apocalypse allait frapper Gaza le mois suivant. Or, à l’époque où le Procureur de la CPI clôt son enquête, en mai 2024, la situation alimentaire est plutôt stabilisée, non seulement d’après les services israéliens, mais suivant l’IPC qui est l’organisme de référence mondial en matière d’insécurité alimentaire, et qui admet alors que ses critères de famine ne sont pas présents.

Dans son document de novembre, la CPI mentionne bien que des camions d’aide alimentaire ont été envoyés à Gaza, mais elle refuse d’en accorder le moindre crédit aux dirigeants israéliens sous prétexte qu’ils ont laissé passer ces camions sous la contrainte des Américains. À aucun moment en outre, la CPI n’évoque les camions pillés par le Hamas et le marché noir qui en résulte, ni les armes cachées dans les camions. Le message unique – et ignoble – qui ressort de son texte est que Israël cherche à éliminer la population civile par le biais d’une famine.

Finalement, je m’étais demandé ce qui se serait passé si à l’époque du Débarquement, le gouvernement de Pétain avait déposé plainte devant une CPI pour crimes de guerre contre la population civile normande bombardée par les Alliés. La réponse est simple : elle aurait probablement émis un mandat d’arrêt contre Eisenhower, Churchill et Roosevelt. Une CPI analogue à celle d’aujourd’hui aurait probablement considéré que la guerre contre les nazis n’était justifiable que si elle épargnait les civils. La CPI d’aujourd’hui ne considère pas en tout cas que Israël mène contre le Hamas un combat implacable, existentiel, contre un ennemi qui proclame dans ses textes de base et dans sa propagande quotidienne que sa volonté est de détruire complètement Israël, ce qui en fait un nazisme de notre siècle.

À aucun moment dans son rapport la CPI ne mentionne ni les otages, ni les massacres du 7-Octobre. Ce à quoi on aboutit est la conclusion subliminale que les dirigeants israéliens cherchent avant tout à exterminer la population civile de Gaza et cette abjection est évidemment présentée dans la langue juridique la plus raffinée.

Aussi infondée qu’elle soit, cette accusation va trouver beaucoup d’oreilles réceptives et détériorer encore l’image, non seulement du Premier ministre israélien, mais celle du pays tout entier. C’est l’objectif réel de ceux qui ont mis en place cette enquête. Il y a aussi les hommes et femmes politiques qui ont prétendu que l’important était de soutenir la justice internationale et d’appliquer les mandats de la CPI : pas de visites dans nos pays respectueux de leurs engagements internationaux, non seulement pour les accusés, Benyamin Netanyahu et Yoav Gallant, mais peut-être aussi, pour tous ceux que la CPI aurait pu nommer dans des documents gardés secrets : peut-être les chefs militaires israéliens ? Et à ce compte peut-être tous ceux des Israéliens qui ont pu en tant que soldats avoir eu à faire avec ce crime d’extermination d’une population par la famine, qui risqueraient de se faire refouler, voire arrêter dans leurs voyages dans des pays peu favorables à Israël. On ne s’attardera pas sur les messages contradictoires d'Emmanuel Macron tant ils sont désormais banals.

On peut faire beaucoup de reproches aux dirigeants israéliens. On peut ne pas les croire quand ils disent que la situation alimentaire à Gaza est excellente alors qu’il semble établi que la malnutrition progresse dans le nord de Gaza. On ne peut pas cependant croire une seconde que les conclusions de la CPI soient autre chose que des partis pris anti-israéliens, elle qui n’a incriminé aucun responsable des famines liées à la guerre du Tigré et du Soudan, qui ont fait des centaines de milliers de morts.

À étudier le minable bilan de la CPI en ses vingt ans d’existence, on se demande s’il faut pleurer devant cet échec flagrant d’un bel espoir, ou rire de ses absurdités.

Il y a évidemment ce Procureur Général, censé être le parangon des vertus comportementales, empêtré dans une affaire de frasques sexuelles. Il y a aussi, ce qui est encore plus grotesque, ce mandat d’arrêt international délivré contre un cadavre, celui de Mohamed Deif, dont on se doute bien qu’il a été émis pour donner l’hypocrite impression que la justice de la CPI est impartiale : cette mise en équivalence du chef militaire du Hamas et des dirigeants israéliens est obscène.

« Summum jus, summa injuria ». Le droit poussé à l'extrême devient une extrême injustice. Cette phrase célèbre de Cicéron s’applique malheureusement parfaitement  à la CPI, une belle cause dévoyée.

 

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

 

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